Pouvez-vous en quelques mots présenter votre maison d’édition ?
Karibencyla est une petite maison d’édition indépendante spécialisée en littérature jeunesse. Son nom est un clin d’œil à l’expression « tomber de Charybde en Scylla », qui signifie aller de mal en pis. Pour nous, il n’y aurait pas eu d’Ulysse sans les obstacles qu’il a rencontré dans sa célèbre Odyssée. Aussi, le nom de la maison d’édition nous rappelle à chaque instant les ingrédients d’une histoire qui fait grandir : de l’aventure, de l’adversité et une fin heureuse.
C’est ce que nous avons développé dans notre collection phare : « Les Contes Mélangés » qui comptent déjà dix titres. Le dernier est paru en septembre 2016 : « Les Mille et une Nuits de la Belle au bois dormant », sous la plume de Claude Clément et illustré par Joël Cimarrón.
Qu’est-ce qui vous a poussé à monter Karibencyla ?
Karibencyla est le fait de deux créatifs qui ont un jour éprouvé un besoin vital de liberté d’expression. En faisant l’addition de nos expériences professionnelles et de nos compétences, nous avons compris que nous étions capables de créer cette maison d’édition.
Joël Cimarrón est illustrateur, animateur 2D, auteur BD, graphiste et, moi-même, libraire jeunesse et auteure sous le pseudonyme de « La Luciole Masquée ». Nous mêlons nos différents atouts pour réinventer dans chaque collection de nouvelles propositions de livres avec comme leitmotiv : la diversité, une richesse.
Dans la collection des « Contes mélangés » : nous faisons se rencontrer pour la première fois dans la littérature les héros des contes classiques et ceux des contes et légendes du monde.
Dans la collection « Patatra la p’tite sorcière » : le lecteur rencontre une anti héroïne drôle et espiègle et également un atelier de loisir créatif à la fin de chaque livre.
Dans la collection « BD Animée » : le cinéma d’animation se conjugue à la bande dessinée pour une aventure tout en mouvement.
Dans la collection « Odysseus » : on redécouvre de très anciennes légendes avec un regard neuf.
Dans la collection du « Cœur de l’Hydre » : on hybride les genres littéraires pour créer des mondes originaux. Comme dans notre premier roman « Les Glaces de l’Harmonie », roman d’anticipation culinaire.
Quelle est la ligne éditoriale de votre maison et comment choisissez-vous vos auteurs ?
La ligne éditoriale que nous développons s’articule autour de deux thématiques : celle du mélange (culture, médium, genre) et celle du voyage et de la rencontre inter-culturelle. Dans tous les manuscrits que nous recevons, nous sélectionnons dans un premier temps, ceux qui s’inscrivent dans une série existante, puis ceux qui nous proposent une collection de textes. Ensuite, il faut que le projet fasse l’unanimité des gérants pour être réalisé. En ce qui concerne le choix des illustrateurs, le choix est d’autant plus crucial que nous souhaitons donner une unité graphique à chaque collection en mettant en avant un illustrateur et son univers.
Quel est le modèle économique de votre maison d’édition ? Bénéficiez-vous de subventions publiques ?
Face à un marché du livre dont plus de 90 % du chiffre d’affaire est généré par trois grands groupes éditoriaux, concentrant une myriade d’éditeurs de taille variable, il fallait trouver sa place !
Dans un premier temps, nous avons privilégié la création d’une collection de livres qui deviendrait incontournable auprès des libraires tout en continuant à diffuser nous-mêmes nos ouvrages sur les salons du livre. À l’heure actuelle, nous participons à plus d’une trentaine de salons du livre par an, répartis sur tout le territoire. Nous profitons de ces événements pour inviter les auteurs et illustrateurs à venir dédicacer leurs ouvrages. Ce lien entre lecteurs et créateurs est aussi un de nos atouts.
De même, nous avons adapté notre production à notre capacité de vente. En effet, nous publions entre 2 et 4 livres par an. Et, du fait de notre taille, nous pratiquons le compte ferme. Ainsi, les libraires qui commandent n’ont pas la possibilité de nous retourner les invendus. En contrepartie, nous accordons une marge bien au-dessus de la moyenne. C’est un modèle qui nous assure de pouvoir continuer à produire des livres tout en offrant à nos partenaires une compensation économique. C’est aussi un système qui évite le pilon et qui oblige le libraire à commander selon sa capacité de vente. En ce qui concerne les subventions, cela fait seulement deux ans que nous sollicitons notre région pour les déplacements sur les salons.
Ce qu’il faut savoir sur notre maison d’édition, c’est que, comme beaucoup d’autres petits éditeurs, nous sommes obligés d’endosser tous les rôles : création, maquette, relation avec les auteurs et l’imprimeur, commercialisation, relation presse, facturation, réception et stockage des livres, emballage et envoi des commandes, et ventes sur les salons. Nous déléguons uniquement la comptabilité et la correction orthographique et typographique des ouvrages.
Nos chiffres clés : 2 hommes-orchestre, 11 auteurs, 16 titres, 40 000 livres imprimés, 30 000 vendus, 0 livre détruit.
Quel est le profil de vos lecteurs ?
Notre public privilégié ce sont les enfants entre 3 et 10 ans, issus de la diversité culturelle, cernés par les écrans et friands de belles images. Nos lecteurs, ce sont aussi des aventuriers qui n’aiment pas les sentiers battus. Des curieux qui cherchent des livres qui les emmènent en voyage, ou qui les fassent rire aux éclats. Nos lecteurs ont aussi une autre qualité : ils sont fidèles. Nous les retrouvons tous les ans sur les salons, ils reviennent nous voir et c’est quelque chose de très touchant de voir grandir nos petits lecteurs.
Vous déplorez le manque d’intérêt des libraires pour les petites maisons d’édition. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
En tant qu’ancienne libraire et acheteuse en librairie pour une grande enseigne, je peux comprendre qu’il est plus pratique de se contenter de ce que proposent les représentants en librairie. Ils sont nombreux, se déplacent en magasin, proposent des remises entre 30 et 35 % et surtout, ils vous accordent le retour libre des invendus. Les petites maisons d’édition sont souvent noyées dans des catalogues de diffuseurs généralistes où le représentant va mettre en avant les ouvrages qui ont le plus de presses. Du coup, les éditeurs qui n’ont pas de diffusion passent complètement à la trappe. Ce que je déplore le plus à l’heure actuelle, c’est le manque de curiosité dont font preuve les libraires que je croise.
Mais, loin de moi l’idée de faire des généralités, car il y a aussi d’irréductibles libraires qui n’ont pas cédé à la facilité et qui défendent les éditeurs qui, comme nous, créent des livres de qualité, hors des sentiers battus des grosses maisons. Ces libraires sont pour moi des résistants, car ils n’ont pas abandonné leur liberté de choix, afin de faire découvrir la bibliodiversité qui fait la richesse de notre pays. Il y a quelques années, je me suis rendue compte qu’il était difficile de trouver une base de données complète sur les éditeurs jeunesse. Toutes celles qui existent ne sont pas exhaustives, c’est la raison pour laquelle j’en ai créé une aussi complète que possible : www.touslesediteursjeunesse.com. Cet annuaire de l’édition jeunesse permet à tout un chacun de découvrir les catalogues des maisons d’édition sans discrimination de chiffre d’affaire, ni de diffusion : il y a à ce jour 400 éditeurs référencés. J’espère que cela deviendra très vite un outil pour surprendre le lecteur en proposant des livres différents.
Aujourd’hui, comment êtes-vous diffusé et comment les lecteurs peuvent-ils se procurer vos livres ?
Malgré l’intérêt de nombreux diffuseurs, nous n’avons pas encore sauté le pas. En effet, les conditions nécessaires pour confier notre catalogue à un diffuseur nous obligent à accroître notre production et nous n’avons pas encore les moyens financiers de le faire. Néanmoins, cette année nous sommes rentrés au catalogue de Lire-Demain (Groupe Auzou) diffuseur spécialisé auprès des écoles et collectivités. Les lecteurs désireux d’acheter nos ouvrages pourrons trouver une boutique en ligne sur notre site et également un lien vers Place des Libraires un site de géolocalisation permettant aux internautes de chercher un livre, de le localiser et de pouvoir le réserver dans près de 350 librairies adhérentes. Mais de façon générale, toutes les librairies de France peuvent commander nos ouvrages, car nous sommes référencés sur les principales bases de données qu’ils utilisent : Dilicom et Electre.
Avez-vous une stratégie numérique pour vous faire connaître auprès des lecteurs ?
Nous avons un compte Facebook où nous annonçons nos nouveautés, nos déplacements et notre actualité. Notre principale force à ce jour reste le bouche-à-oreille et la distribution de flyers sur les salons.
Huit ans d’existence, c’est une belle longévité. À quoi l’attribuez-vous ?
Sans vouloir nous jeter des fleurs, je pense que nous avons su créer des collections intelligentes et pertinentes avec leur époque. Nous avons apporté un soin particulier aux maquettes de tous nos livres et enfin, nous avons su donner envie à de brillants auteurs et illustrateurs de signer avec nous et de venir apporter leurs talents à notre catalogue. Notre longévité tient aussi au fait que nous avons une foi inébranlable en ce que nous avons créé. Mais comme toutes les maisons d’édition de très petite taille, le combat est quotidien, nous sommes condamnés au succès et aussi à trouver de nouveaux créneaux de diffusion.
Quelle est votre position par rapport au livre numérique ? Quelle est la stratégie de Karibencyla face à cela ?
Pour le moment, nous gardons sous le coude le projet de développer des livres numériques chez Karibencyla, car nous avons envie de le faire de façon innovante. D’ailleurs, nous sommes plus attirés par le domaine des applications que par les livres numériques sur liseuses.
Quels sont vos projets et vos perspectives pour 2017 ?
Pour 2017, nous allons ouvrir une collection de bandes dessinées, poursuivre le développement des collections existantes, car comme je l’ai déjà dit, nos clients sont des lecteurs fidèles.
Pour finir, est-ce que la presse est-elle sensible à vos productions ?
Depuis quelques années, nous avons de moins en moins de presses, malgré l’envoi régulier de livres et de communiqués. Les grandes maisons d’édition sont très agressives sur ce plan. Elles payent des encarts, commandent des publireportages, etc. Hélas, nous n’avons pas les mêmes moyens. Les blogs littéraires et le phénomène de booktubers prennent de plus en plus de place en ce qui concerne la prescription de livres. Aussi, comme tous les éditeurs, gros et petits, nous suivons le mouvement.
Pour en savoir plus : le site des Éditions Karibencyla.
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