Les Habitants : le regard attendri et avisé de Depardon
Par Jonathan Rodriguez – Hymne à la vie, à la singularité, au peuple, au multiculturalisme, le nouveau film de Raymond Depardon est un peu tout ça à la fois. Le plus célèbre des documentaristes français est parti d’un postulat très simple : un tour de France en caravane pour aller à la rencontre des gens, les écouter parler en toute liberté. Charleville-Mézières, Nice, Calais, Sète… le cinéaste a choisi 15 villes, qui ne sont pas le fruit du hasard : « Je voulais parler de la France des villes moyennes, des gens de la ville. Je voulais confronter le Nord et le Sud, qui sont des particularités fortes du pays, de mettre à l’image une diversité » nous-a-t-il confié lors d’une rencontre.
Un pari risqué car difficile de prévoir l’inattendu. Et en même temps, quel magnifique procédé pour capter le naturel le plus pur. C’est bien là tout le talent de Depardon qui, de film en film, se met plus en retrait pour laisser place à la sincérité de l’instant. Une marque de fabrique comme véritable identité – signe des plus grands – qui l’accompagne dans son parcours de cinéaste et de photographe. C’est également un formidable moyen de laisser le spectateur face à son propre jugement, ses propres émotions. Comme un miroir de nos peurs et de nos craintes, de nos joies et nos aspirations. Une identité qui renvoie à une certaine conception du documentaire à l’instar d’un Frederick Wiseman, documentariste américain, au style très épuré, également sans voix off, dont la motivation de capter l’instant est similaire à Depardon.
La mise en scène de Depardon, elle, est dépouillée de toute fioriture : il filme en un seul plan large, de profil, coupé à la taille, afin de capter l’authenticité des dialogues, des regards, du langage des mains et du corps : « Filmer les gens de profil met les gens incroyablement à l’aise, ils oublient facilement la caméra. Et quand il y a une réelle écoute de la personne en face de soi, on se confie plus facilement. J’aime que les gens soient à l’aise et se lâche facilement, j’aime être un lampadaire, être invisible, c’est mon dada de cinéaste. En plus il y a une certaine beauté, une élégance à filmer les gens de profil ». De plus, le fait de filmer en pellicule rajoute du grain à l’image, captant très naturellement les teints particuliers et les couleurs de chaque endroit de la France.
En procédant de la sorte, sa matière est forcément riche et diversifiée : des relations aux sujets abordés, Depardon laisse le spectateur face à des situations dures, amusantes et soudaines. C’est avec cet oeil attendri que le cinéaste de 73 ans nous présente ces tranches de vie et leur rend hommage : « Je voulais connaitre les préoccupations des Français et récolter des accents, des manières de parler, en partant du principe qu’il y a une France dont on ne parle pas, celle des villes moyennes ».
On y découvre, au travers des 25 couples de tout âge, des relations familiales complice et en perdition, des couples amoureux et en crise, des confidences dures et amusantes. Au final, c’est tout une panoplie de thèmes comme le divorce, le deuil, l’adultère, la jalousie, la drogue, la complexité des relations qui sont présentés sous nos yeux ébahis. Cette variation de tons permet de ne jamais tomber dans le misérabilisme. Une prouesse due à la finesse du montage, à l’intelligence du dispositif – une caravane simple et pas ostentatoire – en sachant garder l’imprévu en ligne de mire. Les touches de musiques aussi graves qu’enjouées permettent entre deux confidences d’en saisir toute la force et la singularité. Finalement, on écouterait presque éternellement la vie de ces gens, les une heure vingt passant comme un éclair. Il nous donne des nouvelles du pays, des gens de tous les jours, dont on parle peu, avec sincérité et douceur. C’est peut-être là l’essentiel.
A lire aussi dans Cinéma :
Mandarines : réflexion douce et saisissante sur la guerre
L’Académie des muses : du cinéma inspiré
César doit mourir : Shakespeare monté en prison par les frères Taviani