La 2CV verte : le vrombissement d’un père pour son fils
Par Romain Rougé – La célèbre « deudeuche », héroïne d’un roman ? Oui et non. Manu Causse, l’auteur, nous invite à monter à bord et en même temps, à pousser la porte de son monde énigmatique, onirique et quelque peu perturbé. La 2CV verte est un roman sur la paternité tout autant qu’un récit sur la folie humaine.
Un père et un fils partent en virée dans une « deuche » de couleur verte et vont tisser des liens qu’ils n’ont jamais eu. Car ledit enfant est « vide » : pas d’émotions, aucun mot ne sort de sa bouche, une maladie orpheline, une forme d’autisme que rien ni personne ne peut expliquer. Le père n’est pas mieux servit : « Une sorte d’astre sombre, de trou noir peut-être. »
Avant « l’enlèvement » par le père, le chérubin est placé en institut spécialisé et reçoit les visites ponctuelles de ses parents divorcés et désabusés : « Rien n’est arrivé comme ils l’auraient cru. Shit happens, disent les Américains. Mais le pire, c’est ce qui n’arrive pas. Avoir un enfant, par exemple – le père et la blonde n’ont jamais eu d’enfant. A la place, ils ont eu Isaac. Comme on attrape une maladie. »
Au fil des pages, d’autres « illuminés » apparaissent pour éclairer l’énigmatique passé du père ou tout simplement l’histoire : un vieil oncle blasé, une ado fantasque, un gendarme amateur de champignons, des fantômes et un chaton qui parle. On embraye sur un ton dramatique ou poétique, on débraye sur un style décalé ou étrange, sans ménagement. Comme le disait Blaise Cendrars, « la folie est le propre de l’homme ». La 2CV verte en pourrait être une illustration, caractérisée en premier lieu par Eric Dubon, « le père » et Isaac, « l’enfant ». Alterner noms communs et noms propres pour désigner les personnages est déjà, en soit, le signe pour le lecteur que quelque chose en tourne pas rond. Du « vieux » qui ne s’est jamais remis de la mort de sa femme, « un homme sans moteur, sans batterie, sans rien qui le pousse », à l’adolescente alcoolique et amatrice de joints qui parle à « son papillon intérieur ».
Un melting-pot mental et relationnel qui conduit le lecteur à espérer que les choses ne finissent pas trop mal entre le père et l’enfant. Surtout lorsque l’analogie avec l’histoire biblique d’Abraham et son fils vient en renfort. Fil rouge et clé de l’histoire, les pérégrinations d’Eric et d’Isaac dans La 2CV verte : « C’est l’histoire d’un père qui emporte son fils dans une citrouille verte mais qui ne sait pas le sauver. L’histoire d’un père et de son fils avalés par le gouffre du silence. »
Sous cet aspect teinté de noirceur, c’est aussi un roman dont le moteur est l’espoir, que l’on entend vrombir page à page, malgré les pannes affectives. En avant !
La 2CV verte
Roman de Manu Causse
Editions Denoël
304 pages – 18 €
A lire aussi dans Les Romans :
Craig Shreve : un récit fraternel dans un monde noir et blanc
Roselyne Durand-Ruel : un sujet contemporain pour Les ailes du désespoir
Stephanie Janicot : Newland, une certaine vision de l’avenir