Simone de Beauvoir : entre symbole du féminisme et narcissisme
Par Marc Emile Baronheid – Sacrée Beauvoir ! Elle continue d’aimanter des groupies et non des moindres. Comme si quantité de lectrices étaient définitivement frappées de cécité. Aujourd’hui une autre voix se fait entendre, salubre et dissonante, révélant une reine dépouillée de ses leurres.
Parmi les vestales historiques, Julia Kristeva : « La vie et l’œuvre de Simone de Beauvoir (1908-1986) cristallisent une révolution anthropologique majeure, préparée collectivement de longue date par les deux sexes, et qui ne cesse de produire des effets imprévisibles sur nos destins personnels et sur l’avenir politique de la planète ». Telle est la bande de lancement de la réédition de quatre études consacrées à l’aristocrate, philosophe existentialiste, symbole de la cause féministe. La suite est à l’avenant, les lignes les moins enthousiastes promettant « des lectures personnelles et des commentaires admiratifs ou critiques que suscite en moi une expérience fondatrice dont les nuances et l’actualité n’ont pas fini de nous interpeller et de nous surprendre ».
L’approche de Marie-Jo Bonnet conjugue rigueur et liberté d’en découdre avec le mythe de la grande intellectuelle, femme libre, transparente et épanouie. Il s’agit ici de dévoiler celle qui n’assumait pas ses gourmandises et dont les paravents dissimulaient un narcissisme démiurgique, un clivage mesquin entre la clarté de l’énoncé philosophique et une vie aux multiples désirs, aux appétits insatiables. Jusqu’à penser sans vergogne que la justification de sa vie tiendrait indéfiniment dans son œuvre ? La correspondance de cette Emma Beauvoiry regorge de jalousie, de faux-fuyants, d’orgueilleux désir d’exclusivité malgré l’acquiescement à des étreintes interchangeables, de manipulations piteuses. Elle qui adorait plastronner en tête de gondole dans les cortèges dévoués à la cause du peuple féminin jouerait assurément des coudes, aujourd’hui, parmi les hétaïres dépoitraillées et réclamerait la tête de Marcela Iacub.
Lire Marie-Jo Bonnet, c’est adhérer à une opération de salubrité morale.
Le féminin accapare l’attention de Gérard Pommier, psychiatre et psychanalyste. Son essai part de l’interrogation fondamentale d’Aristote sur l’existence d’une âme féminine, pour rejoindre une Annie Le Brun, exemple de lucidité face aux pantalonnades du féminisme guerrier (« la bêtise militante »). Tout au long de son essai, Pommier considère quantité de prismes fondamentaux, avançant subtilement des pions suivis de points d’interrogation, lorsqu’il lève quelque lièvre. Et ce n’est pas rare, conférant une qualité certaine à cette exploration littéraire et politique qui a le bon goût et la clairvoyance de privilégier le féminin au féminisme, de préférer l’original à la caricature.
« Beauvoir présente », Julia Kristeva, Pluriel. 6,50 euros
« Simone de Beauvoir et les femmes », Marie-Jo Bonnet, Albin Michel. 22 euros
« Feminin, révolution sans fin », Gérard Pommier, Pauvert. 19 euros
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