Exposition : Victor Hugo et l’amour

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Par Virginie Lérot – La maison de Victor Hugo à Paris convie le visiteur à une délicieuse découverte de l’éros hugolien, entre pudeur et excès, lyrisme et passion. De la plume à la chair, on navigue sur une mer tumultueuse qui, d’un bout du siècle à l’autre, conte une belle histoire de l’érotisme.

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La jeunesse et l’idéal
Le jeune Victor est un romantique, à n’en pas douter. Sérieux, grave même, il se fiance en secret à Adèle, puis l’épouse. C’est une union spirituelle autant sinon plus que physique. L’œuvre est à l’unisson, qui loue l’amour pur et chaste et condamne les soubresauts bestiaux de la luxure – celle qui enflamme Frollo, par exemple. Les remarquables illustrations de Louis Boulanger pour Notre-Dame de Paris, mises en regard des gravures de René Berthon d’après Vivant-Denon ayant servi à imager Le Moine de Matthew Gregory Lewis, manifestent la dimension gothique du roman hugolien.
Encore dominé par le conformisme moral, l’écrivain bride sa nature profonde pour poursuivre un idéal.
Son Esmeralda est le modèle insurpassable de la femme victime des passions mâles, condamnées déjà dans une lettre que Victor adressait à Adèle le 23 février 1822 : « Je pense également que la pudeur la plus sévère n’est pas moins une vertu d’obligation pour l’homme que pour la femme ; je ne comprends pas comment un sexe pourrait répudier cet instinct, le plus sacré de tous ceux qui séparent l’homme des animaux. »

Les années tumultueuses
Tout change bientôt. Alors qu’il accède à la gloire, Hugo connaît une rupture dans sa vie privée : Adèle, qui a entamé une liaison avec Sainte-Beuve, lui rend sa liberté – même si le couple reste évidemment marié, contexte oblige. C’est le début d’aventures amoureuses nombreuses. La liaison passionnée (et durable) avec Juliette Drouet ouvre de nouveaux horizons charnels au poète. Puis, ce sont aussi les comédiennes et courtisanes, la séduction devient un jeu permanent, jusqu’à la révélation de l’adultère avec Léonie Biard, en 1845, qui fait scandale. Meurtri, Hugo réclame la « liberté d’aimer », par-delà les carcans ineptes imposés par la morale et la religion.
Dans son œuvre pourtant, il continue à taire la sexualité. Le recueil des Orientales, certes empreint de sensualité, ne verse jamais dans l’explicite, pas plus que les pièces (Hernani, qui provoque une bataille fameuse, Lucrèce Borgia et Le roi s’amuse, où affleure l’inceste) ni les romans. Il existe une frontière invisible et infrangible entre la vie privée, agitée, parfois aux limites du sordide, et les écrits ; du moins, les écrits publiés, car les écrits privés, publiés pour certains de manière posthume, lèvent le voile sur un Hugo plus ardent et cru, qui savait se tourner en dérision à l’occasion, notamment à travers le personnage de Maglia, coquin désenchanté et moqueur. De touchants exemples de lettres d’amour sont également proposés à notre voyeurisme, tandis que sur les murs, l’art d’Achille Devéria, Constantin Guys, Théodore Chassériau, entre autres, illustre le tourbillon des sens et l’effervescence de la vie parisienne. Sans oublier les lithographies érotiques, anonymes ou non, et dessins pornographiques de Francesco Hayez qui rappellent combien le sexe captivait ce siècle apparemment corseté dans une morale rigide.

La femme, encore et toujours
« Non, rien ne nous dira ce que peut être au fond
Cet être en qui Satan avec Dieu se confond. »
(Toute la lyre, III, 3)

« Cet être », c’est la femme. Chez Hugo, elle est partout, multiple, diverse. Mystère fascinant, elle est créature de chair ou ange virginal, maîtresse fatale ou esclave soumise, Ève ou Marie. Il explore ses visages entre ténèbres et lumières, dessine son corps, le morcelle pour mieux le révéler : ici, un bas sur une jambe, là, une esquisse de silhouette toute en ondulations. Passé la cinquantaine, l’auteur alterne périodes d’abstinence et moments de frénésie sexuelle, comme on le découvre dans ses carnets. Pareils à lui, les artistes de son temps ne cessent de creuser le sujet : peintres, sculpteurs, photographes tentent de saisir la femme à travers les femmes. La sensualité des pièces présentées dans cette troisième section enveloppe le visiteur, de la blonde Ève de Paul Baudry illustrant « Le Sacre de la femme » (poème de La Légende des siècles) aux belles photographies de Félix-Jacques- Antoine Moulin et Jules Vallou de Villeneuve, dont le Nu de dos érotise l’affiche de l’exposition.

Éros et Pan
Cette dernière section est l’apogée de la visite : réunies en un ensemble éblouissant, des œuvres de Félicien Rops, Arnold Böcklin, Martin Van Maele, Auguste Rodin, entre autres, exaltent l’éros infini, cosmique, celui-là même qui souffle dans certains textes de Victor Hugo, tels Les Travailleurs de la mer (sublime combat cruel et lascif de Gilliatt contre la pieuvre, ici imagé par des œuvres de Rops, Hokusai et Hugo lui-même). L’érotisme se fait violence et libération tout à la fois, il excède la chair pour s’élancer vers l’infini. Hugo renoue avec une sorte de panthéisme et célèbre le dieu cornu devant qui même les Olympiens doivent céder :

« Amour ! tout s’entendra, tout étant l’harmonie !
L’azur du ciel sera l’apaisement des loups.
Place à Tout ! Je suis Pan ; Jupiter ! à genoux ! »
(La Légende des siècles, VIII, « Le Satyre »)

Sous le ciseau de Rodin, cet autre faune sulfureux, le poète chenu devient l’incarnation de cette toute-puissance du désir qui gouverne l’univers. Nu, avachi et cependant empli d’énergie, l’Hugo-satyre nous attend en fin de parcours. Et l’on comprend alors que l’éros a nourri la démesure de ce génie universel, depuis l’origine, que ce soit à travers l’idéal extatique des débuts ou l’élan sauvage des poésies tardives.
On voudrait ne jamais quitter cette salle, et demeurer dans ce grand tout de l’art, si loin au-dessus de notre réalité quotidienne !

Éros Hugo. Entre pudeur et excès
Jusqu’au 21 février 2016
Commissariat : Vincent Gille
Maison de Victor Hugo
6 place des Vosges, 75004 Paris
Tél. 01 42 72 10 16 – Site internet : www.maisonsvictorhugo.paris.fr
À dévorer ou à offrir : le très beau catalogue d’exposition, Éros Hugo. Entre pudeur et excès, collectif, Paris, éditions Paris Musées, 2015.

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