Ingrid Naour : un court roman où chaque ligne est un sourire

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Par Eric Yung – Avec « Les trous de conjugaison », Ingrid Naour, nous offre un court roman où chaque ligne – enfin, presque – est un sourire.

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Ce livre qui rompt avec le conformisme de notre époque est réjouissant tant l’héroïne principale interprète, avec des mots joyeux, un hymne permanent à la fête et à l’espoir. L’histoire est simple et se confond avec celle de Trinité Bréti, personnage phare du roman, une bonne vieille cht’i qui n’a connu que le Nord de la France et son « petit appartement de la rue des Comtesses à Seclin » là « où sa vie a laissé tant de miettes ». Suite à l’héritage inattendu « d’une cousine au second degré de sa mère », Trinité devient propriétaire d’une maison qui fait « soixante mètres carrés au sol et qui jouxte un terrain de cent dix mètres carrés ». Une bicoque située en Normandie, à Ménilles exactement, et qui devient sa nouvelle adresse parce qu’elle a choisi de « changer d’horizon (…) pour ne pas finir emmurée vivante entre ses souvenirs et ses habitudes ». Compte tenu des relations profondes et chaleureuses qu’entretiennent entre elles Berthe et Simone (les deux plus proches amies de Trinité) on se dit que ce déménagement est le prélude à la triste fin d’une histoire d’amitié avec son habituel lot de clichés. Ouf, il n’en est rien ! Trinité est convaincu que « partir, c’est renverser la table et faire un pied de nez à la vieillesse dont elle refuse les avances ». Alors, elle sait que ces amies, celles de Seclin, lui seront fidèles. Et à Ménilles elle en fera de nouvelles. D’ailleurs, il y a déjà Badia et Denis qui roulent dans une vieille deux chevaux camionnette et dont le « moteur tousse plus qu’un bronchiteux-chronique », il y a les membres de la fanfare locale qui « entament quand ils la voient, un vibrant Ca ira ! », il y a Marcelle qui tiens la permanence des « Premiers mots », une association qui aide les analphabètes et puis il y a, Le Toqué, son pote kinésithérapeute qui est hypocondriaque. Tout ce beau monde sait rire, fait la fête, cultive la solidarité et organise, les jours de marché, des manifs pour pouvoir chanter la révolution et « émoustiller » le bourgeois. Après tout, comme aime le dire Trinité « le désordre est une fête ». Mais, parfois, le désordre s’accompagne de quiproquo… « Un jour, raconte Trinité à son amie Simone, je faisais le lézard sur le parvis d’une basilique, quand deux louveteaux sont venus m’interviewer pour la radioamateur de leur camp de scouts. Huit, dix ans, pas plus, les mioches. Il fallait que je leur raconte ma première communion. J’ai surtout parlé de mon cadeau, une montre (…) Le problème, c’est que, ensuite, ils m’ont demandé ce que représentait pour moi l’hostie. Il faisait si chaud, tu comprends, alors, sans réfléchir, j’ai répondu : une fellation (…) Il ne devait pas connaître le mot. Il a bien fallu que je leur explique (…) Je me suis contentée de leur dire : voilà ! Vous êtes agenouillés devant l’autel, vous fermez les yeux, ouvrez le bouche. Ensuite, il faut sucer sans mordre et avaler cul sec. Les gosses m’ont dit merci (…) mais ils ne m’avaient pas dit que l’interview était retransmise en direct par haut-parleurs sur le parvis de la basilique. J’ai failli me faire lyncher par les mégères ».

« Les trous de conjugaison » (un titre peu banal dont on découvre le sens au cœur de l’ouvrage) est une sorte de conte philosophique dans lequel le prolo (un tantinet idéalisé par Ingrid Naour) a la fortune près du cœur et conjugue le verbe aimer au présent . Un livre réjouissant à lire de toute urgence.

Les trous de conjugaison
d’Ingrid Naour
Editions Cherche Midi
11,80 euros

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