Georges Bernanos : la Pléiade à tribord
Par Marc Emile Baronheid – Après d’Ormesson l’arrivée, voici Bernanos le retour. On veut croire que seuls l’ambition d’une certaine qualité et le souci de ne négliger aucun souffle sur la girouette intellectuelle président aux destinées de la collection.
Le premier roman de Bernanos (1888-1948), Sous le soleil de Satan, paraît en 1926. L’auteur, inspecteur d’une compagnie d’assurances, l’aurait écrit pendant ses tournées, dans les wagons de chemin de fer et les buffets de gares. Au jeune Malraux qui lui fait part de son enthousiasme, Gide rétorque : «cette chose m’est contraire». C’est que «Bernanos mettait brutalement en question tout ce que “l’Europe la plus cultivée” pensait de la création romanesque», se souvient Malraux en 1974. Cette «heureuse négligence» des lois du roman ne laissera pas de déconcerter. Le succès de ce livre permettra à l’auteur de quitter les assurances pour vivre de sa plume et de construire une œuvre accompagnée par les polémiques. Il est vrai que la complaisance n’est pas le fort de Bernanos, pas plus que les choix et les fréquentations politiques. Il ne ménage rien ni personne, et tout le monde le lui rend bien. « Bernanos est le préposé au dégoût : il n’est pas obligé, lui, de ravaler son fiel. Atrocement injuste à l’égard des individus, il ne l’est pas à l’égard de son époque, qui est une basse époque, il faut en convenir » (François Mauriac). Son pamphlet « La Grande Peur des bien-pensants » (1931), l’engagera dans une vive polémique avec ses anciens comparses de l’Action française. Aucunement comptable des sympathies politiques que Bernanos éprouva d’abord pour les insurgés franquistes, lors de la guerre d’Espagne, Gallimard reprend la garde-robe romanesque, estimant venue l’heure de rééditer l’œuvre dans son ensemble, en ne négligeant rien des documents accessibles à qui sait les découvrir, et en n’hésitant pas à revenir sur des traditions éditoriales qui ont entraîné des habitudes de lecture. En 1934, une partie d’Un Crime avait été refusée par Plon. On vient de retrouver le manuscrit écarté. Publié ici pour la première fois, il permet aussi d’établir un meilleur texte pour Un mauvais rêve, roman né du refus partiel d’Un Crime et resté inédit du vivant de l’auteur. Autre ouvrage posthume, et célébrissime, Dialogues des Carmélites : on en propose une édition qui fait clairement apparaître l’état du manuscrit laissé par Bernanos à sa mort (1948). Pour les romans publiés par l’écrivain, on est revenu aux particularités des éditions parues de son vivant, y compris pour Monsieur Ouine, jusqu’alors disponible dans une version augmentée en 1955 ; les pages ajoutées à cette date figurent désormais à leur place : en appendice – comme de nombreux autres documents, extraits de manuscrits, entretiens ou lettres. La voix qu’ils font entendre est la même que celle des romans (et des essais) ; Bernanos ne cherche pas à persuader son lecteur ou son interlocuteur : il veut le toucher. Y parvient-il encore, ou ces lignes de Kleber Haedens étaient-elles prémonitoires : « Il n’a aucun goût pour la vérité, ce qui est intolérable chez un polémiste. On peut se demander s’il sera longtemps possible de lire Bernanos. La réponse est douteuse ».
« Oeuvres romanesques complètes », Georges Bernanos, tome I.
Édition de Pierre Gille, Michael Kohlhauer, Sarah Lacoste, Élisabeth Lagadec-Sadoulet, Guillaume Louet et Andre Not. Préface de Gilles Philippe . Nouvelle édition. Chronologie par Gilles Bernanos, Gallimard Bibliothèque de la Pléiade, 55 euros (prix temporaire)
« Oeuvres romanesques complètes suivies de Dialogues des Carmélites » Georges Bernanos, tome II.
Édition de Jacques Chabot, Monique Gosselin-Noat, Sarah Lacoste, Philippe Le Touzé, Guillaume Louet et Andre Not . Nouvelle édition. Chronologie par Gilles Bernanos, Gallimard Bibliothèque de la Pléiade, 65 euros (prix temporaire)
Lire aussi dans Classique :
Jean-Bertrand Pontalis : le sacre du printemps éditorial de 2015
Louis-René des Forêts : une oeuvre rare, secrète et méconnue
Le marché du livre : l’été des produits frais et comestibles
Mark Twain : l’écrivain qui ne jurait que par la vente par souscription