Koffi Kwahulé : un livre dérangeant

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Par Laurence Biava – bscnews.fr / Koffi Kwahulé est l’auteur de nombreuses pièces de théâtre jouées un peu partout dans le monde. Il se réclame volontiers du jazz, avec ses fractures sur fond de basse continue. Lauréat 2006 du Prix Ahmadou Kourouma pour son roman Babyface, Grand Prix ivoirien des Lettres la même année, Kwahulé a également reçu le Prix Edouard Glissant, destiné à honorer une œuvre artistique marquante de notre temps. Nouvel an chinois est son troisième roman. C’est un récit attachant. Drôle et vivant. Inattendu, singulier. Un roman d’apprentissage singulier.

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Un récit qui se déroule sur plusieurs niveaux d’écriture. Le premier est romanesque, qui narre et arpente la vie de personnages qui vivent en communauté ; le second plonge dans l’onirisme et déambule de manière hétéroclite parmi les fantasmes incestueux du personnage principal : Ezéchiel. Se greffent dans ce scénario plein d’étrangeté un type funeste ainsi que quelques personnages féminins livrés à eux-mêmes. En particulier une certaine Melsa Coën qui propose un drôle de marché. Un marché cependant plutôt louable, prétexte pour faire sortir l’adolescent Ezéchiel de son enfermement..
C’est un monde cabossé et en rade que nous raconte Kwahulé. L’histoire d’une famille éclatée. Ezéchiel, recroquevillé dans son autisme temporaire, plonge dans ses fantasmes aussi flamboyants que débridés. Le second énergumène, répondant au nom de Demontfaucon prend une stature de prédicateur depuis son balcon en appelant les autres habitants du quartier à venir l’écouter. Et dans ce récit rythmé qui brinquebale en permanence d’un personnage à l’autre, on ne sait jamais trop, quand défile le carnaval chinois dans le quartier Saint-Ambroise, entre la place Léon Blum et le boulevard Richard Lenoir. C’est en tout cas l’hiver, un jour de janvier ou février, quand le ciel s’assombrit. Et c’est là que des choses étranges adviennent.
Un jour, au milieu des couleurs criardes, au son des gongs et des cymbales, revient le funeste Nosferatu, individu irréconciliable qui prêche même la nuit du haut de son balcon, porté par le souffle de Nabucco, à plein volume.
L’intrigue séduit grâce à son écriture musicale. Répétitive, et cadencée. Elle vampirise littéralement le lecteur, séduit par tant de lyrisme. Ce n’est pas un hasard si Ezéchiel, depuis la mort de son père, écoute Back to Black d’Amy Winehouse, en boucle entre les murs de sa chambre. « Nouvel an chinois » possède une énergie particulière. L’écriture est syncopée, répétitive, hésitant entre la fascination et la répulsion qui portent les personnages de cette tragédie. Souvent, des phrases assimilables à des boucles musicales que l’on retrouve dans certains genres musicaux ponctuent le récit aussi sensible que musical
Les sonorités sont partout. Kwahulé s’est concentré sur l’écriture elle-même, sur la manière dont la langue chante. Avec ses monomanies musicales, l’écriture plonge dans l’imaginaire en permanence, elle réinvente un rêve sans limites et c’est alors que l’oralité de certains passages, en raison de leur sonorité, prend toute son ampleur et tout son sens. Manière efficace d’appuyer la douleur du jeune héros jusqu’à son âge adulte, entre semi-rêverie et vie cauchemardesque.
On aime dans « Nouvel an chinois » ces délires qui débordent, ces situations complétement décalées. L’atmosphère est parfois pesante, comme l’est celle d’un huis-clos. Les personnages oppressés s’observent trop, d’où l’épilogue brutal. Fatal.
Il faut lire ce livre dérangeant, en dépit du mal-être et des interrogations qu’il suscite.

Koffi Kwahulé – Nouvel an chinois
Editions Zulma
235 pages

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