Erri de luca et ses mémoires marines
Par Félix Brun – bscnews.fr/ Trois nouvelles, trois joyaux d’écriture, trois paraboles de la beauté, de la sensibilité de la vie, malgré la brutalité des hommes.
Vers les îles grecques de la Mer Egée, « Cette petite terre est un des bords ébréchés de l’Europe », un vieil écrivain nous conte l’histoire, aux intonations mythologiques, magiques, d’une créature farouche, primitive, fille des vagues et des dauphins. Les paysages de soleil, de lumières et d’eau y sont magnifiques, féériques, éblouissants : « La lumière a un poids, à l’aube c’est de l’aluminium, au couchant c’est du cuivre, au milieu c’est du plomb. » La mer y est sublimée, elle donne vie, elle symbolise l’égalité, la justice : « La terre est haute et basse, elle n’égalise pas les destinées. La mer est plus juste, si une vague s’élève plus haut que les autres, ensuite elle descend. »
Le deuxième récit, c’est une page de la vie d’Aldo, le père d’Erri de Luca, qui, en 1943, pour échapper à l’occupation allemande, fuit sur l’île de Capri. Avec plusieurs compagnons de fortune, ils vont conjuguer leurs efforts dans la recherche de la liberté ; ici encore la mer est témoin et complice de cette quête en compagnie d’un vieux juif qui emmène avec lui le Livre, qui subjugue Aldo. Dans la tolérance forcée, et avec la culpabilité des perdants, les jeunes italiens vont réussir leur traversée : « Il y avait une puissante main de justice dans la défaite de sa génération, il y avait une sentence à lire dans la destruction. Ils étaient en danger pour expier leur légèreté. »
La dernière histoire, très brève, est certainement la plus émouvante : elle raconte les dernières heures d’un vieux napolitain rangé sur les étagères de l’inutilité, de l’embarras, des boulets qu’il faut nourrir. Rejeté par les siens, il va trouver son dernier abri, son ultime refuge près d’un rocher proche de la mer.
Erri de Luca dans son écriture limpide, poétique, épurée, nous embarque dans une allégorie de beauté; il nous conte des fables, un monde merveilleux qu’il ponctue de pensées justes : « L’amour entre les créatures est le roi des exceptions, il est à la vie ce que l’hérésie est aux religions. »
Histoire d’Irène
Auteur : Erri de luca
Traduction : traduit de l’italien par Danièle Valin
Edition : Gallimard
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