Gérard Menant : « Lorsque le bijou et son écrin s’harmonisent à la perfection, cela crée une émotion »
Par Hugo Polizzi – bscnews.fr/ Pôle d’attraction important de la région Languedoc Roussillon, le Printemps de la Sculpture de Saint-Ambroix se tiendra du 14 au 25 mai 2015 dans le parc de la Filature Guisquet, en plein coeur du patrimoine cévenol. Les organisateurs, Gérard Menant et Anne-Marie Cassiers, ont choisi de mener cette 6ème édition autour du thème de l’eau. L’objectif premier : faire de ce rendez-vous artistique un carrefour d’échange, de partage et d’émerveillement. Gérard Menant nous a exposé en détail le fil rouge de l’événement.
Comment est née l’idée de fonder ce festival ? Et comment êtes-vous parvenu à vous démarquer d’autres salons français de sculpture organisés au printemps tels que ceux de Bressuire (Deux-Sèvres) ou de Chantilly (Oise) par exemple?
Ma compagne et moi-même sommes sculpteurs et nous habitons dans un lieu patrimonial exceptionnel, une ancienne filature vieille de 200 ans dans un parc arboré qui longe la rivière de la Cèze. Cet ensemble est bordé par une petite montagne, un demi-cirque qu’on appelle dans la région, un « ranquet ». Nous y organisions régulièrement des expositions mono-artistiques [Ndr : avec un seul artiste], puis la fréquentation de nos amis sculpteurs nous a poussés à élargir notre type d’expositions et nous avons ouvert nos portes à plusieurs sculpteurs en même temps. Le premier Printemps venait de naître en 2007. Nous étions 14 sculpteurs et, curieusement, ce fut un premier grand succès sans avoir d’objectif majeur, mis-à-part celui de partager ce lieu et l’art avec le public. A notre grande surprise, ce premier salon avait attiré 2000 personnes. En comparaison de cela, lors de la biennale 2013, plus de 100 000 personnes ont visité la manifestation. Je crois que la relation qui s’établit entre l’art, la nature et le patrimoine touche l’émotion du public. Face à ce franc succès, les artistes et notre association, nous ont encouragés à continuer. Nous avons donc organisé le Printemps de la Sculpture d’abord chaque année, puis en biennale. Le succès grandissant de ce rendez-vous réservé aux sculpteurs professionnels, nous sommes passés de 14 à 30 sculpteurs, puis 40, et nous sommes arrivés à en rassembler 50 cette année. Pour nous démarquer, nous ne cherchons pas l’originalité, nous avons simplement notre personnalité. Il se trouve que ce lieu est également le site d’un vignoble. Le vigneron est lui-aussi un artiste, un « vitisculpteur » si j’ose dire. Nous avons donc élargi les 10 000 m2 d’exposition de la Filature dans le chai. Ajoutons à cela, pour la première fois cette année, la création d’un « sentier des oliviers » en terrasse au-dessus de ce vignoble où le public se promènera au gré des sculptures. En fin de compte, l’origine du festival est le partage, maître mot de notre projet.
La Filature Guisquet revêt un important potentiel artistique. Elle reçoit des stages techniques proposés aux artistes céramistes et aux sculpteurs sur bronze et accueille des artistes en résidence de création. Cette année encore, l’ambassadeur de l’Uruguay en France, Omar Mesa, sera le parrain d’un programme prometteur : Hugues Aufray, en qualité d’invité d’honneur présentera ses bustes de bronze ; Gérard Haligon exposera sa collection privée d’oeuvres de Niki de Saint Phalle ; seront présents 50 sculpteurs professionnels et exposants, des artistes de l’Ecole des Beaux Arts de Montpellier, quatre sculpteurs sur bois des Beaux Arts de Montevideo. Quel est le secret pour attirer des invités et créer un événement d’une telle crédibilité auprès des professionnels et du public lorsqu’on est une association basée dans une petite commune française d’à peine 3500 habitants ?
Le premier atout est la particularité du lieu ; nous exposons essentiellement à l’extérieur, dans la nature, et la magie de ce site garantit une mise en espace hors-norme pour nos amis sculpteurs. Les mêmes sculptures exposées sur un parking n’auraient pas le même impact. Le second élément est l’accueil ; nous militons pour que l’art s’inscrive dans la nature et dans le patrimoine, et pour une certaine idée du partage. Nous ne sommes pas dans une optique « business ». De fait, se greffent des personnalités telles que l’ambassadeur uruguayen venu visiter l’exposition quelques années en arrière. Il se trouve que pour raison personnelle, je connais l’Uruguay, et nous nous sommes entendus sur un partenariat. Ainsi, entre l’Uruguay et notre projet, nous avons associé les écoles des Beaux-Arts de Montpellier et de Montevideo qui envoient, selon leurs disponibilités, des étudiants pour exposer. La partie parrainage est liée à la venue de deux professeurs de l’école des Beaux-Arts de Montevideo, et de deux de leurs étudiants qui vont sculpter le bois devant le public. Nous avons également la chance de travailler avec Mme Sun – qui représente les Beaux-Arts de Nankin – et Mme Aureli – qui représente l’UNESCO en tant que responsable internationale des réseaux d’eaux souterraines –. Puis, pour des raisons artistiques, nous collaborons avec des personnes qui travaillent sur les fontaines de Versailles, pour l’Elysée, l’UNESCO, le Musée Rodin, Daniel Buren, etc. Ces personnes nous ont encouragés à tourner notre production vers les fontaines. Nous allons créer une douzaine de bassins et de fontaines éphémères. Le titre est finalement : art, eau, patrimoine, interculturalité.
Le 6ème Printemps de la sculpture sera placé sous le signe de l’eau, mettant à l’honneur l’histoire de Saint-Ambroix et la Cèze, rivière qui avait déjà inspiré certains sculpteurs au cours des précédentes éditions. Vous vous êtes notamment entouré de nouveaux partenaires tels que Pascal Poncet et Dominique Raveraud, spécialistes des fontaines ayant déjà collaboré avec de grandes personnalités artistiques comme Daniel Buren ou Jean-Michel Othoniel. Votre objectif commun : introduire dix fontaines-sculptures et une noria au coeur de la manifestation. Pouvez-vous en dire davantage sur ces installations éphémères ?
Dans ce lieu bordé par la Cèze, la présence de l’eau se fait sentir car 200 m de jardin sont longés par cette rivière. Notre relation avec Pascal Poncet et Dominique Raveraud a fait émerger l’idée de fontaines. Ils nous ont précisé qu’ils pouvaient mettre à notre disposition des jets laminaires – jets d’eau qui ne font pas d’éclaboussures – et tout est parti de là. Puis, ils sont tous deux venus à la Filature pour des raisons professionnelles et nous ont dit qu’il fallait élargir le projet. Nous nous sommes demandé, avec nos amis sculpteurs les plus proches, si nous pouvions nous lancer dans l’implantation de fontaines. Certains d’entre eux ont créé des fontaines et d’autres se sont intéressés à la mise en espace de sculptures dans des bassins. A vrai dire, utiliser l’eau comme fil rouge est devenu un thème supplémentaire. Nous avons fait une réunion technique et tous ont joué le jeu. Nous avons, par exemple, une sculpture de 80 m de long qui descend du « ranquet » et qui investit l’idée de la fontaine en circuit fermée ; une structure de 80 m de mikados implantés dans la montagne, faite avec 1200 mètres de morceaux de bois, et qui se termine par un jet d’eau tombant dans un bassin. La programmation est née et s’est affinée au fil des rencontres artistiques et professionnelles. Les sculpteurs ont été intéressés par cette idée de thème qui les a stimulés. Des personnalités très connues dans la région comme Pierre Baey, Gérard Coquelin, Michel Wohlfahrt, ont créé une fontaine spécialement pour l’occasion.
Chaque année, la mise en espace des quelques 250 oeuvres est prévue de manière stratégique : le jardin devient une galerie à ciel ouvert pour les grands formats tandis que les terrasses garantissent un cadre intimiste pour les petits travaux et les matériaux vulnérables. Entre les vignobles Clos la Roque et les Cévennes gardoises, le parc de la Filature offre un lieu d’exposition idéal pour les artistes, les visiteurs et même les acheteurs. Pensez-vous que la programmation 2015 attirera une fréquentation supérieure aux 5000 habitués ?
Nous devrions, à coup sûr, avoir nos 5000 habitués. Ces personnes viennent pour un moment magique à la Filature, ils passent environ deux heures – deux heures trente à se promener dans le parc. Je pense que notre festival leur offre un moment privilégié, un instant d’émotion. Certains n’aiment pas toutes les sculptures qui y sont exposées, mais ils peuvent s’asseoir sur les bancs, se reposer, échanger, partager avec leur famille, leurs amis. Je crois que cette année propose un côté attractif et « people » avec des personnes comme Hugues Aufray mais par exemple, les œuvres de Niki de Saint Phalle vont attirer un public plus « élitiste », plus connaisseur de la sculpture. Cette exposition privée leur permet de voir ces raretés dans la région sans aller systématiquement à Paris ou à Montpellier. Elle comporte notamment deux œuvres emblématiques : une nana spécifique à Niki de Saint Phalle et Le Fou – élément de 2,14 m du Jardin des Tarots en Italie [Ndr : Toscane] où l’artiste a travaillé pendant vingt ans à ce projet de réalisation autour de sa propre histoire mais aussi en illustration des fameux tarots de Marseille –. Ces ouvrages se marient parfaitement avec le plein-air puisqu’en Italie, la pièce du Fou est exposée à l’extérieur. Selon les échos qui arrivent à nos oreilles, il y a déjà une envie de venir voir de près l’exposition sur Niki de Saint Phalle, notamment parce que tout le monde n’a pas eu l’occasion d’aller au Grand Palais pour l’admirer. Le public risque d’être plus nombreux et plus varié. Nous avons le sentiment que lorsque le bijou et son écrin s’harmonisent à la perfection, cela crée une émotion. Nos pièces se trouvent d’une part à l’intérieur et d’autre part dans le jardin. Un certain nombre de personnes n’osent pas entrer dans une galerie ; or, nous leur permettons de se promener très librement dans le jardin et dans le vignoble et lorsqu’ils rentrent dans les galeries ou dans le chai, nous ne leur demandons pas à tout bout de champ si les expositions leur plaisent.
La mairie de Saint-Ambroix, la communauté de communes « De Cèze Cévennes », le Conseil Général du Gard et la direction départementale du Gard ont toujours manifesté leur soutien à l’égard de ce rendez-vous artistique. Dans la mesure où l’intégralité de la manifestation est en entrée libre, quelles sont les retombées socio-économiques du festival pour les acteurs qui y sont impliqués ?
Il est clair que la venue de 5000 personnes crée une dynamique locale dans la ville. L’Hôtel du Clos des Arts [Ndr : commune de Les Mages à environ 4 kilomètres de Saint-Ambroix] et l’ensemble des gites ruraux de Saint-Ambroix et ses environs sont réservés par les visiteurs. Ajoutons à l’hébergement, l’impact sur les restaurants et les commerces. Par ailleurs, les sculpteurs vendent leurs œuvres et le vigneron proche de la Filature son vin. Nous allons prochainement évaluer cette dynamique économique avec la Chambre de Commerce et d’Industrie. Mais outre l’économie directe, le festival véhicule une image de Saint-Ambroix profitant à la communauté de communes et à la mise en valeur de cet espace.
Printemps de la Sculpture de Saint-Ambroix du 14 au 25 mai 2015
30 500 SAINT-AMBROIX
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