Sandra Patron : « l’artiste est le noyau autour duquel toutes les ambitions gravitent »

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Par Marie Der Gazerian – bscnews.fr/ Sandra Patron dirige depuis le 8 septembre 2014 le Musée Régional d’Art Contemporain (MRAC) Languedoc-Roussillon, basé à Sérignan. Familière avec les centre d’arts par passion, elle a mis en place un grand nombre de projets pour sensibiliser le public à l’art contemporain et pour inscrire ce dernier dans le territoire environnant. Son point de vue sur l’art semble tomber en adéquation parfaite avec les missions du MRAC, parmi lesquelles la volonté d’exercer une influence grandissante sur la sensibilisation et l’initiation des publics aux démarches artistiques contemporaines.Rencontre avec une directrice passionnée qui prévoit de donner au musée les moyens de ses ambitions.

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Vous êtes directrice du MRAC. Auparavant, vous étiez à la Friche de la Belle de mai Marseille, puis au Parc Saint Léger de Pougues-les-Eaux (Nièvre). La situation géographique du centre d’art que vous dirigez a-t-elle une influence sur votre travail ?
Oui, je pense que c’est une particularité française. Suite à la décentralisation, on a créé et développé des lieux d’art contemporain dans les territoires ruraux ou incongrus. Tout mon parcours est en droite ligne de cette tradition française. J’y vois la possibilité de donner au public une programmation internationale exigeante et de réellement poser la question du territoire. La question est aussi de faire en sorte que les gens entrent dans les lieux d’art contemporain (alors que même dans les grandes villes la difficulté est présente). À Pougues-les-Eaux, j’avais un ensemble de partenaires sur le territoire, autant dans le champ du théâtre, du cinéma ou de la danse que des partenariats plus incongrus comme les hôpitaux, les établissements scolaires, ou les musées patrimoniaux. Tous nous permettaient de donner accès à l’art contemporain de manière plus évidente et surtout plus conviviale. Je pense que, généralement, les gens qui sortent d’un lieu d’art contemporain sont contents : il faut faire en sorte qu’ils poussent la porte.

La région Languedoc-Roussillon possède un grand nombre d’établissements dédiés à l’art contemporain : le Carré d’art de Nîmes, le CRAC (centre) de Sète le FRAC (fond) de Montpellier par exemple. Quelle place souhaitez-vous donner au Musée parmi tous ces acteurs ?
C’est en effet l’une des régions françaises les mieux dotées entre les lieux d’art contemporain, les écoles d’art et les artistes qui vivent sur le territoire. Les lieux alternatifs permettent aussi de découvrir les artistes de demain, ce qui est très important pour les institutions. Je voyage beaucoup, j’ai à coeur de développer les partenariats régionaux. C’est un musée régional, la question du territoire se pose doublement car nous sommes à l’aube d’un agrandissement. Il y a un réseau en Midi Pyrénées qui fait de la communication sur leurs événements mais également travaille sur des enjeux communs. C’est un point de développement très intéressant d’autant plus que le MRAC est un lieu singulier : c’est assez unique d’avoir un lieu d’art contemporain de cette ampleur à quelques centaines de mètres de la plage. Cette singularité est aussi liée à son histoire, puisqu’il possède une collection issue de dons d’artistes : le musée est une mémoire de l’histoire régionale.

Vous avez mis en place un grand nombre de projets, que ce soit à Marseille ou au Parc Saint Léger, comme les Résidences d’artistes, ou le projet Hors-les-murs. Quels sont les principaux enjeux de la mise en place de tels projets ? Qui du public, de l’artiste ou de la structure est prioritaire ?
Je donne toujours la priorité aux artistes. Je pense que toute structure d’art contemporain, qu’elle soit un musée, un centre d’art ou une toute petite structure alternative, doit mettre au coeur de son projet la démarche et le travail de l’artiste. On doit préserver cette exigence car souvent les artistes nous aident à penser la structuration même de nos lieux et le rapport au public. L’artiste doit être au centre de nos institutions. Il est le noyau autour duquel toutes les ambitions gravitent.

Vous ne dirigez pas toutes les expositions programmées en 2015. Cette volonté d’ouverture aux autres regards est-elle pour vous essentielle au MRAC ?
Oui totalement. C’est une logique dans laquelle je suis depuis des années. Nous sommes dans un monde globalisé : il y a encore trente ans un commissaire pouvait prétendre avoir une vision globale de « l’art actuel » qui était à l’époque très occidental entre Europe et Amérique du Nord. Aujourd’hui nous voyons un développement des scènes sud américaines, asiatiques, russe ou africaines tout à fait passionnantes. Mais alors aucun commissaire ne peut dire « j’ai une vision précise de ce qu’est l’art contemporain ». C’est la raison pour laquelle les grands musées ont désormais des collectifs de commissaires aux multiples nationalités. Nous n’avons pas cette capacité, mais régulièrement j’inviterai des commissaires étrangers. Pour la programmation 2015, ils viennent du Mexique, foyer particulièrement passionnant. C’est une logique de travail que je vais sans doute amplifier dans les années à venir.

Comment vous tenez-vous au courant des éclosions artistiques du monde entier ?
On voyage, comme les directeurs de scènes nationales. Il faut voir de l’art et en voir le plus possible, même si on ne peut pas être partout. Internet est un relais extraordinaire, et certains évènements regroupent la grande famille du milieu de l’art. Dans quelques mois aura lieu la Biennale de Venise, notre Festival de Cannes, qui permet à la majorité des directeurs d’institution à l’échelle de la planète de se rencontrer. Un pavillon par nation donne une idée des enjeux par pays. Le développement est exponentiel, et l’on ne doit pas se laisser avoir par la tentation de l’exhaustivité, de toute façon impossible et épuisante. Il faut avoir des relais comme des commissaires étrangers ou même dans d’autres villes qui nous informent des nouvelles tendances.

Le principal souhait du MRAC, exprimé sur son site, est « d’exercer une influence grandissante sur la sensibilisation et l’initiation des publics aux démarches artistiques contemporaines ». Selon vous, existe-t-il un désamour du public envers l’art, ou est-ce simplement un manque de communication ?
J’ai commencé à travailler il y a plus de 15 ans et l’amour du public pour l’art contemporain ne cesse de croître contrairement à ce qu’on pourrait croire. Avant c’était un public de spécialistes. Je pense que de grandes opérations comme Nuit Blanche ou la FIAC créent un boom de fréquentations et pas seulement de professionnels. Un public large est allé à Versailles voir Jeff Koons ou à la Nuit Blanche, et vient peu à peu dans des centres d’art ou des FRAC. La fréquentation a fortement augmenté en quinze ans. Il est vrai qu’une partie non négligeable de la population dit toujours « c’est pas pour moi ». Cette difficulté doit nous pousser à nous remettre en question. Mais il y a des raisons pratiques, de budget par exemple, qui entravent notre affichage public. C’est alors difficile de communiquer sur nos actions. Et l’appréhension des œuvres d’art contemporain n’est pas toujours simple. Certains artistes sont dans un rapport émotionnel, sensuel, et d’autres dans des pratiques intellectualisées. C’est là que joue l’importance du travail de médiation de nos équipes. Il faut se dire « je ne sais pas ce que je vais voir ». C’est compliqué dans une société où l’on est abreuvé de bandes-annonces qui disent exactement ce que nous allons voir (comme dans le cinéma de divertissement que, par ailleurs, je peux tout à fait aimer). Il existe un contrat de confiance entre les publics et nous. « Je ne sais pas, mais j’ai envie de découvrir quelque chose. Peut être que je ne vais pas aimer, peut être que je vais me poser des questions. C’est un lieu de rencontres, du débat, et quand bien même je n’aime pas, j’ai des gens sur place avec qui échanger et discuter ». Ce sont de vrais espaces de rencontre et de discussion.

La médiation fonctionne bien ? Est-ce que les gens vont vers les médiateurs ?
Le livre d’or du musée parle plus des médiatrices que des expositions ! (rires) C’est vraiment une singularité. Les médiatrices vont au devant du public. Il ne s’agit pas de délivrer un savoir dans une relation professeur élève mais qu’une discussion s’engage. Chacun avec ses champs de compétences est capable de regarder une œuvre et d’en livrer une analyse. C’est aussi un frein qu’on doit lever car très souvent le visiteur conclut « je n’ai pas les clés donc je ne peux pas comprendre » mais non ! Nous avons tous des clés de lecture, pas nécessairement liées à l’histoire de l’art. Au Centre d’art, j’avais mis en place un cycle « Les œuvres d’art ne parlent pas que d’art » et, pour chaque exposition, j’invitais quelqu’un qui avait un métier et donc un champ de compétences à faire une visite de l’exposition. J’ai invité par exemple un psychiatre, un architecte puis un magicien. Ces gens utilisaient leurs savoirs pour organiser leur visite de l’exposition et décrypter les œuvres qu’ils avaient face à eux. C’était une manière de dire au public « vous voyez, nous avons tous des savoirs, et nous sommes tous capables de regarder une image ». Il faut que l’on apprenne à regarder les images, à les décrypter, à les voir avec un œil critique et à ne pas se laisser flouer par elles. Il y a un enjeu politique : il faut apprendre à regarder, et regarder n’est pas quelque chose d’inné.

Que pourra-t-on découvrir dans les mois à venir au MRAC?
À partir du 14 mars, le MRAC présente le projet « Le Musée des erreurs » de Pierre Leguillon. Ce n’est pas innocent de commencer ma programmation sur cette question-là, qui pointe du doigt ce que je viens de vous dire. L’exposition pose la question du lieu « musée » symbole de l’autorité qui décrète « ceci est une œuvre d’art ». Il essaie avec de l’humour et beaucoup d’humilité de dire que l’on ne doit pas se laisser imposer une histoire officielle, mais que l’on peut aussi imaginer des musées personnels. Pierre Leguillon ne va nous présenter que des œuvres entrées dans le champ de la diffusion de masse, qui est aussi un moyen de questionner la valeur marchande des œuvres d’art. Le public par exemple se demande et nous demande comment un Koons peut valoir 15 millions d’euros. Pierre Leguillon a voulu prendre cette question à l’envers avec le choix des reproductions. Pourquoi la reproduction d’une œuvre n’aurait pas autant d’intensité émotionnelle que l’œuvre elle-même, puisque c’est celle que vous allez mettre dans votre salon et qui va exister dans votre quotidien et votre mémoire ? L’exposition se présente comme une immersion dans internet. Vous allez avoir des centaines d’images et donc en pointer certaines, par curiosité. Cette exposition perturbe la médiation classique : elle sera plutôt de l’ordre de la performance et de l’histoire. Nous sommes en train de travailler à un projet d’extension. Le musée va gagner 500m2 en février 2016 et sur la façade extérieure j’ai invité Bruno Peinado (artiste montpelliérain) à imaginer une œuvre monumentale et pérenne. Après Daniel Buren, une autre génération d’artiste va imaginer une œuvre très forte qui marque le musée.

Musée Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon
146 Avenue de la plage
34410 Sérignan

Ouvert du mardi au vendredi 10h-18h & les week-ends 13h-18h.

> Toutes les informations sur http://mrac.languedocroussillon.fr/

Vernissage « Le Musée des erreurs » avec Pierre Leguillon et Sandra Patron le 14 mars 2015.

Autres expositions du 14 mars au 7 juin 2015:

Cabinet d’arts graphiques : « Les rituels du dessin I » carte blanche à la revue de dessin Roven.
Nouvelles acquisitions : « Portrait de l’artiste en jeune homme »
Eleonore Flase : « Il suffit de son bras soulevé pour arrêter de faire reculer le soleil »

Du 27 juin au 13 septembre 2015:

Francisco Tropa : un artiste portugais entre le sensible et l’intelligible
Mariana Castillo Deball : artiste mexicaine qui lie le concept à l’esthétique sensuelle et innovante
Hicham Berrada : artiste-scientifique qui mêle intuition et connaissance, science et poésie.
Cabinet d’arts graphiques : « Les rituels du dessin II » carte blanche à la revue de dessin Roven, deuxième volet.

À partir de novembre 2015

Exposition de Bruno Peinado.
Inauguration de son œuvre permanente sur la façade du MRAC en février 2016.

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