Pierre Autin-Grenier : un virtuose de la forme brève

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Par Marc-Emile Baronheid – bscnews.fr/ Le savoir-mourir est une forme peu pratiquée de savoir-vivre. Rares sont nos contemporains qui la maîtrisent, en particulier dans les milieux médiatisés. Raison de plus pour nous intéresser à ce diable de Pierre Autin-Grenier, parti, on l’imagine, en chuchotant dans sa barbe « merci pour ce moment ». P.A.G. (Lyon 1949 – Lyon 2014) était un virtuose de la forme brève, allure qu’il a adoptée jusque dans sa vie, puisqu’il est parti à un âge où les choses sérieuses menacent de commencer.

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On lui doit notamment Je ne suis pas un héros, Toute une vie bien ratée, L’éternité est inutile, trilogie regroupée sous le titre Une histoire (Gallimard). Il écrivait pour le plaisir de quelques-uns, des livres d’humour et donc d’amour, à cent lieues des balivernes du temps. Ses amis se comptaient sur les doigts de l’humain. Quelques-uns, qui s’honorent de son affection, lui rendent un hommage collectif tout de retenue, de pudeur et de proximité intellectuelle. Il paraît conjointement avec « Analyser la situation », tombe à retardement qu’Autin-Grenier a terminé avant d’aller arroser ses radis bleus. Dans un ultime morceau de bravoure, il parle de sa maladie avec cette sorte de panache dont on sait ce qu’ il coûte, quoi qu’il en dise, à celui qui le déploie. Même si son cancer et lui sont sur le point de partir en vacances ensemble, ils ne s’entendront jamais comme lurons en foire. On ne lèche pas la main qui vous poignarde. On l’accable de ce style, de ce détachement altier, de ces soliloques roboratifs qui ont fait de votre oeuvre un ensemble de remonte-pentes pour taupes rigolardes. On analyse la situation, certes, mais on exige du lecteur le même sang-froid et une jubilation partagée. Lorsqu’on s’est appliqué, en dilettante indécrottable, à vadrouiller dans cette kyrielle de fosses communes et de culs-de-sac qui s’appelle la vie, il est si tentant d’afficher l’orgueil métaphysique du poisson rouge lancé dans un train d’enfer à la poursuite du pot aux roses. Autin-Grenier, ce n’est pas Hautain-Poirier (de Poirier Louis, professeur, avatar de Buster Keaton, devenu sous le nom de scène de Julien Gracq, un stakhanoviste du silence tapageur). Peut-être un Diogène mâtiné de Blondin, ou un homme d’Arbois comme Pirotte, pareillement pressé de mettre du désordre rusé dans l’ordre des choses. Et pourquoi pas un petit air de Melvin Van Peebles, l’homme à la « chronique du gars qui sait de quoi il parle ». Douze métiers et treize mirages, ça se célèbre. Ils sont treize précisément – un chiffre saugrenu – à rendre hommage à P.A.G. Textes courts, n’ayant pas le temps de commettre des pages larmoyantes ou pétaradantes. Une manière de phalanstère virtuel et fixement ambulant, dont on retient d’abord les échanges ( de courriels ?) entre Autin-Grenier et Christian Garcin et surtout les gouleyantes lignes de Franz Bartelt, à propos de celui chez qui « l’humour noir est moins une pratique qu’un trait de caractère » (*). Reprenant une citation d’Emmanuel Berl : « Il fait bon, allons au cimetière », Bartelt, grand échanson de l’humour à la Soulages, conclut par « Chez Pierre Autin-Grenier, c’est tous les jours comme ça ; il fait toujours beau et quand il doit y aller, il y va ». Une gloire pour la soif. – Un petit dernier ? – Je ne promets rien …

« Analyser la situation », Pierre Autin-Grenier, Finitude, 13,50 euros

« Une manière d’ histoire saugrenue – hommage à Pierre Autin-Grenier, Franz Bartelt e.a ., Finitude, 14 euros (*) Ce texte a été lu par F. Bartelt à l’occasion de la remise du Grand Prix de l’Humour Noir à à P.A.G. pour « C’est tous les jours comme ça » (Finitude, 2010), le 10 mars 2011. Un prix dont on a perdu la trace en 2014. Une dernière facétie de l’ami Pierre ?

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