Hervé Guibert : Etudes inachevées et esquisses synthétiques

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Par Laurence Biava – bscnews.fr/ On a souvent réduit l’œuvre d’Hervé Guibert à sa seule trilogie du sida dans laquelle le narrateur se fait l’observateur de lui-même et des conséquences sur son corps de la lente progression du virus. Si l’auteur de A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie est incontestablement un écrivain du « je », il faut remarquer que ce « je » se joue souvent de lui-même et de ses lecteurs, se dit et se dérobe, s’affirme et se cache, disparaît parfois aussi. Le genre littéraire est toujours chez lui l’objet d’un questionnement ou d’une remise en cause. Ici, Genon fait le point, sans pour autant tout citer. Les œuvres sélectionnées sur lesquelles s’appuient et se développent avec soin son analyse en disent déjà pourtant pas mal sur la trempe de l’écrivain et de son espace littéraire, mais ne devrait pas t-on dire, « espaces » au pluriel?

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Dans ce livre, Arnaud Genon étudie en quoi l’exploration des limites des genres établis et l’impertinence de Guibert à leur égard devient un moyen de déstabiliser la représentation classique du moi et d’interroger le sujet et son identité. On découvre et redécouvre l’œuvre d’Hervé Guibert à l’aune de ses romans, de son Journal, de ses auto-fictions. Au travers de tous les genres qu’il pratique autant qu’il les transgresse, on comprend que Guibert en possède toutes les lois, ce qui explique l’œuvre vertigineuse qu’il a laissée. De la fiction à part entière, on retiendra l’écriture de romans sans l’usage du « je », , des références qui inscrivent le texte dans la tradition du roman d’aventure, ou comme un espace réservé au burlesque ou à l’univers enfantin De Guibert, on a lu aussi des romans picaresques, et des romans baroques et le tout à la fois. .

En ce qui concerne le Journal qui était pour lui « sa colonne vertébrale », on retiendra que c’était le lieu où il écrivait tout, disait tout. Quand le journal était intime, il dévoilait une éthique et une esthétique du dévoilement de soi. Arnaud Genon se demande, à juste titre, si le Journal n’était pas un simple procédé romanesque, et dans ces conditions, s’il n’est qu’une apparence du vécu, où débute t-il, où finit –il ? L’autofiction pour Guibert était l’aboutissement de la logique littéraire. Un forme d’autobiographie pervertie. Un fantasme perçu comme écho du réel. Guibert a fait de sa vie un roman pour se sauver de la maladie, et la travestir. Son corps est devenu instrument de jouissance, laboratoire du plaisir, et observatoire d’une déchéance prématurée.

Arnaud Genon a réalisé un travail extraordinaire, sensible, érudit, et plein d’acuité, portant essentiellement sur la question du genre dans l’œuvre d’Hervé Guibert. Avec beaucoup d’humilité devant son travail accompli qu’il estime incomplet, il nous demande implicitement de retenir que l’œuvre de Guibert s’est affirmée dans sa volonté de se jouer des genres littéraires, qu’elle a contourné des formes, qu’elle a exploré les œuvres du passé, comme une constante tentative de dire le moi alors que l’identité se transforme, se cache et se réinvente sans cesse.

Très bel essai.

Roman, journal, auto fiction : Hervé Guibert en ses genres d’Arnaud Genon — Mon petit éditeur – 14,95 euros

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