Ji-Young Gong : une écriture lumineuse contre la peine de mort
Par Félix Brun – bscnews.fr/ Il sera difficile d’oublier Yunsu, condamné à mort pour un triple meurtre, qui attend dans les geôles de Séoul que la sentence soit exécutée…il sera difficile d’oublier Yjeong suicidaire jeune femme de bonne famille mentalement en lambeaux….il sera difficile d’oublier tante Monica, la bonne sœur visiteuse des prisons, qui va permettre le rapprochement de ces deux êtres que tout oppose mais qui se ressemblent étrangement.
Impossible de lire Nos jours heureux de manière innocente. De se plonger dans ce roman sans découvrir en filigrane les traces de destruction de notre société, de notre époque et sans y déceler les marques brulantes du passé, la naïveté et l’égotisme du présent. L’auteure nous entraîne dans une rencontre envoûtante d’humanité, de tendresse, de poésie, et pas moins terrifiante : « Le premier souvenir de ma vie commence donc par un désir de meurtre. […]Pendant cette période, on aurait dit que j’exerçais le sang que j’avais hérité de mon père, que je m’entrainais à la violence, au cri, au mensonge, à la révolte et à la haine. J’étais devenu une bête. Sinon, je n’aurais pas su comment continuer. Si je n’étais pas devenu une bête, je n’aurais été rien du tout. » Les échanges épistolaires et les dialogues abordent les questions essentielles de la vie, de la mort, de la religion, de la justice, de la peine de mort, de la culpabilité, de la repentance, du pardon : « mais si Dieu avait existé, un dieu d’amour et de justice, je ne serais pas devenu un meurtrier. » Ils évoquent aussi avec justesse les marques du passé: « La mémoire nous permet non seulement de revivre les moments du passé mais elle leur attribue une autre valeur. Et celle-ci est parfois différente de ce qu’on croyait. » et les cicatrices de l’enfance : « Derrière celui qui a commis un crime inimaginable se trouvent toujours des adultes qui ont exercé sur lui une violence inimaginable depuis son enfance. […] La violence appelle une autre violence et cette violence appelle encore une autre violence. »
L’écriture de Ji-young Gong illumine d’émotion, de sérénité, de modestie, dans le combat qu’elle mène contre la peine de mort : « en ce printemps qui peut être le dernier pour nous deux, je n’ai pas envie de raconter ces choses normales et sensées que racontent les maîtres du raisonnable : on n’a pas le temps. » Nos jours heureux est une œuvre bouleversante et puissante qui est aussi un hymne à la vie : « Quand on répète j’ai l’impression de mourir ou la vie n’en vaut pas la peine, c’est la preuve qu’on est vivant. De même, mourir de faim ou mourir de chaud, c’est la preuve qu’on est vivant. Tout ceci n’est permis qu’aux vivants, donc tout ceci fait partie de la vie. Voilà pourquoi, désormais, je n’ai pas d’autre choix que de dire Je veux bien vivre au lieu de dire Je veux mourir. » Un incontournable du genre!
Nos jours heureux de Ji-young Gong— Editions Philippe Picquier – 332 pages – 19,50 euros
A lire aussi:
L’histoire ordinaire de Tsukuru Tazaki
Joanna Smith Rakoff : l’alibi Salinger
Radhika Jha : « Le désir peut-il être la cause de toutes nos souffrances ? »
Ogawa Ito : le secret de l’âme
Georges Leroux remporte pour Wanderer le Prix du Gouverneur Général 2011
Elise Turcotte : un cheminement littéraire soutenu