Roland Topor : ce poète en « état de légitime défense permanent « 

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Par Eric Yung – bscnews.fr / Il est de certains livres comme de quelques objets que nous gardons près de nous sans en savoir précisément la raison hormis, pour la plupart d’entre eux, qu’ils doivent être présents dans notre environnement. Alors, nous les posons ici sur une étagère, là sur un coin de table ou de bureau, ailleurs près d’un lit.

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Et, de temps en temps, nous nous en saisissons, les feuilletons, nous attardons sur une phrase déjà lue mille et une fois ou découvrons le nouveau détail d’une illustration. Ces ouvrages-là se confondent avec nous, physiquement, et – par on ne sait quel effet mystérieux – nous aident ipso-facto à mieux vivre notre quotidien. Il en sera ainsi, c’est certain, pour ce « Topor, dessinateur de presse ». Un livre qui nous rappelle une période qui n’est pas si lointaine mais qui, aujourd’hui, au temps où le conformisme et l’hypocrisie consensuelle délitent l’idée même de l’insolence et de la contestation artistiques, semble désormais hors de notre portée. Lorsque l’on en tourne les pages l’esprit se réjouit de constater qu’il y a peu d’années encore notre société n’était pas prisonnière de la pensée unique, du politiquement correct ou on ne sait de quelle autre forme d’intolérance. L’extravagance, le désordre, la poésie, la contestation, le sens critique et la contradiction, le refus, les face à face avec des imaginaires inclassables et déroutants nous rappelaient avec force que « l’artiste n’est pas le transcripteur du monde, mais qu’il en est le rival » affirmait André Malraux. Et c’est cela l’œuvre de Roland Topor.
Topor, un grand artiste, dessinateur, écrivain, homme de théâtre, de cinéma, de télévision, est un créateur « protéiforme et boulimique » dont l’enfance a été « terrorisée » par le pouvoir de l’ordre établi. Le gosse Topor, juif polonais, dont le paternel Abram, est arrêté le 14 mai 1941 et enfermé au centre d’internement de Pithiviers (camp où les nazis séparaient les enfants de leurs parents avant d’être déportés vers Auschwitz) gardera « l’effroyable souvenir de son père parqué dans un enclos et nourri dans un seau collectif » raconte le biographe Alexandre Devaux. Dès lors, celui qui deviendra «l’explorateur de l’imaginaire » accumulera, « sous des dehors tranquilles des cruautés sans fin : hommes, femmes, enfants se tourmentent, se poignardent, se cisaillent, se mutilent, se découpent en rondelles, se dévorent vivants ». Pour se protéger il « découvre la formule magique qui le tenaille au corps : le rire ». Ah, le rire de Topor ! Celles et ceux qui ont connu, fréquenté, croisé Roland Topor entendent aujourd’hui encore sa voix forte, un peu rauque qui dit les phrases sans cesse entrecoupées d’un rire puissant dont les éclats s’élevaient haut vers le ciel. Ce rire a permis à Topor, esseulé « dans un monde qui a fait naufrage, où tout s’est brisé », de ne plus jamais être pris au sérieux » écrit, en préface, son ami Jacques Vallet.
Aujourd’hui, ce bel ouvrage (éditions Les cahiers dessinés) consacré aux dessins de Topor, paru durant la période de 1958 à 1997, dans la presse française et internationale, permet – bien sûr – de revoir quelques images fameuses installées dans la mémoire collective telle que l’affiche d’Amnesty International qui a fait le tour du monde, mais ce n’est pas sans émotions que l’on découvre (ou, pour certains d’entre nous, redécouvre) des « Unes » de journaux qui ont marqué les esprits à l’époque de leur publication. Des titres qui ont fait rayonner le talent de Roland Topor en Europe et aux Etats-Unis : « The New Yorker », « Le New York Times », « S.NOB », «Szpilki », « Zeit magazin » « Corriere della sera illustrato » « Mensuel Charlie », « l’Express », « Le Figaro », « Libération », « Hara Kiri » « l’Evénement » « Arts Loisirs, « Le Fou parle » « Bizarre », « Opus », « Mépris » et bien d’autres encore.

On dit souvent que la postérité de l’artiste est due à l’intemporalité de son œuvre. Topor sera donc éternel car ses dessins, ses pastels et les quelques rares « huiles » qu’il a laissées à la postérité puisent leur inspiration dans les références abstraites de l’ignorance, de la bêtise et de la cruauté c’est-à-dire parmi des critères humains qui sont de tous les temps. Hélas ! Alors, chers amis lecteurs et lectrices du BSC NEWS laissez-vous guider par la main de Topor, suivez les traces des mines de ses crayons, de ses plumes et pinceaux, et jouissez des effets du graphisme extravagant, un peu fou, de ce poète en « état de légitime défense permanent » qui, dans un dernier éclat de rire nous dit « partageons notre goût farouche de la liberté ».

« Topor » dessinateur de presse
Buchet Chastel
Les cahiers dessinés

( Photo DR – Archives personnelles de Roland Topor )

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