Patrick Modiano : l’écheveau-léger

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Par Marc-Emile Baronheid – bscnews.fr/ C’est une toute petite école. Le maître et l’élève ne font qu’un. On y enseigne la magie d’écrire. On y apprend la table de multiplication des sortilèges. Modiano, au tableau !

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Jean Daragane a perdu un carnet d’adresses. C’est souvent préoccupant, parfois fâcheux. Rien de tel pour Jean : il n’y avait consigné que des relations prétendument utiles. Autrement dit, qui ne comptent pas. Quelques vaisseaux de l’armada des figurants que l’on croise au cours d’une vie, moroses comme un film des Dardenne belges. Un jour, le téléphone sonne. Un certain Ottolini a trouvé ce carnet, dans lequel Daragane avait machinalement écrit ses coordonnées. Il offre de le lui restituer. Jean accepte, du bout des lèvres. Au fond, cette perte était un acte manqué. Ottolini est un personnage indiscret et passablement inquiétant. Sa compagne Chantal – autrefois Joséphine – Griffay met Daragane en garde. Trop tard. Jean a mis le doigt dans l’écheveau consubstantiel à l’univers romanesque de Modiano. Il va désormais s’employer à le débrouiller. « Pourquoi des gens dont vous ne soupçonniez pas l’existence, que vous croisez une fois et que vous ne reverrez plus, jouent-ils, en coulisse, un rôle important dans votre vie à l’écho de l’écho du silence ? ».
Retour dans un Paris qui va s’effilocher à mesure que le pisteur veut s’en saisir, dont le souvenir est confié aux bons soins de la mémoire des hommes. Modiano promène Jean, d’appels de phares en adresses provisoires, de moments passés en fraude à l’écho du silence, le lestant cette fois de l’ impossibilité d’une île: cette valise jaune, en carton bouilli, dont la clé s’est perdue, renfermant des lettres, des photos, des documents qu’il est peut-être préférable de ne pas arracher à leur sommeil. Une lente remontée de l’Orénoque, une géographie de soi, au risque de l’intimité, à la recherche d’ Annie Astrand, figure immanente et interlope. On croit deviner que Jean a ressenti à son contact un trouble profond. Mais, à l’instar de l’étiquette à la cour d’Angleterre, il lui est juste permis de paraître sans rien laisser paraître.
Annie, un fantôme qui aurait enjôlé les geôliers de l’imaginaire, le mirage de l’émotion subreptice et ses bombes à retardement. La puissante charge poétique de ce roman, concentrée dans une maison de Saint-Leu-la-forêt, se répand prodigieusement dans toutes ses nervures. Hallucination auditive ? On croit entendre le piano de Pierre Roche accompagnant « je ne reconnais plus ni les murs ni les rues qui ont vu ma jeunesse ». Tiens… la chanson d’un exilé fiscal qui épaule en douce les ruades d’une diaspora : quel beau et modianesque sujet !

« Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier »
Patrick Modiano
Éditions Gallimard
286 PAGES – 16,90 euros

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