Hokusai, le Fou de dessin, au Grand Palais

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Par Florence Yeremian –bscnews.fr/ Hokusai est sans conteste l’un des plus grands dessinateurs du Japon. Au cours de sa très longue carrière artistique, il a produit près de trente mille pièces graphiques! Répartie entre des estampes, des peintures et d’étonnants carnets de croquis nommés « Manga », son œuvre picturale est enfin présentée au Grand Palais jusqu’au 18 janvier 2015. L’occasion unique de découvrir ce Maître du Soleil Levant qui influença non seulement Van Gogh mais aussi toute une vague d’éminents artistes se revendiquant du japonisme.

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Un artisan de l’estampe

Katsushika Hokusai est né en 1760. A cette époque, la capitale du Japon se nommait encore Edo et vivait sous la domination militaire d’un shogun. Apprenti graveur à treize ans, Hokusai a intégré l’école d’estampe d’un grand maître et s’est tout d’abord spécialisé dans la réalisation en série d’ukiyo-e. Ces « images du monde flottant » mettaient en avant des scènes rurales et populaires aptes à séduire une bourgeoisie naissante plus attirée par un art ludique et décoratif que par le raffinement figé des siècles passés.
L’exposition du Grand Palais dévoile pour la première fois en France une impressionnante palette de ces travaux de jeunesse. Par delà les traditionnelles représentations japonaises de concubines et de cerisiers en fleurs, on découvre un artiste novateur qui n’hésite pas à introduire dans ses saynètes multicolores des thèmes profanes et proches des petites gens. Les estampes du jeune Hokusai dépeignent avec audace et précision de vieux pêcheurs, des enfants jouant aux osselets, des acteurs du théâtre kabuki ou d’imparfaites filles de joie évoluant dans le quartier des plaisirs.
En véritable homme du peuple, Hokusai aime rire de ses semblables et se complait à mettre en scène leurs maladresses et leurs défauts. Son traitement des personnages est pertinemment gorgé d’humour et de dérision à l’exemple de ces gros sumos burlesques ou de ce petit commis lâchant glorieusement un pet! En alliant ainsi la grâce à la caricature, Hokusai se distingue avec originalité de ses semblables et parvient à séduire un très large public.

Hokusai, père de « la Manga »

Parallèlement aux estampes, Hokusai a commencé très tôt la réalisation et l’illustration de livres d’images (Yomihon et ehon). Le Grand Palais expose judicieusement une quantité impressionnante de ces romans populaires au sein desquels ressortent la subtilité et l’extrême précision de son talent de dessinateur.
Mêlant le dessin à l’écriture, les planches d’Hokusai font preuve d’ingéniosité et de hardiesse à tous les niveaux de la création. Dans ses compositions livresques, il superpose non seulement la ligne de ses personnages à celle des idéogrammes japonais mais il ose également casser le cadrage traditionnel en déployant ses puissantes figures de guerriers et de dragons sur plusieurs pages successives.
L’ensemble de ces récits et de ces chroniques parsemées de calligraphie japonaise très stylisée nous fait étrangement songer aux prémices de la bande dessinée, voir au dessin d’animation. Ce rapprochement n’est nullement dénué de sens lorsque l’on sait qu’Hokusai a lui même crée le terme « manga » afin de désigner de petits croquis qu’il exécutait rigoureusement pour permettre à ses condisciples de mieux cerner la maitrise de son art! Une trentaine de ces carnets encyclopédiques peuvent être contemplés à travers les vitrines de l’exposition : il est surprenant de constater à quel point cette profusion de personnages, d’animaux et de monstres fantastiques évoquent à la fois les mangas contemporains et les fabuleux dessins animés d’Hayao Miyazaki.

Un peintre en fusion avec la nature

Outre sa production phénoménale de manuels de peinture et d’estampes en série, Hokusai a également réalisé des œuvres d’une rare distinction. Tel est le cas des surimono (gravures raffinées) ou des longs kakémonos muraux mettant en scène des jardins enneigés, des dragons dans les nuées ou des couples de grues aux pattes infinies.
Les oiseaux et les compositions florales reviennent aussi très souvent dans l’iconographie d’Hokusai, notamment à travers une superbe série de planches kacho-ga où l’on voit apparaitre un bouvreuil aux côtés d’un cerisier pleureur ou une bergeronnette minutieusement croquée prés d’une fleur de glycine.
Parallèlement à ce concentré de délicatesse et de précision graphique, Hokusai s’est progressivement intéressé à d’autres aspects de la nature et du monde végétal. Par le biais de sa célèbre série représentant les 36 vues du Mont Fuji – où figure l’iconique Vague de Kanazawa – il s’est penché sur une évocation plus spirituelle du cours des saisons et du temps qui passe. Ces variations avant-gardistes sur un même motif évoluant au fil de l’année et de la lumière sont de véritables métaphores paysagesques où le peintre-poète parvient magistralement à inverser la chute d’une cascade ou à mettre en suspend une vague majestueuse.

Un conteur de légendes à redécouvrir

La figure d’Hokusai est multiple: peintre, dessinateur, maitre de l’estampe… c’est avec rigueur et passion que cet artiste singulier s’est essayé à tous les genres possibles. Il existe cependant une qualité qui ressort plus que les autres de son long parcours d’esthète: son inventivité. Inventivité technique, certes, mais aussi thématique! Hokusai est un être qui possède une imagination des plus fertiles ainsi que l’aptitude à mêler dans sa création le fantastique à la réalité.
L’ensemble de ses œuvres est ainsi un véritable creuset de légendes et de récits épiques issus d’un folklore japonais trop peu connu des occidentaux: on y rencontre Zhong Kui l’Exorciste, Tametomo le vaillant guerrier, sans parler des femmes fantômes au long cou, des spectres ou de toutes sortes de divinités maléfiques. A travers ces contes d’un autre temps, l’art d’Hokusai invite les spectateurs à se plonger dans une mythologie nippone regorgeant de monstres et d’animaux imaginaires.
A vous donc de venir découvrir ces légendes du Soleil Levant mises en images grâce à la plume et au pinceau d’un maître qui changea maintes fois de nom d’artiste: signant tour à tour ses œuvres du nom de Shunro, Sori, Taito ou Litsu, il finit par trouver sa véritable identité et se nomma lui-même « Hokusai »: « Le fou de dessin »…

Afin de débuter votre apprentissage du japonais et faciliter votre visite au Grand Palais, nous vous proposons un petit glossaire:
e-hon: livre illustré
emaki: rouleau horizontal illustré
gokan: récits populaires illustrés
haïku: poèmes courts de dix-sept syllabes
kacho-ga: peinture de fleurs et d’oiseaux
kakemono: rouleau peint suspendu
kempon: soie
kyoka: poème fou et humoristique
manga:croquis et dessins divers
shihon: papier
surimono: estampe de luxe
uchiwa-e: dessin destiné à être monté en éventail
ukiyo-e: images du monde flottant

Galeries du Grand Palais
Entrée Clemenceau
3, avenue du Général Eisenhower – Paris 8e

Exposition Partie I : du 1er octobre au 20 novembre 2014
Fermeture de l’exposition du 21 au 30 novembre pour rotation technique des œuvres fragiles
Exposition Partie II: du 1er décembre au 18 janvier 2015
Le Grand Palais est fermé le mardi.
www.grandpalais.fr

Crédit-illustration: Zhong Kui l’Exorciste en vermillon / Kakémono – 1846
© The Metropolitan Museum of Art, dist. Rmn-Grand Palais / image of the MMA

DVD – Visite à Hokusai
A l’occasion de l’exposition Hokusai au Grand Palais, le cinéaste Jean-Pierre Limosin (Lauréat de la Villa Médicis 1989) a réalisé un documentaire dédié au grand peintre japonais. A travers des interviews, il nous révèle l’influence d’Hokusai sur des artistes comme Beardsley ou Picasso, met en parallèle des pastels de Degas et des estampes nippones et souligne avec évidence le talent technique et l’approche populaire de l’art d’Hokusai. Un voyage esthétique au cœur de la création guidé par la douce voix de Fabrice Luchini. Ce film de 52 minutes sera diffusé sur Arte en décembre 2014Le DVD de cette émission sera disponible à partir du 21 octobre sur www.arteboutique.com
19,95€

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