Romain Gary : éblouissant soliste de l’humour libre

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / Romain Gary aurait eu cent ans cette année. Au-delà de cette limite, son ticket demeure-t-il valable ? De quoi le moment est-il venu ? De sa consécration ou de son enlisement ? A-t-on vraiment pris la mesure de l’homme et de l’œuvre, considérables, multiples et, à n’en pas douter, passibles de postérité.

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Entré dans une librairie spécialisée en cochonneries, Gary voit s’approcher la vendeuse. « Vous cherchez quelque chose en particulier ? J’ai surtout besoin d’un peu d’air pur… – Oui, dis-je, les Mémoires du général de Gaulle… Elle me foudroie du regard : – Nous n’avons pas ce genre de livres ici, monsieur ».
Authentique, l’anecdote figure dans le Journal d’un irrégulier, paru avec d’autres écrits dans la pétillante collection Carnets, dirigée par Laurence Tacou aux éditions de L’Herne. Ce qui pourrait passer pour anodin révèle deux éléments majeurs de Gary : la pratique d’un humour cinglant et intelligent ; l’attachement à une certaine idée de la France chez celui qui, né le 8 mai 1914 à Wilno, en Lituanie, sera élevé par une mère nourrissant pour lui de grandes espérances. Il arrive en France, à Nice, à l’âge de 13 ans, fait son droit, s’engage dans l’aviation, rejoint la « France libre » en 1940, termine la guerre comme compagnon de la Libération et commandeur de la Légion d’honneur.
L’Herne réédite à point nommé l’imposant Cahier qu’il lui avait consacré en 2005 ( quelque 7.000 exemplaires vendus) . On y trouve plusieurs textes de Gary dont un intéressant entretien extrait du dossier de presse du film « Les oiseaux vont mourir au Pérou », sa première expérience de metteur en scène (1967), après une quinzaine de scenarii.
Jamais il n’oublie de dégainer . Ainsi dans le « Journal d’un irrégulier » : « prétendre que l’homme descend du singe, n’est-ce pas calomnier les singes ? ». L’article de Judith Kaufmann le voyant en « terroriste de l’humour », mots avec lesquels Gary se décrivait, est remarquable de pertinence.
On sait à quel point l’humour est le fils illégitime de la douleur. Le tribut de Gary en la matière sera lourd, cruellement lourd jusqu’au geste ultime.
Ce volume de L’Herne est mieux qu’un condensé ou une gerbe composée « pour en finir avec ». Il ouvre au contraire la perspective par des entretiens de Gary avec divers interlocuteurs, la correspondance avec Raymond Aron et Louis Jouvet (à celui-ci : « Comme je ne peux apparemment pas, par quelque malédiction, être un homme de théâtre, je voudrais pouvoir dire aux gens que vous êtes mon ami, pour sentir tout de même que le théâtre m’a effleuré »).
L’affaire Ajar, évidemment. Le milieu n’a toujours pas digéré la mystification, d’autant plus cinglante qu’elle fut talentueuse. L’obstacle majeur encore dressé sur la voie de la reconnaissance définitive de Gary émane à coup sûr des bernés encore en vie. Il est pourtant possible d’être cocu et beau joueur…
D’Alain Bosquet à Nancy Huston, de Jean-Marie Catonné à Pierre Sipriot, la distribution est légitime. On aurait aimé y lire Alexandre Diego Gary, enfant de l’amour et auteur du lancinant « S. ou l’espérance de vie » (Gallimard).

« Romain Gary », Cahier dirigé par Paul Audi et Jean-François Hangouët, L’Herne, 36 euros

Parallèlement, l’éditeur propose une giboulée de Carnets : « Une petite femme », « Un soir avec Kennedy », « Le judaïsme n’est pas une question de sang », « Le Grec », « Journal d’un irrégulier », dont le Cahier propose propose des extraits dans la section Textes. Ils coûtent entre 8,50 et 9,50 euros.

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