Intermittents : le Printemps des Comédiens en grand danger

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Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / Le Printemps des Comédiens est depuis le début de la contestation le foyer de résistance des intermittents. Tous les spectacles de la programmation sont annulés quotidiennement depuis le mardi 3 juin, jour d’inauguration de ce festival qui apparaît aujourd’hui comme l’une des manifestations importantes du théâtre et du spectacle vivant en France.

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La première représentation de Vader de Franck Chartrier a été annulée ainsi que toutes les autres pièces à ce jour. Dès le début du conflit, la direction artistique du Printemps des Comédiens sous la houlette de Jean Varela et de Jean-Claude Carrière a soutenu le mouvement des intermittents en publiant à la Une de son site (wwww.printempsdescomediens.com) «Le Printemps des Comédiens tient à exprimer sa solidarité avec les professionnels artistes et techniciens du spectacle vivant qui dénoncent les derniers accords de l’UNEDIC (…) Cette réforme ajoute de la précarité à la précarité et menace à terme l’existence même de certains acteurs du secteur de la création (collectifs ou individuels). Nous demandons au gouvernement que les professionnels soient entendus et que ce nouvel accord ne soit pas agréé. »

Seulement le Printemps des Comédiens qui est le premier festival important de la saison estivale, a incarné au fil des heures, malgré les organisateurs, la vitrine nationale de la contestation et des revendications des intermittents contre l’accord sur l’assurance-chômage du 22 mars. Aujourd’hui, le Festival est devenu une place forte d’où les intermittents comptent bien faire plier François Rebsamen, le Ministre du Travail et Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication pour qu’ils n’agréent pas l’accord. C’est ainsi qu’il a été décidé par les équipes artistiques et techniques du Printemps de voter une grève reconductible chaque jour depuis le mardi 3 juin. Les revendications portent sur la réouverture de dossier de l’assurance-chômage à la lumière des intermittents et précaires ( CIP) ainsi que d’autres syndicats.

Vendredi 6 juin, le conseil d’administration du Printemps des Comédiens a publié un communiqué qui pointait avec gravité la pérennité du Festival au travers d’une motion qui sonne comme un ultimatum autant qu’un cri de détresse ( Le communiqué est publié en intégralité ci-dessous ) et « demander solennellement la reprise du Festival ».

Suite à cela, Rodrigo Garcia, le nouvel homme fort du Centre National Dramatique de Montpellier du Théâtre des 13 vents, s’est exprimé à son tour dans une lettre publiée le samedi 7 juin où il déclare avoir annulé de lui-même les trois représentations de Golgota Picnic tout en émettant cependant des réserves ( étonnamment peu relayées par les médias) vis à vis du mouvement des intermittents ( lettre publiée en intégralité ci-dessous). Rodrigo Garcia y rappelle les événements de 2003. Il insiste sur toutes les actions qu’il a menées pour la cause des intermittents et son soutien à leurs revendications. Cependant, il n’hésite pas à porter un regard très sévère en parlant « d’égoïsme prononcé » des intermittents français et porte la réflexion au-delà de l’immédiateté du conflit en évoquant les dommages importants qu’il génère sur un écosystème régional déjà fragilisé.

Le samedi 7 juin, Matignon a nommé en urgence un médiateur en la personne de Jean-Patrick Gilles afin de « mener une mission de propositions sur la question des intermittents », vécu « comme une provocation supplémentaire » et qui a prolongé instantanément la grève de 48 heures supplémentaires sur la programmation du Festival jusqu’au mardi 10 juin.

Le Printemps des Comédiens vient d’entrer dans sa seconde semaine de grève alors que sa programmation a déjà connu cette année une diminution non négligeable de calendrier suite à une baisse des financements de la part des Collectivités, en réussissant à conserver cependant une programmation de qualité sous la baguette de son directeur, Jean Varela. Aujourd’hui se pose véritablement la question de sa survie et de la probabilité qui grandit d’heure en heure de son annulation définitive qui pourrait être décidée par le Conseil d’Administration du Festival dans les prochains jours.

Car, à l’heure actuelle, « les petits feux qui pourraient s’allumer à d’autres endroits du territoire suite à cette grève » évoqués par Nicolas Bouchaud à nos confrères du Monde ne sont pour l’instant que très peu visibles ; le Printemps des Comédiens est pour l’instant bien seul à porter le poids de ce mouvement des intermittents. Et la lettre de soutien de la Société des réalisateurs de Films ou le retard de la représentation de la Traviata à l’Opéra Bastille à Paris, il y a quelques jours, semblent bien trop évanescents pour le Printemps des Comédiens qui supporte à lui seul une contestation qui pourrait le mener à sa perte brisant avec lui une vitrine nationale exceptionnelle sur le dynamisme artistique de la Région.

Communiqué du Conseil d’administration du Printemps des Comédiens du 6 juin 2014

Le Conseil d’administration du Printemps des Comédiens réuni à Montpellier le 6 Juin 2014 à 10 h 30, après délibération, a pris la motion suivante :
– Constate la situation créée par le mouvement de revendication refusant d’entériner un accord signé par des organisations syndicales.
– Comprend l’inquiétude des intermittents du spectacle dans une situation générale de crise et de fragilité économique et souscrit en ce sens à la motion votée par le Conseil général de l’Hérault le 26 mai 2014.
– Approuve le mouvement qui a conduit à la sensibilisation de tous les acteurs du spectacle vivant, professionnels, collectivités locales, public et revendique le fait d’avoir permis, à chaque occasion possible, l’expression publique de ce mouvement.
– Déplore cependant qu’après une période normale de sensibilisation, d’occupation des lieux culturels et de grève, le festival Printemps des Comédiens continue de subir les conséquences d’un mouvement qui tend à pénaliser ceux qui, pourtant, permettent au spectacle vivant de création et de diffusion d’exister.
– Constate que la poursuite de la grève met en péril extrême le festival Printemps des Comédiens qui, malgré les difficultés économiques actuelles, a pu organiser une programmation attendue par les collectivités qui le financent, les intermittents du spectacle qui en vivent et le public qui en profite.
– Regrette profondément que la prolongation d’un mouvement de grève dont les victimes, outre les grévistes eux-mêmes, sont surtout ses financeurs, le public, et les artistes qui ne peuvent exprimer leur art et qui ne sont en rien responsables de l’inquiétude des intermittents.
– Rappelle que sans les collectivités finançant leur activité professionnelle, les intermittents du spectacle ne peuvent exister, de même qu’ils n’existent pas non plus sans le public qui vient admirer leur travail.
– Constate que les conséquences financières induites par la poursuite de la grève ne seront pas sans effet sur la pérennité même du festival, alors que le Conseil général, son principal financeur, est confronté à une réforme territoriale qui met en péril son existence même et sa politique culturelle.

EN CONSEQUENCE
– Le Conseil d’administration du Printemps des Comédiens, réuni en urgence pour étudier les dégâts juridique, financier et humain du mouvement qui empêchent le festival de vivre, demande solennellement la reprise du travail afin de sauver le festival tant qu’il en est encore temps.

Le Conseil d’administration du Printemps des Comédiens

Lettre de Rodrigo García aux acteurs, aux techniciens et à toute l’équipe (16 personnes) qui participent à la pièce de Golgota Picnic.

Chers amis,
Comme vous pouvez le voir, ce mail a été écrit à 3 heures du matin le 5 juin, et pas parce que j’ai fait la fête ; simplement je n’arrive pas à dormir. Les représentations de Golgota Picnic ont été annulées. Cela ressemble à ce que certains d’entre nous ont vécu en 2003, lorsque nous avions des représentations prévues à Avignon et que nous sommes restés chez nous parce que le festival avait été annulé par le boycott des intermittents du spectacle qui revendiquaient leurs droits.
Aujourd’hui, onze ans plus tard, la même chose se produit. Les intermittents mènent un combat légitime contre l’Etat français et préparent des grèves pour empêcher que l’on touche à leurs droits.
Ils commencent à boycotter le premier festival de printemps-été du sud de la France : Le Printemps des comédiens, et si les choses ne s’arrangent pas ils continueront certainement avec le festival Montpellier Danse et finiront peut-être par empêcher celui d’Avignon, comme en 2003, à moins que le gouvernement ne cède et négocie.
Moi, au nom du CDN, j’ai laissé il y a quelque temps la grande salle du théâtre aux Intermittents pour la première Assemblée générale.
Moi, au nom du CDN, j’ai signé il y a deux jours une lettre de soutien aux intermittents adressée au Premier Ministre Emmanuel Valls.
Moi, ce matin, j’avais une réunion à la DRAC avec 18 autres directeurs qui font partie comme moi de ce qui s’appelle le Comité d’experts : nous nous réunissons pour débattre des compagnies régionales qui obtiendront des conventionnements et des subventions. Nous avons décidé ce matin de ne pas faire notre travail et de rejoindre la grève et nous avons rédigé une lettre en faveur des intermittents. Moi, cet après-midi, j’ai décidé que nous annulions Golgota Picnic en geste de soutien aux droits des travailleurs français que l’on appelle les intermittents du spectacle.

Lorsque j’explique, entre autres, que l’un des comédiens de notre compagnie (Gonzalo Cunill) a renoncé à un travail de plusieurs semaines en Espagne juste pour faire trois représentations de Golgota Picnic à Montpellier, ça n’intéresse personne. Tout le monde se fout de savoir que d’autres pâtissent économiquement de tout ça. Qu’ils aillent se faire foutre, les artistes et techniciens espagnols, italiens et portugais de notre équipe, eux qui ne reçoivent aucune aide de l’Etat quand ils ne travaillent pas parce qu’ils ne travaillent pas en France, en Belgique ou en Suisse. Tout le monde se fiche de savoir qu’à cause de cette annulation, toute l’équipe de Golgota Picnic perd l’opportunité de faire un autre travail et de toucher un salaire pour vivre avec leurs familles, tout le monde se fiche qu’il s’agisse de pays en crise où il n’y a pas de travail.
Les intermittents français défendent leurs droits avec un égoïsme prononcé et ne se préoccupent pas de ce qui se passe autour d’eux.

C’est digne d’une étude anthropologique ; parfois tout à l’air tellement primitif, comme dans Tristes tropiques de C. Lévi-Strauss. Il faut aussi dire que l’assemblée de cet après-midi a connu ses moments stalinistes, qui m’ont paru sombres et pathétiques. Et pourtant, je suis avec eux. Nous les soutenons.

Et plus encore : personne ne se soucie du plus grand perdant : le public, les citoyens, leurs voisins, les professeurs de leurs enfants ou les médecins qui les soignent, c’est-à-dire le public qui, quand il cesse d’être professeur ou médecin, va au théâtre. Qu’ils aillent se faire foutre. Cet été ils resteront à la maison à jouer au solitaire ou ils iront se balader à Odysseum, parce qu’il n’y aura ni opéra, ni théâtre ni danse.

Le débat sociologique et philosophique sur ce sujet serait interminable et je ne veux pas commencer à en discuter dans ce mail que j’écris seulement pour vous communiquer la mauvaise nouvelle de l’annulation.

En tant que directeur d’une institution, j’ai pris parti pour l’un des deux camps, celui des intermittents du spectacle, qui ont été trahis par le parti socialiste. Hollande n’a pas tenu ses promesses. La ministre de la culture refile la patate chaude au ministre du travail qui refuse de faire marche arrière.

En prenant cette décision, je me sens sur le plan personnel comme une vraie merde, parce que nous ne pouvons pas faire notre pièce en juin comme c’était prévu (nous avions reçu tellement de demandes de places que nous avions ajouté une troisième représentation) et que vous, comme moi, nous retrouvons privés d’un premier contact artistique avec la ville de Montpellier.

Je suppose que ma décision d’annuler la pièce et de me situer du côté des intermittents ne plaira pas beaucoup au Ministère du travail. Je suppose que cette lettre, que nous avons décidé de rendre publique, ne plaira pas beaucoup aux intermittents du spectacle. Très bien : je me prendrai des claques des deux côtés. Au moins je dis ce que j’ai à dire. Je crois indispensable de dire que les gens qui – et c’est leur droit – foutent en l’air un festival doivent prendre conscience des « dommages collatéraux », car il y en a, et pas des moindres.

Pas la peine de dire que les trois cents personnes qui étaient à l’Assemblée cet après-midi m’ont applaudi lorsque j’ai annoncé qu’on ne ferait pas Golgota. Je me suis senti et je me sens comme une merde. Parce que j’aime mon travail.

Je vous envoie un lien d’une vidéo où Nicolas Bouchaud, compagnon de plusieurs de nos pièces, qui parle à ce sujet, pendant la remise des prix Molière:
http://www.youtube.com/watch?v=XgtNuEy3cJk

Je vous recontacte très vite pour savoir s’il est possible de présenter Golgota Picnic plus tard. On verra. Parce que cette annulation affecte, et beaucoup, l’économie précaire de notre petit CDN qui a l’ambition de grandir et de se moderniser.

Rodrigo

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