VINCENT de Paul Cox: une homélie sur les mystères et la foi de Van Gogh
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ La carrière picturale de Van Gogh n’a duré qu’une décennie. Mort à l’âge de 37 ans, cet artiste incompris a laissé derrière lui près de deux mille œuvres atteignant aujourd’hui des estimations inimaginables. Sa vie a pourtant été d’une misère extrême et c’est certainement grâce à l’aide spirituelle et matérielle de son frère Théo, que Vincent ne s’est pas suicidé plus tôt.
Le film de Paul Cox est entièrement basé sur les lettres que Van Gogh a écrites à son cadet durant près de vingt ans. Cet abondant échange épistolaire – plus de 650 missives ! – nous permet de retracer minutieusement le chaotique parcours de l’artiste depuis son séjour à La Haye jusqu’à sa triste mort à Auvers-sur-Oise.
Le parti-pris du réalisateur est de nous présenter les lieux et les œuvres de Van Gogh à travers la voix rauque et habitée de John Hurt lisant différents extraits de sa correspondance. On passe ainsi successivement de la Hollande à Paris, d’Arles à Saint-Rémy de Provence et l’on découvre avec étonnement l’impressionnante lucidité de ce peintre envers le sens de la vie.
Dès le départ, Vincent a conscience de sa différence. Il perçoit le monde à fleur de peau et souhaite assister les plus démunis en devenant pasteur. Contrarié dans sa vocation religieuse, il va se rabattre vers le dessin et y puiser entièrement sa nouvelle foi. Ses premières ébauches mettent ainsi en scène des villages désolés et des paysans. On y perçoit sa compassion envers les pauvres et les gens du peuple et l’on sent déjà sa touche personnelle qui refuse de se plier à toute école artistique. Van Gogh n’a pas vraiment « appris à peindre » au sens propre du terme; tout ce qu’il a mis sur ses toiles, il le doit à sa persévérance et à son admiration pour la nature et le réel: passant du croquis à l’esquisse et de l’esquisse au tableau, il a progressé dans la souffrance mais surtout dans la solitude: vouant un amour impossible à sa cousine, l’homme ne s’est, en effet, jamais marié et il a consacré son existence à la création.
Lorsque l’on parcourt les centaines de lettres qu’il a régulièrement envoyées à Théo, l’on comprend à quel point Van Gogh encensait l’art et la nature: sur chacun des êtres et des paysages qu’il a représentés, il porte une réflexion minutieuse et tente d’en décortiquer le sens et la genèse. Ses mots évoquent avec passion les couleurs, les nuances ou la terre hollandaise sertie de fins sentiers et de sombres brumes. A travers ses écrits, il est troublant de réaliser à quel point cet artiste analyse non seulement l’aspect technique de ses créations mais aussi la quête sous jacente qui s’y dissimule: Vincent est sans cesse à la recherche du bien, de l’authentique, de son « rayon blanc » comme il aime à le nommer. Il en parle avec une très grande poésie tout en s’interrogeant sur le sens réel de son existence. Empêtré dans une vie quasi monacale, il ressent le besoin d’écrire sa peur du temps qui passe, de crier le poids de sa solitude et de s’interroger sur la vacuité de son quotidien: comme il le dit lui même « Nous sommes des pèlerins sur cette terre, nous ne faisons que passer… »
Par le biais de ses réflexions religieuses et métaphysiques, ce film fait songer à une homélie ou à un long sermon dont les chapitres seraient marqués par la lente rotation des palmes d’un moulin. A mi-chemin entre une lecture de texte et un documentaire, il nous offre de très beaux paysages défilant au rythme des pensées chaotiques de Vincent Van Gogh. Les cent minutes de projection peuvent sembler longues pour ceux qui n’apprécient pas les biographies d’artiste ou les images énigmatiques et saccadées de Paul Cox. Ce réalisateur a cependant le mérite de nous faire redécouvrir un aspect peu connu de Vincent : on connaissait le peintre moderne de la vie rurale, il est grand temps d’apprécier aussi son âme de poète martyr et mélancolique. Du grand Art!
Vincent : La vie et la mort de Vincent Van Gogh
Un film de Paul Cox – 1987 – Australie – inédit en France
D’après les lettres de Vincent à Théo (Editions Gallimard)
Avec la voix de John Hurt
Au cinéma à partir du 4 juin 2014
A lire aussi:
Cinéma : la lecture est un film qui permet à chacun d’être le réalisateur de ses fantasmes
12 Years a Slave : une adaptation éveillant les tourments historiques avec lucidité
Sparrow : quatre pickpockets et une princesse à délivrer
Jack et la mécanique du cœur : un conte musical aux engrenages vibrants comme une horloge amoureuse