Gilles Verdiani et la dolce vita

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Par Laurence Biava – bscnews.fr/ C’est le premier roman de Gilles Verdiani. Ce livre très spirituel et très enlevé raconte l’histoire d’une cinéaste Anita Sorbello, nièce de Fellini, qui débarque à Paris pendant la fashion week pour participer à une émission de télévision.

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Elle ne trouve pas de producteur pour son troisième film et son aieule vient de décéder en lui révélant un secret. Le chauffeur/écrivain Andreas qui l’accompagne se prend d’affection pour elle et va tenter de l’aider. Contre toute attente, c’est elle qui l’embauchera comme scénariste. Anita suit Andreas jusqu’à l’appartement où il mène avec deux amis, un savant et vaniteux compositeur de musique et sa sœur qui organise des raves, une vie mondaine, joyeuse et raffinée, en dehors des sentiers battus.
Verdiani interroge les mythes d’aujourd’hui, les gloires passées avec beaucoup d’ironie et de nostalgie mêlées. Entre lumière et ombre, l’auteur raconte ce pouvoir de la notoriété et ce feu des projecteurs posé sur tous ceux qui aspirent à la reconnaissance. On devine les démons intérieurs et les atermoiements de ces stars qui, bien souvent, ne connaissent qu’une gloire éphémère, celle qui brûle comme un feu de paille. Miroir aux alouettes, amitiés de façade ou fausses, vite ébauchées, superficialité, fascination qu’exporte et qu’exhorte toute notoriété nouvelle ou tout projet nouveau, voilà ce qui transparaît au détour des dialogues plus élancés et malicieux les uns que les autres. Dans le livre, Stéfania, Daphné, Ingrid, Myriam, Bettina, se relaient pour courtiser, flatter Anita et son chauffeur : l’accent est mis sur ces prismes où on tente d’exister à tout prix. Le milieu dépeint semble n’être que vacuité. Et voilà brocardée les artifices d’une caste médiatico/artistique où on court d’émissions de télé en cocktails et galeries. Transparaissent alors toutes ces jeunesses pleines d’excès où l’on tente d’émerger de guerre lasse, avec des vedettes de pacotille, ou bien carrément…. des escrocs.
Dans cet endroit hors du temps, ce sont plusieurs découvertes qui attendent la jeune femme.
Gilles Verdiani accroche le lecteur grâce aux périgrénations du triangle Anita/Franz/Beatrix autour desquels le scénario se concentre avec énormément de densité et de rythme. L’héroïne principale finira par se livrer à tous les points de vue, ce qui rend la seconde partie du livre, terriblement ample et charnelle.
Dans La Nièce de Fellini, tout ce qui est narré semble remonter au temps des contes de fée, en ce que les descriptions et les personnages appartiennent à ces lieus retirés, isolés du monde moderne et du reste de l’humanité, dans une enclave proprement préservée de la réalité et du temps qui passe. On aime vraiment cette plume alerte et maîtrisée, ce flux insensé de mots qui ne faiblit jamais et vous entraîne dans un Paris féerique et raffiné où chaque dialogue au niveau de Ranelagh est un murmure qu’on vous distillerait à l’oreille. La nièce de Fellini, en partant à la recherche d’un temps et d’un cinéma perdus, en se remémorant les mystères et les grâces d’antan, est une ode à la sensualité. Partout, à tous les angles, de formidables fresques d’un monde aussi ouaté qu’exaspérant, comme peut l’être celui du milieu artistique, se forment. Conviés sur un plateau, on notera d’ailleurs les apparitions remarquées de Chet Baker, de Cosi Fan Tutte, de Django Reinhard, de Chopin, du Satyricon, du neveu de Rameau, de Casanova, de Bela Bartok, d’Hélio Oitica, de Charlotte Perriand, qui voisinent au côté de toutes références musicales, esthétiques. Un roman bavard et érudit, donc, qui passe avec une facilité déconcertante de la langue hellénique à l’italienne, et de la musique classique à l’opéra, puis au jazz.
Andréas Karyophoros, Beatix et Franz Berthold continueront à vivre ensemble, dans un monde dont les lois et les mœurs, la physique et la politique ne sont pas tout à fait celles qui s’appliquent à la réalité. Un monde que nous appellerons l’Exception culturelle.
Le livre ne révèle pas seulement les failles narcissiques de quelques uns ni leurs idéaux fantasmés, mais, à la lueur de la réflexion que mène Gilles Verdiani sur le temps, on comprend qu’il interroge également les signes, les forces des destinées, les héritages culturels, et la puissance des hérédités. Que signifie Etre dans le temps ? dit le roman. Etre dans le temps, c’est se situer dans la durée, dans le devenir. Je suis ceci et je voudrais être cela. Parce que l’on voudrait être autre. On voudrait quitter le fantasme, ou la fantasmagorie d’un soi idéalisé à un soi plus complexe, qui se situe dans la durée, dans la temporalité. Le cheminement intellectuel qui consiste à accepter sa complexité comme on accepte sa destinée, lorsque l’on tente de se représenter tel que l’on se croit être, ou tel que l’on voudrait-être, dans toute sa fragilité, dans toute son ambivalence, caractérise l’existence et les destinées de tous les artistes. La mémoire et le temps sont les grands sujets de La nièce de Fellini : c’est pour cette raison que c’est un grand roman.

La nièce de Fellini
Gilles Verdiani
Roman
172 pages
Editions Ecriture
Prix :16,95 €

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