Catherine Enjolet : l’importance du hasard
Par Emmanuelle de Boysson – bscnews.fr/ Autour d’un thé au Sofitel de l’Arc de Triomphe, Catherine Enjolet se confie.
« Ce n’est pas moi qui prends la plume, c’est la plume qui me prend »
dit cette belle rousse, auteur entre autres de « Rousse comme personne ». « Face aux ombres », est un roman hyper sensible sur l’importance du hasard dans nos vies. Ariane, la narratrice, s’installe rue Mouffetard, à Paris ; à la suite d’indices troublants, elle s’aperçoit que son appartement est habité. Retour sur l’enfance, sur les drames, les non-dits, libération par la naissance d’un enfant : cette histoire est tout à fois. Poignante, écrite d’une plume poétique, comme une caresse, elle est aussi une réflexion sur le lien et le sens, mais aussi la résilience, thèmes chers à Catherine Enjolet, fondatrice de l’ONG de parrainage d’enfants en France et à l’initiative de « l’adoption affective ». « Le réel a plus d’imagination que l’écrivain. Nous ne percevons qu’une part infime de notre histoire », avoue cette femme rare et généreuse.
Qu’est-ce qui a guidé la décision de votre narratrice de vivre dans un appartement rue Mouffetard, au cœur du Quartier Latin ? Comment sait-elle qu’il est « habité » ?
Ariane a toujours rêvé d’habiter ce « village » et n’en revient pas d’y emménager. Hasard? C’est par cette question que commence le récit. La visite d’un jeune couple allemand à la recherche d’un homme qui porte le nom d’Ariane et semble avoir vécu à cette adresse, une série de rencontres et de coïncidences prouvent que l’immeuble n’est pas neuf, mais réhabilité, et que son histoire y est inscrite. Ariane voudrait ne rien savoir pour ne s’occuper que de l’enfant qu’elle attend. Les indices, les énigmes s’imposent.
Quels sont ces non-dits « mortifères », ces ombres du passé ?
Ariane est monteuse au cinéma, elle découvre, en compulsant les pièces qu’elle assemble que ce n’est pas par hasard. Elle n’a qu’une tante qui la retrouve grâce à son nom au générique d’un film et qui va lui donner des pistes pour aller sur les traces de morts violentes, de vécus inachevés… Dès lors, Ariane, mon double, se sent trahie; ses « choix « de vie d’adulte se révèlent déterminés par un passé familial dont elle se croyait libre. Les silences finissent toujours par parler et les revenants sont ceux qui n’ont pas pu se dire.
Pensez-vous que nos rencontres, nos choix sont le fruit de notre histoire où qu’il y a en nous une part de liberté ?
Le hasard est ce qui nous mène sans savoir où nous devons aller. Les cartes nous sont distribuées à la naissance, mais c’est à nous de jouer : notre liberté de contredire le déterminisme par notre détermination.
Comment écrivez-vous et pourquoi ? Avez-vous besoin de rêver un roman ?
Ecrire, c’est dire aux autres ce qu’on ne peut pas se dire à soi-même mais l’écrivain finit par s’entendre et à se réconcilier avec lui-même et son histoire.
Parlez-nous de votre engagement au sein de l’ONG de Parrainage d’Enfants en France que vous avez fondée.
Ecrire, c’est s’engager. Prendre le risque de l’autre. Je ne distingue pas l’écriture de l’engagement. Contre l’errance relationnelle de mes personnages, je crée d’abord le lien avec mes lecteurs qui s’identifient puis j’encre dans le réel. Je tisse les « Liens du Sens », mon concept auquel j’ai consacré un certain nombre d’essais et que je fais vivre au travers de mon action, – d’abord en France puis désormais à l’international – en lançant « l’Adoption Affective ». Le Lien et le Sens : les deux mots clés de la résilience, sont ceux de mon écriture comme de mon engagement.
Face aux ombres de Catherine Enjolet – Editions PHÉBUS – 14 euros
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