Romans et Femmes de tous les tourments

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ Le roman de 2014 échappe à ce reproche fait par Cesbron : « Il se mit à manquer de respect aux femmes : à ne plus se retourner sur leur passage … »

Que François se soit laissé piéger, malgré une longue expérience en matière de liaisons parallèles, atteste qu’il n’y a pas de limite à l’âge de déraison.Il a invité Julie à Londres, où il lui promet du travail. À peine arrivée à l’ombre de Big Ben, la jeune femme appelle l’épouse de François pour lui révéler leur liaison. Est-il possible d’appeler cela une garce, sans s’attirer les foudres de la nébuleuse féministe ? Malgré quoi François en redemande et n’est pas réellement déçu.

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Puis Julie rencontre Edgar, lors d’une de ses pittoresques errances nocturnes. Edgar est un financier éclairé, ce qui ne gâte rien. Julie est résolument du genre illuminé. « Edgar tentait de modérer les boissons, mais ignorait encore le seuil où Julie pétait les plombs parce qu’elle prenait en même temps Xanax, Valium et autres glauqueurs. C’était parfois au milieu d’un quatrième verre. Elle commençait à délirer, à lui en vouloir, à se moquer de lui, à l’appeler Scott, à rugir en pleine rue. Alors elle s’enfuyait. Elle s’est enfuie avec un chauve. Il la récupérait le lendemain ou deux jours après, anéantie, désolée, pillée ». Une adorable petite fiole de nitroglycérine, lancée dans une folle équipée contre le mur d’un royaume où l’argent est grand et la technologie, son prophète.

Déjantée, Marie l’est tout autant. Mais son monde se situe aux antipodes du Londres de Julie. Marie est strip-teaseuse à Pigalle. Elle vivote et galère. La nuit de Noël, elle rencontre un oiseau noir tombé de la crèche : Vincent, errant « avec cette guitare de pauvre qu’il ne savait pas accorder, sa petite chanson et ses mains sales ». La course de l’aveugle et du paralytique. Pour gagner du temps et être claire, Marie annonce qu’elle est « séro. Plombée ! », la faute peut-être à un échange de seringues. C’est pas une madone de junkie qui va effrayer Vincent : « Séro ? C’est la moindre des choses ! Le contraire m’aurait étonné. Moi je suis clean /…/ t’affole pas, je crois que je m’en fous ». Au lieu d’or, d’encens et de myrrhe, ils reçoivent un Manurhin, du sang qui gerbe à gros bouillons, un sauf-conduit pour le trip. Le début d’une errance désespérée, menée de main de maître par un surprenant Eudeline. On le savait critique de rock, fondateur d’Asphalt Jungle, un des premiers groupes punks français, dandy noir foncé et virtuose de la formule qui cingle. On le découvre saint Martin des anges noirs, romancier à l’arme blanche, implacable et précis, machinateur d’une convaincante épopée trash, musicale, scandée, hallucinée. Une déambulation amputée de tout espoir ? Il ne reste plus qu’à laisser faire les choses. Bons baisers du crépuscule.

Les montagnes russes de Mordillat sont d’un tout autre ordre. Xenia est une héroïne de « séduite et abandonnée ». Le père de son bébé la quitte, en emportant tout, y compris leurs économies. Elle travaille pour une entreprise de nettoyage industriel. Le ciel n’a rien à lui reprocher. Tant mieux : ce sont là ses proies favorites, sur lesquelles il fait bon s’acharner impunément. Mais les persécutés ont parfois des ressources inattendues. Xenia peut compter sur la solidarité de quelques-uns. En particulier Blandine, qui lui trouve un emploi de caissière à l’hypermarché voisin. Nouvelles Thelma et Louise, Xenia et Blandine vont tout partager, et pas que la vie en rose. Mordillat est l’apôtre de ceux qui tirent le diable par la queue. Leur veau gras, c’est la vache enragée. Leurs pierres précieuses, l’éclat des larmes. Leur Cac 40, l’espoir ténu mais déterminé d’un avenir meilleur. L’armure des deux femmes se brise le jour où Blandine est menacée de licenciement pour avoir récupéré des fruits dans les poubelles de l’hypermarché. Salauds de pauvres ! A travers deux femmes déterminées et insubmersibles, Mordillat continue d’éperonner sa rossinante, d’en découdre avec les porteurs de « dégueulasseries », de crier haut et juste pour ceux qui, à force de se taire, ne savent plus parler .

« Poupée », Alain Sevestre, Gallimard, 21,50 euros

« Ce siècle aura ta peau », Patrick Eudeline, Le Mot et le Reste, 15 euros

« Xenia », Gérard Mordillat, Calmann-Levy, 18,50 euros

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