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Patrick Pinchart : Sandawe et le crowdfunding

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Par Loïc Bertrand – bscnews.fr/ De plus en plus d’auteurs de bandes dessinées semblent éditer leurs albums en passant par des formes de financement originales et rendues aujourd’hui accessibles, grâce à l’interactivité du web. Le site internet de Sandawe, spécialisé dans l’édition de bandes dessinées, propose une forme de financement participatif dénommé le « crowdfunding ». Curieux d’en savoir plus, nous avons interrogé Patrick Pinchart, le fondateur des éditions et du site internet Sandawe.

propos recueillis par

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Pourquoi avez-vous choisi d’éditer des albums de bandes dessinées, est-ce lié à votre parcours professionnel et personnel?
Oui, je suis tombé dans la marmite de la bande dessinée dès mon enfance. En 1971, j’ai créé un fanzine d’études et d’interviews sur la BD à l’époque où, pour la plupart des gens, elle était encore considérée comme un amusement pour les enfants mais où commençait à émerger un mouvement de prise au sérieux de celle-ci. En 1980, j’ai créé la première émission de radio sur la bande dessinée. Elle s’appelait “Dessine-moi un mouton” et, diffusée sur Radio Campus en pleine guerre des radios libres, elle me permettait d’interviewer des auteurs pendant deux heures chaque semaine, les débutants de l’époque (Schuiten, Sokal, Servais, Frank, Tome et Janry…) mais aussi les grands anciens, alors très abordables (Peyo, Franquin, Delporte, Morris, Will, Fred, etc.). En 1987, je suis devenu Rédacteur en chef du journal Spirou. Fonction que j’ai quittée en 1993 pour lancer le département multimédia aux éditions Dupuis à une époque où pratiquement personne n’était encore connecté à Internet et où les premiers CD-ROM commençaient à peine à arriver sur le marché. En 2005, j’ai repris la place de rédacteur en chef du journal “Spirou” avant de devenir éditeur du magazine (je coachais les jeunes auteurs) puis comme éditeur du patrimoine, j’ai modernisé les intégrales existantes et lancé de nouvelles, en tentant d’en faire “La Pléïade de la BD” par des introductions historiques extrêmement complètes. J’ai quitté Dupuis en 2009 pour lancer Sandawe.

Pouvez-vous nous décrire en quelques mots ce qu’est le crowdfunding?
C’est un système de financement participatif, désormais très répandu, qui met en relation des initiateurs de projets et des investisseurs qui vont leur donner de l’argent pour faire aboutir leur projet, en échange de contreparties et, éventuellement, d’une participation aux bénéfices. On y trouve divers types d’investisseurs, des personnes qui souhaitent simplement aider un ami et qui misent le minimum, d’autres qui veulent uniquement avoir l’objet et qui le considèrent comme de la souscription, des passionnés qui souhaitent des choses exclusives en contrepartie de leur mise, pour les ajouter à leur collection, et de vrais mécènes qui sont prêts à mettre de grosses sommes pour aider un projet à aboutir. Je vous renvoie à notre étude sur le crowdfunding et la bande dessinée.*

Sandawe, que signifie ce mot ?
C’est le nom d’une tribu africaine qui a des valeurs que je voulais avoir pour une communauté : il n’y a pas de propriété privée, tout appartient à tout le monde; il n’y a pas de leader, tout se décide en commun; il y a un grand respect mutuel; ils vivent dans des conditions très difficiles, et doivent donc être très débrouillards pour survivre (un peu comme dans le milieu actuel de la bande dessinée); ils vivent dans des cases (et la BD se déroule de case en case); et, pour un site où tout se passe par clics sur des liens, la cerise sur le gâteau est qu’ils ont un langage par clics sonores, comme la tribu de “Les Dieux sont tombés sur la tête”. Ils avaient donc tout ce qui me plaisait pour symboliser une communauté à propos de la BD sur internet. Par contre, le nom est imprononçable, les Français le prononcent “Sandave” alors qu’on doit le prononcer comme “Zimbabwe”.

Quand avez-vous créé ce site et quelle a été la stratégie pour développer sa notoriété ?
Beaucoup de communication, énormément de rencontres avec la presse, qui était très intéressée par le concept. Nous avons eu des radios, des télés, des sites d’actualité sur internet pour le lancement du 10 janvier 2010. Par contre, au niveau stratégique, on n’avait pas prévu que, quelques jours plus tard, j’échappais de justesse à la mort après une chute d’escalade de 18 m et que, très, très amoché mais vivant, je devrais gérer le site d’un lit d’hôpital durant un an. Ce qui n’a rien simplifié pour le démarrage du site qui, en outre, développé trop vite pour être présenté à Angoulême, était horriblement lent et bugué. Il nous a fallu attendre le 1er novembre 2012 pour lancer le site que j’avais en tête, soit deux ans plus tard. Depuis, tout a vraiment décollé.

Pouvez-vous nous présenter quelques projets phares publiés sur Sandawe depuis le lancement du site ?
Ceux qui se détachent du lot sont “Sara Lone”, de Erik Arnoux et David Morancho, “Mourir nuit gravement à la santé” de Gilles Le Coz, “Corpus Christi” d’Eric Albert et François Maingoval, “Joseph Carey Merrick”, la première biographie en BD de l’homme-éléphant par Denis van P, “Maudit Mardi” de Nicolas Vadot.

Avez-vous dans votre fond de publication des auteurs connus ?
Oui, Zidrou, Maingoval, Erik Arnoux, qui viennent d’être rejoints par Tome (Le Petit Spirou), Darasse (Tamara), Cauvin (Les Tuniques bleues, Cédric, les Psy, Pierre Tombal, l’Agent 212 et plein de séries humoristiques à succès), Curd Ridel (Le Gowap).

Votre site utilise t-il uniquement le crowdfunding ou proposez-vous un processus d’édition classique ?
Attention à ne pas confondre : nous sommes avant tout une maison d’édition qui utilise le crowdfunding pour financer les livres. C’est donc le seul site de crowdfunding adossé à une maison d’édition, contrairement aux sites généralistes (Ulule, KissKissBankBank, MyMajor Company ou Kisckstarter) qui se contente de récolter (très efficacement) l’argent. Ce qui veut dire que nous offrons tous les services d’une maison d’édition, le suivi éditorial, la Direction artistique, le controle de la fabrication, l’impression, la diffusion (avec des équipes de commerciaux intallées en France, LaDIff, en Belgique, Dilibel, et en Suisse, Diffulivre) et la distribution (avec le plus gros distributeur européen, Hachette). Nous testons actuellement un service “à la carte”, les “Projets libres”. Les auteurs conservent tous leurs droits, gèrent ce qu’ils peuvent, et nous agissons en tant que prestataires pour ce qu’ils ne peuvent faire par eux-mêmes, par exemple la diffusion et la distribution.

Quel est le modèle économique des éditions Sandawe?
En tant que plate-forme de crowdfunding, nous sommes rémunérés par une commission de 5000 € par livre financé (dans le cas des projets libres, la commission est de 10% sur le budget récolté). En tant qu’éditeurs, nous partageons les bénéfices entre les auteurs, les édinautes et nous.

Quel bilan tirez-vous à ce jour de Sandawe ?
Les débuts, comme expliqué plus haut, ont été lents et très difficiles. Depuis le lancement du vrai site, le 1er novembre 2012, le succès est au rendez-vous. La croissance est en flèche et le nombre de projets financés s’accélère. Nous avons donc réussi à démontrer qu’il est possible de mettre en relation des auteurs et des lecteurs afin de permettre de permettre aux premiers de faire aboutir leurs livres avec l’aide des seconds. Nous nous sommes aussi rendu compte que c’est plus qu’une plate-forme de crowdfunding. C’est un vrai site de délassement pour passionnés de BD, qui peuvent dialoguer avec les auteurs, suivre les coulisses de la création, etc. Certains y passent plusieurs heures par jour.

Quels sont pour 2014 vos projets pour les Editions Sandawe ?
Nous sommes en pleine levée de fonds pour nous permettre de développer le marketing (nos moyens ne nous permettent pas d’être présents de manière crédible dans les salons et festivals et nous ne sommes pas encore assez connus, nous voulons rapidement doubler la communauté) et d’ajouter de nouvelles fonctionnalités au site, dont toute la partie “projets libres”, une boutique pour vendre nos produits hors-commerce, mais aussi d’autres choses qu’il est encore trop tôt d’annoncer.

Pensez-vous que l’utilisation du financement participatif sur internet pour promouvoir les publications et leurs auteurs est un effet de mode ou est-ce un changement profond dans l’approche et la conception du métier d’éditeur et d’auteur ?
C’est un changement profond, mais il n’en est encore qu’à ses débuts. Nous avons défriché le terrain et commis toutes les erreurs possibles d’explorateurs de régions inconnues mais nous avons énormément appris de ces erreurs. La relation entre les auteurs et les “grands” éditeurs s’est fortement modifiée ces dernières années, principalement à cause de la surproduction, cause d’écroulement des ventes par titre, et certains auteurs ont beaucoup d’espoirs dans ce système nouveau. Nous avançons avec eux, et nous évoluons sans cesse en fonction de leurs remarques et demandes.

Quelques titres que le BSCNEWS vous invite à découvrir sur Sandawe…

“Sara Lone” Erik Arnoux et David Morancho

Mourir nuit gravement à la santé” Gilles Le Coz

“Corpus Christi” Eric Albert et François Maingoval

“Joseph Carey Merrick”, la première biographie en BD de l’homme-éléphant. par Denis van P

“Maudit Mardi” Nicolas Vadot

*Résultat de l’enquête sur le financement participatif de la BD

© Nicolas Anspach

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