Roberto Casati : le manifeste pour continuer à lire
Par Laurence Biava – bscnews.fr / Dans cet essai brillant et percutant, Roberto Casati s’interroge sur la coexistence cognitive du livre papier et sur l’introduction parallèle du numérique à l’école avec laquelle il convient de prendre mille précautions. Il suggère la vigilance entre des parcours qui capturent l’attention (l’information librement accessible) et d’autres qui la protègent, comme le sont les horizons et les ambitions de l’école, cet espace protégé où le zapping est exclu. Il précise que la technologie s’immisce subrepticement où elle le peut dans les pratiques et dans les traditions.
Il s’exprime aussi sur la gestion de la colonisation numérique sur notre vie quotidienne et sur notre vie mentale. Le colonialisme numérique ne menace pas seulement nos droits, mais pose de très sérieux problèmes de préservation de notre intégrité en tant que personnes, capables de connaître, d’apprendre et de se développer.
Casati revient souvent sur le principe de précaution envisagé à l’école, dès qu’on parle du livre papier : car, dans un premier temps, « le livre », en tant que tel, présente un certain nombre d’avantages cognitifs et sociaux, parfois surprenants, puisque ceux-ci sont liés à certaines caractéristiques décrites généralement comme des limites. Dans un second temps, Casati explique que l’on doit chercher dans les environnements éducatifs des occasions de soustraire aux nouvelles technologies leur aura de normalité automatique, précisant bien que nous n’avons aucune raison de subir et supporter la nouveauté technologique (tout comme nous n’avons aucune raison de la réfuter). Ainsi, insiste t-il, l’introduction du numérique à l’école doit se faire prudemment, et être toujours considérée comme une expérimentation, soumise à des évaluations rigoureuses qui utilisent naturellement des groupes de contrôle.
« Au cours des siècles, se sont cristallisées autour du livre des normes et des règles sociales bien établies qui le définissent et le protègent. Il ne s’agit pas d’un discours nostalgique, mais d’un fait lié à la fonction du livre : faire circuler les idées à moindre coût et dans un format qui présente toute une série d’avantages, pas seulement la maniabilité, mais aussi la possibilité de le transmettre, de le consulter à nouveau, de l’offrir. Le livre est un objet de communication et d’échange. La vie du contenu électronique était donc entièrement à inventer, et l’on ne savait pas encore comment remplacer les pratiques sociales entourant le livre »
Casati ergote quelque peu pour rappeler assez souvent qu’il n’a rien contre l’outil numérique, l’I-Pad, l’E-book, les concepts, les designers, etc…. Il faut reconnaître que son essai est réellement très accessible, bien mené et très argumenté, et fourmille d’analyses intéressantes et enrichissantes. Sentimentalement, à la manière d’un avocat du livre papier et de la lecture classique, Casati dresse ici un émouvant plaidoyer plein de nostalgie et de regrets sur des réflexes hantés par le souvenir romantique d’une page humectée, et revient souvent, sur la façon la plus courante de défendre le livre qui reste, selon lui, menacé. Sa diatribe est parfois, et à juste titre, sans nuances contre ce qui met cet objet plein de feuilles, à moyen terme, en péril.
Contre le colonialisme numérique – Manifeste pour continuer à lire
Roberto Casati
Essai – 200 pages
Editions Albin Michel – Bibliothèques Idées – 17 euros
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