Croix de bois, croix de fer, Jacques Henric aime l’enfer
Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ Une photo le montre en premier communiant. Sur une autre, il est à Moscou avec l’infernale Catherine M. Etonnant, pour un communiste défroqué, par ailleurs lecteur de Céline ? Peut-être, avant d’avoir lu «Faire la vie». Mais pas de quoi l’agonir à l’instar de Sollers, qualifié un jour de « girouette de la rue Jacob ».
Sollers c’est Tel Quel, collectif de flibustiers que Jacques Henric rejoint après la défenestration de Jean-Edern Hallier : il est des mains que l’on ne serre pas. Auparavant, Henric – qui a adhéré au parti communiste vers l’âge de quinze ans – a collaboré aux Lettres françaises d’Aragon. Son premier roman (Archées, 1969) paraîtra dans la collection Tel Quel. La page de bibliographie permet de prendre la mesure d’un éclectisme jamais dispersé, aux antipodes du stakhanovisme ambiant. Un fil conducteur, mais pas le seul : le souci d’éviter les pièges anesthésiants des embrigadements. Et donc la volonté de développer une esthétique de la diffraction, une éthique caparaçonnée, un état d’alerte permanent face à l’amour et à l’érotisme.
Jacques H a choisi d’embrasser son paysage intellectuel dans des entretiens avec un poète et critique. Non pour en déplacer les bornes, procéder à un remembrement furtif, composer avec l’un ou l’autre remords mais simplement pour en permettre la vision panoramique. Un public plus large l’a remarqué à l’occasion de l’éclairage autobiographique porté par ses écrits alliant l’amble inouï avec ceux de Catherine Millet, gauchissant quelque peu dans l’opinion sa figure de Brasse-Bouillon du combat intellectuel et politique, occultant ses études critiques, ses écrits pour le théâtre, ses chroniques urticantes d’Art press et toute la liberté de ton qui le caractérise. À relire ses réflexions sur les liens entre la peinture occidentale et le catholicisme ou son appréhension du temps, on (re)prend conscience de sa stature. Le polémiste fait-il de Céline son miel quotidien ? Pas du tout. Il aime, sépare le bon grain de l’ivraie, persiste et signe des pages magistrales qui feraient la nique à bien des introductions savamment universitaires. Avant d’ouvrir Céline, lisez cet Henric « sobre comme un chameau avant de se mettre au travail » !
En guise de dessert, une adresse à tous les atteints de bouffissure polygraphique: « Une chose vous est-elle arrivée ? A son heure ? Non, alors allez vous balader dans la nature, biner votre jardin si vous en avez un, passez vos journées aux terrasses des cafés à regarder les passants, à mater les jambes des filles, comme faisait Manet, vous ne perdrez pas votre temps et ne ferez pas perdre celui de vos lecteurs à qui vous allez infliger pour la énième fois, de six mois en six mois, le énième roman nul et non avenu ». Le Petit Rilke sans peine, pour les poseurs du Flore et autres lieux où paradent « de très prolifiques, très pompeux, très fades littérateurs ».
« Faire la vie » de Jacques Henric. Entretien avec Pascal Boulanger, photos de Jacques Henric, éditions de Corlevour
Prix : 16 euros
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