Corée : l’improbable héritière aux multiples facettes
Par Félix Brun –bscnews.fr/ A l’occasion du décès et des dispositions testamentaires de leur père, deux frères dissèquent leur vie depuis l’enfance ;
ils mettent à nu les mystères d’une famille bourgeoise au glorieux passé, arrogante de sa réussite sociale dans la ville de K, engluée dans la corruption des politiques et des fonctionnaires, le jeu des partis au pouvoir et les intrigues pour l’obtention de marchés : « (…) le monde fonctionne non pas à la compétence mais à la flatterie , à l’appât du gain, à la malveillance et parfois au hasard heureux. » Les deux frères ont grandi dans l’ombre d’un père autoritaire, qui avait imaginé pour chacun d’eux des projets de carrière et de statut social : « dans ce monde, la vie d’un individu ne valait que par son appartenance familiale(….) car le nom de famille fonctionnait exactement comme une marque aujourd’hui. » Sur fond d’ancestrales rivalités entre les familles dominantes de la cité, l’entreprise familiale a périclité et disparu sous le poids des dettes, comme les ambitieux projets paternels pour ses deux fils : l’aîné est devenu cinéaste et le cadet fonctionnaire. La disparition du père contraint les deux frères à se retrouver, « Adultes, les deux frères n’avaient jamais partagé un repas » ; tous deux ont avancé « sur le tapis roulant du temps sans se parler ». Ce retour sur les lieux de l’enfance et de l’adolescence fait remonter les souvenirs, les conflits, les relations difficiles et les secrets : « N’avoir plus l’air d’un orphelin depuis que son père est mort , c’est un peu bizarre. » Les images défilent comme sur un vieux film dans lequel nous invite l’auteur : la société coréenne est représentée par le père, puissant d’un passé familial glorieux, entreprenant et intrigant, usant des esprits chamaniques. Le contraste est fort avec la nouvelle génération empreinte d’individualisme, de modernité et glissant vers la mondialisation.
Secrets est un roman aux multiples facettes. Le lecteur y découvre l’évolution détaillée de la société coréenne des années soixante jusqu’à la fin du siècle dernier, au travers d’une bourgeoisie en proie à ses contradictions, et à la délicate adaptation au modernisme et à la société mondialisée .Le cinéma y tient une place importante, les références au septième art sont nombreuses. Le lecteur appréciera un style original et sensible qui affectionne les métaphores appropriées : « Celui qui se sent à l’aise seulement chez lui est encore un enfant, celui qui se sent chez lui partout est déjà fort , mais seul est vraiment sage celui qui se sent partout étranger. »
Titre :Secrets
Auteur : EUN Hee-kyung
Edition : Philippe Picquier
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