Jérôme hamon et Marc Van Straceele : le sumo en question
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Tarō Akebono né Chadwick (« Chad ») George Ha’aheo Rowan, est un ancien sumo d’origine hawaïenne à qui fut accordée la nationalité japonaise. Il a contribué au rayonnement médiatique de cette discipline, devenant le premier sumotori non-japonais à accéder au grade de yokozuna , titre le plus élevé dans la hiérarchie du sumo en 1993. Du haut de ses 2,03 mètres et avec ses 235 kg, il avait deux grands rivaux Kōji Takanohana et Masaru Wakanohana et, après treize ans de compétitions, il s’est retiré en 2001 pour cause de blessures.
Jérôme Hamon s’est librement inspiré de son histoire pour imaginer les deux tomes de Yokozuna. Il nous invite à revivre la passionnante ascension d’un jeune adolescent timide et discret qui partit à Tokyo sans connaître un mot de japonais, avec l’idée follement ambitieuse d’atteindre le rang le plus élevé que puisse atteindre un sumo. Une histoire de courage, de persévérance et d’amitié qui ne passionnera pas que les amateurs de ce type de lutte ou même plus largement les nippophiles. Accompagné du trait délicat et poétique de Marc Van Straceelle, le récit habilement rythmé nous plonge dans un univers de traditions, de sacrifices et de valeurs aussi ancestrales qu’attirantes. Rencontre avec les deux auteurs de cet ouvrage de poids!
Jérôme Hamon ( scénariste)
Pour un premier scénario, choisir le Japon comme cadre, on suppose que ce n’est pas un hasard de la part d’un Breton?
Probablement… Le Japon est un pays qui m’a toujours intrigué et attiré. J’ai découvert la culture japonaise avec Matsumoto, Toriyama, Miyazaki et Otomo. J’ai fait plusieurs années de judo. Et j’ai pris Japonais en quatrième langue, au Lycée… Si bien que lorsque j’ai cherché le cadre de mes premières histoires, je me suis naturellement tourné vers le Japon.
Le sumo est un sport pour initiés…comment est venue l’idée de travailler dessus?
Je cherchais un aspect méconnu de la société japonaise, qui soit en même temps significatif de cette culture. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser au sumo. Je savais que ce sport était important, mais je ne connaissais quasiment rien dessus. Et plus je lisais de choses sur le sumo, plus je dépassais mes propres a priori, et plus j’avais envie d’écrire une histoire sur ce sujet.
Comment avez-vous procédé ensuite pour vous documenter? Aviez-vous un interlocuteur privilégié, une bibliothèque source?
J’ai lu plusieurs ouvrages, sur le sumo et sur Chad : Gaijin Yokozuna de Mark Panek et Mémoires d’un lutteur de sumo de Kazuhiro Kirishima, notamment. J’ai regardé des documentaires. J’ai passé beaucoup de temps sur Internet pour chercher des visuels, des articles et des vidéos. Peu de gens s’intéressent au sumo. Mais on trouve aussi de véritables passionnés. Et pour peu que l’on soit prêt à y mettre le temps, on peut vraiment tout trouver. Il y a même un site qui répertorie les combats de chaque sumo professionnel depuis les années soixante ! Et pour quelques points très précis, j’ai été en contact avec l’un des spécialistes français du sumo.
Quelle est la vraie histoire de Chad Rowan? A quel point la romancez-vous?
J’ai essayé de rester aussi fidèle que possible à la vraie histoire de Chad (tout comme à celle des différents protagonistes de cette histoire). Et même les évènements les plus invraisemblables ont souvent eu lieu. Par exemple : le frère de Chad a bien fini par travailler pour des yakuza ; et le groupe de supporters de Chad, s’est réellement dissout parce que celui-ci avait décidé de se marier sans les consulter. Les seules choses qui ont été romancées sont les évènements « insignifiants » du parcours de Chad. Des moments anodins de son quotidien, sans réelle importance historique, et sur lesquels repose pourtant toute la poésie du récit : son amitié avec Imura, sa découverte du sumo et du Japon…
Si les premiers mois de Chad sont difficiles, il semble que vous n’ayez pas choisi d’appuyer sur les côtés sombres du sumo… on se trompe?
Hum… Je ne sais pas trop. Cela n’était pas dans mon intention, en tout cas. J’ai voulu donner une image aussi réaliste que possible de ce sport. J’ai voulu montrer la dureté des entraînements et de la vie dans les confréries, notamment le poids de la relation senpai-kohai, littéralement ancien-jeune, qui régit toutes les relations au Japon. Lorsque Chad monte dans le classement, ces côtés sombres passent au second plan, pour laisser leur place à d’autres : le poids que la tradition et les Koenkai (les groupes de supporters) font porter aux sumotoris, par exemple. Il faut noter, aussi, que les scandales qui ont éclaboussé le milieu du sumo ces dernières années (les combats truqués et la mort d’un jeune sumotori suite à une punition collective, notamment) sont survenus quelques années après la fin de cette histoire.
Ce qui vous intéressait surtout, c’était de montrer l’adaptation d’un être dans un environnement complètement différent de celui où il a grandi?
Oui, en effet. La découverte de la culture japonaise et du milieu du sumo, puis la remise en cause de ses propres valeurs qui en découle étaient très importantes, pour moi. Cela me semblait indispensable pour que le lecteur puisse s’identifier à Chad, et donc vivre cette histoire à ses côtés.
Vous est-il arrivé de ressentir la même chose que Chad? notamment, peut-être, à New-York, quand vous étiez analyste financier?
Je ne sais pas si j’ai ressenti la même chose que Chad. J’ai, en effet, eu l’impression d’avoir ressenti beaucoup de choses très proches de ce qu’il a pu ressentir. Mais en même temps, n’est-ce pas plutôt moi, qui ai transposé mes propres émotions dans ce qu’il a vécu ? … Une chose est sûre, en tout cas, j’ai mis beaucoup de moi-même dans Chad. Sa solitude lorsqu’il arrive à Tokyo. Son acharnement à croire en son rêve et son combat pour y arriver. Sa réalisation, lorsqu’il devient yokozuna, que ça n’est pas une fin en soi, mais seulement le début d’autre chose. Sa prise de conscience après son opération.
Enfin, quels sont vos autres projets actuellement? Travaillez-vous déjà sur d’autres ouvrages?
Oui, je travaille sur plusieurs autres projets, dont un avec Marc.
Marc Van Straceele ( dessinateur)
Qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à ce projet Yokozuna?
C’est l’originalité du sujet qui m’a tout de suite donné envie de participer à la création de YOKOZUNA. Il était question, pour moi, de décrypter un univers très méconnu, d’apprendre énormément de choses sur un large pan de la culture japonaise. C’était l’occasion de travailler sur un sujet hors des canons esthétiques récurrents. Et j’ai eu envie d’essayer de montrer dans mes visuels une poésie qui émane de ladévotion des sumos à leur voie, aux codes et aux rituels immuables. Mon intention était d’aller au-delà des stéréotypes, en vue de s’intéresser à la substance de ce mythe des demi-dieux et de faire partager une vision de ce monde. C’est donc comme un voyage initiatique que j’ai appréhendé ce travail, une manière d’apercevoir et d’effleurer une nouvelle culture, une société intrigante. Avec ce support comme origine, un deuxième sujet s’est développé: l’acclimatation d’un néophyte à une culture si différente de la sienne. Un peu comme le reflet de lecteurs étrangers à cet univers.
Passionné par la culture asiatique, avant de rencontrer Jérôme Hamon, aviez-vous ressenti de la fascination pour les sumos?…et en aviez-vous dessiné?
Je ressens de la fascination dans la dévotion dont les sumos font preuve tout au long de l’apprentissage de leur art, ainsi que dans le culte qui leur est voué. Leur apparence physique est aussi fascinante, et elle contraste tellement avec la délicatesse et la précision de leurs gestes lors de cérémonies. Je suis impressionné par l’implication qu’ils ont à cultiver leur charisme et leur prestance pour être dignes de leur rang. Dans YOKOZUNA, le culte que vouent des familles japonaises au sumo est présent en filigrane, notamment avec les « Hanada », mais il était davantage question d’entrer dans cette « voie » à travers un néophyte, un étranger à cette culture (comme nous, les auteurs), et dont l’apprentissage ne nécessite pas simplement une immersion dans une« beya » (une écurie de sumos) avec ses règles et sa rigueur, mais aussi au sein d’une société entière, pour la comprendre, l’assimiler, au point d’en devenir un emblème. Un YOKOZUNA. Une façon de voir comment cet art empli de codes, s’ouvre un peu plus au monde et, à la fois, se referme sur les arrivants étrangers qui veulent l’intégrer et l’assimiler. Je n’avais jamais dessiné de sumo auparavant, mais j’ai dessiné beaucoup de modèles vivants pendant mes études.
Avec quels outils et matériaux avez-vous travaillé pour concevoir les dessins de ces deux romans graphiques?
Il était essentiel pour moi d’utiliser des moyens graphiques qui « collent » au sujet, de garder « l’esprit asiatique » pour essayer de révéler les atmosphères qui correspondent. Mon outil de prédilection a été (et est toujours) le crayon, avec lequel il m’est possible d’avoir une fluidité et des pressions différentes sur le papier, pour « rigidifier » des éléments avec un trait précis et affirmé, ou, au contraire, être très léger, avec des traits ténus et vibrants, qui s’évaporent dans les brumes du lavis, pour le côté éphémère et vivant. Le but étant, bien sûr, d’accorder les traits le plus possible avec le sujet présenté dans les visuels. Pour lier les éléments entre eux, et développer une atmosphère, mon choix s’est porté sur le lavis, à l’encre de Chine noire diluée, comme utilisée en calligraphie, Sumi-e, estampe…L’important était de créer des vapeurs et des brumes légères pour, tantôt modeler les personnages et intensifier des expressions avec des ombres et des lumières, tantôt de faire s’évaporer les dessins dans des transparences. La composition des planches et les temps contemplatifs étaient primordiaux pour moi. C’était délicat de proposer à Jérôme des rythmes différents de ceux qu’il imprimait au récit, pour avoir des moments de transition plus lents et chargés d’ambiance. J’ai réalisé chaque dessin sur des feuilles volantes, je les ai toutes scannées, et j’aiensuite pu composer mes planches sur un logiciel sur ordinateur. Le travail par ordinateur est uniquement un travail d’assemblage, qui me permettait de cadrer mes visuels et composer mes planches avec plus de liberté et de possibilités de « retours en arrière ».Je travaillais plusieurs double-pages en regard les unes des autres. Je les tirais ensuite sur papier pour apposer des lavis sur des feuilles différentes, par transparence avec ma table lumineuse. J’avais souvent plusieurs lavis superposés, et je les scannais à leur tour pour les assembler.
C’est un travail réalisé en combien de mois? années?
Il m’a fallu 3 ans pour réaliser les quelques 500 pages que comptent les deux tomes. Un long travail de patience…
Quels ont été vos supports et sources d’inspiration?
Mes sources d’inspiration ont étés les arts asiatiques dans toutes leurs diversités. Bien sûr les estampes, les maîtres du Manga, mais aussi d’autres formes d’art, comme le Bonsaï, l’Ikebana, la Calligraphie, l’agencement des jardins… qui soulèvent également des notions d’épure, de plein et de vide, de maîtrise et de hasard… Quant à mes supports, énormément de photos de voyage accumulées et posées librement par des personnes sur internet, autant d’angles de vue de quartiers de Tokyo, par exemple, où je n’ai jamais encore posé les pieds, et qui m’ont été d’un secours incroyable. Beaucoup de vidéos de combats de sumos, des liens fournis par Jérôme, qui est arrivé avec une documentation énorme sur le sujet, à tel point qu’il était très difficile pour lui d’élaguer et d’aller à l’essentiel. Et bien sûr, des documentaires sur le Japon.
Quelles ont été vos difficultés? Donner du mouvement au dessin des combats? cultiver « l’esprit asiatique »?
Mes principales difficultés ont été de différencier des personnages qui semblent au premier abord très similaires. Leur apparence physique et leur tenue réduite au minimum!
C’était délicat de trouver des caractéristiques propres à chacun et de les reproduire constamment, sous toutes les coutures. Pour le mouvement des combats, j’ai dû m’appuyer tout le temps sur des exemples de prises de sumo que je ne connaissais pas et sur des positions reprises dans les vidéos. Essayer de « cultiver l’esprit asiatique » a été un vrai bonheur. J’espère avoir réussi à faire passer des atmosphères poétiques au travers de tous mes dessins. Je me suis employé à essayer de faire « goûter » un petit peu des sensations que j’imagine propres à cet univers « hors du temps ».
Enfin, avez-vous d’autres projets en cours?
J’ai soumis une idée de nouveau projet à Jérôme, qui l’a développée en histoire, et je travaille maintenant à l’élaboration de planches sur ce sujet en devenir. Je développe en parallèle, un autre projet, en solo, cette fois. J’ai une piste pour « story-boarder » quelques séquences d’un film. Je continue ma production plastique en vue d’expositions. Et je suis toujours à la recherche de nouveaux collaborateurs pour élargir mes horizons.
Yokozuna
Tome 1 & 2
Editions Kana
Prix d’un tome : 25 €
Parution : Mai 2013 ( Tome 1) et Août 2013 ( tome 2)
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