Montagne : confidences autour de notre géographie intime
Par Laurence Biava – bscnews.fr/ Fabrice Lardreau a publié au printemps dernier «Cimes intérieures». Ce recueil de textes a proposé à des écrivains, des philosophes, des chercheurs, des célébrités qui ont toutes en commun d’avoir un jour chaussé une paire de croquenots ou de s’être attaché une corde autour du ventre pour aller en montagne, de raconter leurs sentiments et leurs émotions éprouvés face à la montagne.
Jean-Jacques Beineix, Pascal Bruckner, Emmanuel Carrère, Jean-Christophe Grangé, Etienne Klein Emily Loizeau, Jeannie Longo, André Manoukian, Pierre Mazeaud, Pierre Richard, Willy Ronis, Michel Serres, Sylvain Tesson et Nicolas Vanier se succèdent dans une galerie de portraits, que l’écrivain Lardreau avait commencée en 2010 avec Versants intimes , autour d’un même thème : l’amour de la montagne. Dans Cimes intérieures, c’est plus une série savamment orchestrée de courts fragments biographiques, qui représentent des échanges intimistes à part entière et se talonnent des confessions parfois inattendues et souvent ressemblantes sur le plaisir de «s’élever» au sens propre comme au sens figuré. Le texte est entre le récit et l’entretien journalistique. Il tend à démontrer –tous les textes tendent à le démontrer – que la montagne, la vie à la montagne, n’est pas une simple activité, une activité anodine s’entend, et se confond rarement avec un sport ou un « hobby ». Ce que cet amour de la montagne révèle en tant que « mémoire » du lieu, donc du paysage, au-delà de tout l’aspect de la quête spirituelle recherchée, c’est le souvenir précis des lieux chers à ceux qui les ont parcourus, c’est l’évocation instantanée d’instantanés naturels et naturalistes qui deviennent le point de départ de réflexes d’écriture, de promenades poétiques, de considérations mystiques ou philosophiques, un peu comme si ce recours mythifié à l’espace suffisait à retranscrire ou à retracer le cours d’une vie à travers le filtre de la montagne. Il existe un pouvoir pour ainsi dire « magique » de la montagne, quelle que soit la fréquence à laquelle on la pratique et quel que soit le temps que l’on y consacre : à lire tous les mots de ces célébrités, il semble bien qu’elle accompagne l’existence de chacun, qu’elle soit échappatoire, respiration, source de vie, réflexe de survie, lui donne un sens et une intensité supplémentaires. Alors, par le prisme de tous ces portraits de passionnés de la montagne, celle-ci se fait tour à tour inquiétante, fascinante, dangereuse, sublime, divertissante, impressionnante, et elle reste le symbole idéal de toute vie rêvée. Elle magnifie tout lieu d’inspiration pour l’artiste et l’intellectuel. On s’accordera à dire que tous les récits de ces hommes et femme se rejoignent sur l’idée de montrer la montagne comme une réelle source de création, philosophique, littéraire ou musicale. Parce qu’elle dévoile ces êtres dans un exceptionnel moment de vérité absolue. Car, évidemment, on ne triche pas avec la montagne (ni avec la mer, d’ailleurs) et cette activité de plein air traverse autant nos chemins intérieurs qu’elle ne foudroie le miroir de nos apparences, ou aplanit nos égos. Dans la jolie préface de ce précieux petit livre, l’écrivain Philipe Claudel écrit combien l’élément naturel nous ramène à l’humilité, et à l’empathie: « Souvent l’évocation de la montagne renvoie à une géographie intime, que beaucoup d’entre nous, par pudeur ou par crainte de souiller ce qui leur semble fragile, masquent dans leur quotidien social. Nous sommes des créatures du jeu. Mais, s’il est un lieu qui nous dévoile, et où l’abandon du jeu demeure la condition essentielle d’une survie, réelle ou symbolique, c’est bien la montagne ». Ces confidences partagées dans ce recueil amical disent tout de notre géographie intime et de notre odyssée inspirée par les hauts sommets, en tant que pays de l’art vivant, loin des pinceaux et des théories..
Cimes intérieures
Fabrice Lardreau
Editions Guérin
216 pages
Prix : 13 €
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