Pascal Rabaté

Pascal Rabaté : un livre-accordéon hommage à Hitchcock, Tati, Alexis et Simenon

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ crédit photo © Didier Gonord /Auteur de bandes-dessinées depuis vingt ans, Pascal Rabaté est également scénariste et réalisateur de films. Son parcours? Après avoir étudié la gravure aux Beaux -Arts d’Angers, il se lance dans la bd et son travail évolue petit à petit, influencé par les traits de mentors tels que Buzzelli, Bofa, Pellos et Alexis, dans la veine expressionniste. Auteur d’un grand nombre d’ouvrages, il adapte notamment en 1998 le roman de Tolstoï, Ibicus ,qui est un grand succès auprès du public et de la critique puis crée en 2006 les Petits Ruisseaux qu’il porte ensuite au cinéma en 2010 avec Daniel Prevost et Philippe Nahon. Récompensé de nombreuses fois pour son travail dans le septième et le neuvième art, il a voulu en 2013 les mélanger dans un leporello « réversible » intitulé Fenêtres sur Rue. Un côté Matinées et un côté Soirées permettent aux lecteurs curieux d’observer deux facettes d’une même façade d’ immeuble et d’y surprendre de bien étranges choses…Présenté comme une pièce sans paroles en dix tableaux et un décor, ce livre-accordéon fait ,l’air de rien , un clin d’œil aussi au théâtre : Lever de rideau sur Pascal Rabaté!

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Comment est l’idée de Fenêtres sur rue?

D’abord ma rencontre avec Clotide Vu, directrice de collection chez Soleil de ces livres-accordéon. On avait déjà collaboré ensemble sur le livre Paroles de poilus dans lequel j’avais fait quelques pages ; je sortais de la création du film « Ni à vendre ni à louer » et j’avais envie de revenir un peu au livre avant le tournage du prochain. Ça m’intéressait de bosser sur un format un peu différent et après deux jours de réflexion, j’ai eu l’idée de faire une suite de tableaux avec d’un côté le jour, de l’autre la nuit….un peu le prolongement du thème du film « Ni à vendre ni à louer » qui faisait , non pas une autopsie du couple mais plutôt une analyse du couple à différents âges…Dans ce leporello on trouve un peu des clichés : du jeune couple où à la femme est enceinte jusqu’au couple dont l’histoire s’achève sur un meurtre et la séparation du couple âgé.

Le projet est donc parti de la forme du livre et non pas de la volonté de rendre hommage à un réalisateur précis…
C’est vrai que le film d’Hitchcock portait déjà cette thématique. Quand on regarde « Fenêtre sur cour », on voit quelqu’un qui est immobilisé , les jambes dans le plâtre, et qui commence à regarder derrière les fenêtres la vie des gens à portée de cour…il y a les célibataires qui se rencontrent , un jeune couple tout juste marié , un couple plus âgé jusqu’à, en effet, ce couple avec l’acteur Raymond Burr qui joue l’homme excédé qui tue sa femme. J’avais adoré le film et je me suis dit que j’allais faire d’une pierre deux coups en rendant hommage à son réalisateur, un peu à Jacques Tati aussi. En effet Hitchcock était anglais et il tournait aux États-Unis : les architectures du film sont plus anglo-saxonnes qu’européennes et du coup, quand j’ai commencé à réfléchir à mes façades , j’ai plutôt pensé à la maison de Mon oncle de Tati…Dans le film, il y a d’ailleurs une scène où l’on fait le portrait d’un personnage par petits bouts: d’abord on voit au travers d’une fenêtre la tête puis le tronc etc…ce leporello était donc une façon de lier ces deux influences dans ma formation de narrateur ; Tati pour sa poésie, Hitchcock pour son intelligence de mise en scène et sa malice. Comme il y a un peu de policier aussi, J’ai pensé aussi à Simenon qui a été pendant longtemps une de mes lectures de chevet : je n’en ai pas lu tant que ça puisque j’en ai lu 200 et quelques et qu’il en à écrit 500! ( rires) . Simenon a une analyse de l’humain qui me plait beaucoup, une vision un peu désespérée et en même temps qui n’est pas cynique; il y a juste quelque chose de triste dans la vision des personnages qu’il décrit mais une vraie justesse dans le détail et les motivations . Voilà, ce livre, c’est un peu le produit tout ça. Après c’est vrai que la création tient autant de l’adaptation que de la volonté personnelle…d’ailleurs la vie n’est qu’adaptation. C’était donc à moi de trouver, à partir de ce format imposé , comment en faire un livre qui me ressemblait et qui permettait de raconter quelque chose qui me tenait à cœur.

C’est un livre qui donne l’occasion au lecteur d’avoir le premier rôle et d’être très actif…
Le but était de donner de la liberté au lecteur , une liberté d’interprétation puisqu’il y a beaucoup de hors-champ ( qu’est-ce qui se passe derrière les murs? ) . On n’a que des bouts d’histoire perçue quand les gens sont dans l’axe des fenêtres. Aussi il y a beaucoup de choses à se raconter; je pense d’ailleurs que l’art est plus une question qu’une affirmation. Ce livre me permettait aussi de changer le motif de lecture puisque le livre , par rapport au cinéma, à cet avantage que l’on peut revenir en arrière, on peut confronter les images ; je voulais laisser au lecteur le loisir de déchiffrer tous les indices que j’ai glissés derrière les fenêtres .

Dans le film d’Hitchcock, le fait d’observer l’intimité des gens joue des tours au personnage principal or là il semble que le message soit plutôt le contraire: « regardez à votre fenêtre, soyez curieux des autres »…non?
C’est vrai que le bouquin a plutôt été conçu de façon assez ludique. Le photographe d’Hitchcock est immobilisé et il ne peut faire autrement. Le lecteur, lui, peut refermer le bouquin( rires) …dans tous les sens. C’est pas du tout le même point de vue que celui qu’a installé Hitchcock. Ce leporello est un petit voyage avec un plan naturel qui est celui de la succession des images. Mais j’ai laissé beaucoup de choix et de possibilités différentes d’aborder le livre et chacun l’aborde comme il le veut!

Les histoires des personnages étaient déjà précises ou se sont construites au fur et à mesure de la confection?
Les histoires se sont construites au fur et à mesure de la réalisation du projet. C’est ce qui m’a amusé d’ailleurs! Par exemple, j’ai dessiné la jeune femme enceinte qu’au bout de trois mois parce que ce jeune couple me racontait une histoire et que je voulais marquer la différence avec les autres couples. Ce jeune couple qui se construit en faisait un enfant répondait en miroir à un autre couple avec un enfant plus âgé et qui avait des problèmes de fidélité réciproques.

On retrouve un pianiste, un couple amoureux, un meurtre …présents dans Fenêtre sur cour. Pourquoi avoir gardé certains éléments du film et pas d’autres?Comment s’est fait le choix? Avez-vos choisi ceux qui éveillaient davantage vos fantasmes, votre imagination?
Le pianiste m’amusait assez parce que, du fait de son métier, il peut dormir le jour et travailler la nuit et emmerder celui qui est en dessous ( rires). Le jeune couple me faisait penser à la jeune fille que vient draguer Hulot dans » Mon oncle ». Les deux ivrognes avec chiens ; il y a un qui vient plus de Hitchcock , l’autre de Tati. Le second m’a été inspiré par un personnage de « Mon oncle  » qui est toujours en peignoir et qui est toujours ramené par son chien à la maison; je voulais donc que le premier soit donc plus anglo-saxon. Il y a aussi deux célibataires qui passent leur temps a regarder la télé; il y a une femme délaissée à l’étage qui va avec le pianiste de temps en temps …j’ai essayé de faire en sorte que tout fonctionne en paires.

Graphiquement parlant, on perçoit un important travail sur les couleurs et ses nuances: pour représenter les divers moments de la journée et la variété des lumières, avez-vous fait un travail photographique préalable?
Je n’ai pas travaillé du tout d’après photos; par contre, il m’est arrivé de me lever la nuit pour voir les éclairages, la luminosité à différentes heures, les ambiances générales. Quant aux images de jour, le matin, j’ai représenté les ombres qui partaient sur la gauche et le soir , sur la droite, ces heures où les ombres courent plus loin. Et puis on y voit aussi des heures où la lumière zénithale fait qu’il n’y a pas d’ombres au sol. Si , pour ne pas reproduire la même image, j’ai voulu exprimer les changements d’heure , avec ce côté matinées et soirées, j’ai représenté aussi des changements de temps: lorsque le linge vole, c’est une journée de tempête…la journée très pâle , c’est une journée avec brouillard… On voit un temps pluvieux également etc.

Cette bd fait un clin d’œil au cinéma et à la littérature , on l’a vu , mais également au théâtre…Est-ce parce que la vie des autres, au travers des fenêtres, acquiert un côté presque irréel et qu’on croit y voir une pièce qui se joue sous nos yeux? Y-a-t-il un clin d’œil aux décors en carton-pâte d’Hitchcock?
C’est un peu ça oui. En fait, au début, c’était un hommage au cinéma et à la littérature, en passant par Maigret etc…puis quand j’ai commencé à créer ces tableaux, j’ai pensé à une scène de théâtre puisqu’on a un décor unique où les éclairages varient, avec les acteurs qui apparaissaient dans les différentes fenêtres. Mais au bout du compte, c’est surtout une bande -dessinée puisque ça reste un support papier avec des images et une narration qui s’effectue d’une image à une autre. C’est pour cela qu’à la fin, quand le rideau tombe, il y a un personnage qui arrive avec ses planches et c’est un personnage que l’on retrouvait dans les bds d’Alexis et de Gotlib où quand ils dessinaient une image qui pouvait passer à la censure, il y avait toujours ce petit personnage avec ses planches qui cachait la scène. Alexis a été une de mes influences pendant longtemps, au début quand je démarrais dans la bd; aussi je voulais faire comme une espèce de boucle: la bande-dessinée qui parle de théâtre, de cinéma et de littérature va aussi parler de bande-dessinée.

Pour conclure, avez-vous d’autres projets en cours?
Je pense que je vais m’atteler à un projet de bouquin dans pas longtemps mais là je suis en post-production d’un tournage que j’ai fait en avril-mai; le montage est fini; on est sur le montage-son, la musique et l’étalonnage. Une fois que cela sera terminé, je vais avoir un tout petit peu de temps ( rires) avant la sortie du film et la promo que ça implique…et peut-être le tournage d’un prochain déjà sur les rails…

Ce film sur lequel vous travaillez est inspiré d’une de vos bds ?
Non, c’est un scénario original , même si ça peut faire penser à un spin off, comme on dit dans le métier, parce qu’il y a un des personnages qui existe en bd qui est celui du « petit rien tout neuf avec un ventre jaune ». Mais même si le personnage apparaît, le scénario a toujours été écrit et conçu pour le cinéma. C’est mon troisième long métrage; le premier était une adaptation des Petits Ruisseaux, le deuxième était un film hommage au cinéma burlesque , un film sans dialogue, et là je reviens à quelque chose de plus narratif.

Fenêtres sur rue
Éditions: Soleil
Collection: Noctambule
Auteur: Pascal Rabaté
Parution: Août 2013
Prix: 18,95€

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