Les perroquets de la place d’Arezzo : Sexe sans conscience n’est que ruine de l’âme

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Éric Emmanuel Schmitt suscite l’admiration chez tous ceux qui savent déceler combien, tapis derrière chacun de ses sujets, se superposent et s’entremêlent de nombreuses strates de sens. On peut lire Les perroquets de la place d’Arezzo ,d’abord, au premier degré: le dévorer comme un roman subtil dans lequel les sens sont en éveil , où le sentimental rivalise avec le sexuel, le sordide avec le romantisme, le désespoir le plus profond avec le bonheur extatique ; et y jouir de la libération des mœurs et des êtres en se laissant charmer par les lignes sensuelles que compose le narrateur mutin, tantôt galvanisé par l’audace d’une Diane sans tabou par exemple ou inspiré par la plastique d’une Ève expérimentée . Beaucoup y sentiront vite la fine analyse psychologique qui se tisse au fur et à mesure des chapitres: on croise une multitude de visages pour lesquels le lecteur ressent des sentiments ambivalents et fluctuants: tantôt attachants, tantôt méprisables, ici il n’y a pas de place pour des personnages sans relief et stéréotypés; aucun n’échappe au jugement du lecteur, les torts sont souvent partagés et les conflits gagnent en intérêt parce qu’ils expriment la complexité de la réalité. Les êtres dépeints ont tous des failles et l’on ne s’en sent que davantage proche, forcément. Leur sexualité est le reflet patent de leurs écorchures et de leur essence. Voilà pourquoi Éric- Emmanuel Schmitt la place sous les feux de vos yeux.

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Les perroquets de la place d’Arezzo est ainsi un roman qui, pour cette rentrée littéraire, se fait l’écho de nombreuses questions soulevées dernièrement par l’actualité: mariage pour tous en France, harcèlement sexuel, liberté des femmes… Avec une démarche profondément humaniste, l’écrivain nous confronte ainsi à une adepte du sexe extrême , à un obsédé des galipettes et des cajoleries de bureau – homme de pouvoir qui ne manque pas de rappeler un politicien français déchu- , à des adolescents qui s’éveillent à la sensualité, à des homosexuels refoulés ou assumés,à des croqueuses d’hommes, des étalons, une vieille fille jamais déflorée, des maris qui trompent leurs épouses, des maîtresses…Chaque personnage a une histoire singulière, une souffrance prégnante que sa sexualité exprime ou refoule. Chacun est une occasion renouvelée de s’interroger sur sa propre tolérance et moralité. L’opportunité d’analyser intelligemment si la sexualité est le seul critère valable pour juger de l’intégrité et de la valeur d’un individu.
La trame du roman? Il est temps de vous la dire, il est vrai! Autour d’une place bruxelloise ( huit-clos où chacun a le loisir d’observer les autres et de juger les gens sur leur mine) à l’histoire étonnamment exotique, battent des cœurs insatisfaits qu’une âme mystérieuse décide de bouleverser en envoyant une pluie de lettres d’amour anonymes. Qui est ce  » Tu sais qui » qui signe? Quel est son objectif? Semer la zizanie ou la paix? Au lecteur de se prêter au jeu de l’enquête, l’auteur égrenant ça et là des indices qui , tour à tour , le perdent ou le dirigent. Nimbée de mystère, la fiction n’en devient ainsi que plus érotique. En effet, déjà que l’évocation permanente du sexe échauffe les esprits, le roman d’EE Schmitt pousse bien plus loin le jeu : l’érotisme, naissant d’une plume habile, n’est pas seulement une corne d’abondance de plaisir, il est également un moyen de domination du démiurge sur ses créatures, sur ses lecteurs et Éric Emmanuel Schmitt en abuse avec l’élégance et la dextérité que l’on lui connaît. D’ailleurs, il pousse l’audace jusqu’à insérer une figure d‘écrivain qui pourrait le représenter, Baptiste, l’auteur brillant qui accepte un ménage à trois avec la maîtresse de sa femme. Les mots donc manipulent, leurrent, permettent des suppositions, autorisent le dérapage de l’imagination…On apprécie d’ailleurs qu’un auteur aussi reconnu laisse s’exprimer dans ses lignes avec autant de naturel le désir, l’impatience et accepte de badiner en compagnie de son lecteur! Un procédé d’écriture osé où l’auteur est contraint de se mettre un peu lui aussi à nu -même s’il ne narre que des faits imaginaires- tant l’écriture érotique l’oblige à déshabiller ses phrases, à inviter la sensualité à son bureau et donc s’exposer en mots au regard de ses lecteurs.
Autre strate de sens de ce roman : il a pour ambition de nous apprendre des choses sur nous-mêmes et de nous rappeler la puissance de l’imaginaire…qui est la clé de voûte du sexe. Et beaucoup d’amants finissent par l’oublier et s’étonnent de l’ennui de leurs rapports intimes. L’ivresse naît des mots, d’une situation, d’un postulat…bien plus que d’un frottement mécanique et répétitif.
Attention cependant! si l’on pense, lors des premiers chapitres , que l’auteur se fait le porte-parole du libertinage, les chapitres suivants nuancent, montrent les revers des libertés trop excessives et incitent davantage à réfléchir sur le paradigme sexualité/moralité qu’à s’attarder sur la question de l’intérêt de multiplier les partenaires et les expériences érotiques marginales . En effet, l’on a même aujourd’hui tendance à positionner sexualité et moralité en contraires, confortant les modes de pensée puritains. Or ne peut-on pas avoir une sexualité libérale et être un être moral et respectable? Une question provocatrice mais non dénuée d’intérêt. Il semble que nos principes d’action vis à vis de nous-mêmes et des individus restent moraux , justes et visent le bien tant que nous ne mettons pas à mal notre intégrité et celle des autres, tant que nous respectons les droits universels de chacun. Pourquoi devrait-on alors rougir d’oser des expériences insolites si elles sont partagées entre adultes consentants? Qu’est-ce que cela change d’aimer une femme ou un homme? Qui a le droit de juger de nos désirs tant qu’ils ne nuisent à personne? Voilà ce qu’exprime ce roman riche de tolérance et de sagesse qui montrent de nombreux êtres anéantis par leurs tabous et leur acharnement à ne pas se démarquer du moule social formaté. Mais il faut aussi entendre dans cette fiction combien la libéralisation des mœurs devient parfois l’exutoire d’un malaise, n’incarnant plus, alors, un désir épicurien mais une volonté d’oublier que l’on souffre.
La sexualité n’a du bon qu’entre âmes épanouies et qui maîtrise leurs instincts même au plus loin de leurs débordements. Voici pourquoi nous évoquions Rabelais pour titrer ce passionnant roman ! Sexe sans Conscience n’est que Ruines de l’âme tandis que Sexe avec Lumière promet Ivresse à perpétuité!

Les perroquets de la place d’Arezzo
Auteur: Éric Emmanuel Schmitt
Éditions: Albin Michel
Prix: 24,90€

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