Pouvez-vous nous expliquer la genèse du titre de votre album » Desertico » ?
Après le précédent CD que nous avions enregistré pour EMI-Blue Note nous avions en tête de retourner en studio. Après avoir donné de nombreux concerts dans le monde, il nous est apparu opportun de le faire. Nous avons donc enregistré une partie des titres que nous jouons sur scène ainsi que des nouvelles compositions lesquelles, comme à l’habitude au sein de notre groupe, écrit à quatre. L’esprit des enregistrements est très « live » comme les nombreux concerts que nous avons donnés et nous avons également rajouté une version de “Satisfaction”, laquelle à l’origine avait déjà été enregistrée par le trio de Bebo Ferra sur son album “Specs People” publié par mon label Tǔk Music et qu’il avait arrangé.
Vous évoquez souvent l’amitié qui lie les membres de votre quartet comme un gage de qualité musicale. Pouvez-vous nous présenter ainsi en quelques mots votre quartet ?
En quelques mots, j’ai commencé à jouer avec Bebo Ferra, sarde également, dans les années 80. Et puis nous nous sommes perdus de vue, car j’ai commencé à parcourir le monde. De son côté, il était parti s’installer à Milan, mais j’entendais toujours parler de lui en bien. J’avais écouté certains de ses très beaux enregistrements. Quand j’ai décidé de créer le Devil Quartet qui était une continuation du groupe Angel Quartet avec le guitariste Nguyên Lê, je ne pouvais pas ne pas penser à Bebo avec lequel j’avais envie à nouveau de jouer.
Même chose avec Paolino Dalla Porta que je connais depuis longtemps et qui est l’un des meilleurs contrebassistes européens autant qu’il est également un bon compositeur. En réalité, à l’origine du groupe il y avait un batteur danois qui s’appelle Morten Lund et avec lequel j’avais joué au sein de la formation du pianiste suédois Lars Jannsen. Morten n’étant pas très disponible nous l’avons remplacé par Stefano Bagnoli dont de nombreuses personnes depuis longtemps m’en avaient parlé en bien. Il se trouve que ce dernier a du remplacer le batteur officiel au sein de la formation all’Italian Trumpet Summit et ce fut pour moi un véritable coup de tonnerre. Nous avions fait alors quelques concerts en Colombie et immédiatement dans la foulée, à l’occasion d’un dîner à Naples, nous lui avons demandé s’il voulait intégrer le groupe. C’est ça le Devil. Un véritable groupe avec un vrai “son” de groupe.
Ce nouvel album est un mélange de genres qui dégage une belle unité musicale. Comment parvient-on à un tel résultat ?
Je pense que nous sommes parvenus à ce résultat parce que nous jouons beaucoup ensemble qu’il existe entre nous un grand respect mutuel. Cela peut paraître simple, mais ce n’est pas si facile, car cela suppose une grande capacité d’écoute et un respect réciproque tout d’abord humain avant d’être musical. C’est une caractéristique de toutes mes formations. C’est le cas en premier et parmi tous du Quintetto storico (celui que les Français appellent le Quintet Italien) qui fêtera en 2014 son 30e anniversaire avec les mêmes musiciens. Je pense que pour faire une belle musique ensemble et surtout faire une musique de groupe intéressante, avec une signature artistique originale, tous ces éléments sont fondamentaux et ils existent au sein du Devil Quartet.
D’où est venue cette idée de reprendre ce morceau des Rolling Stones qui est tout à fait admirable ?
Ce morceau avait déjà été arrangé par Bebo pour son trio. Il m’avait plu et nous avons commencé à le jouer ensemble, mais beaucoup plus rapidement, avec le Devil. Puis je lui ai dit que nous souhaitions l’enregistrer et nous l’avons fait.
Pensez-vous que la force de votre quartet se trouve dans cette faculté de jouer n’importe quel genre musical sans rien s’interdire : rock, jazz musique du monde ?
Je ne sais pas si c’est sa force, mais c’est une de nos prérogatives. Je pense que l’histoire du jazz enseigne la curiosité et l’ouverture aux musiques. Chacun d’entre nous a sa propre personnalité et chacun aime tellement de choses différentes. Il me paraîtrait dommage de se réunir dans un seul et même monde musical. Cela vaut vraiment donc la peine de jouer tout ce que nous aimons.
Vous avez récemment déclaré à l’un de nos confrères ( espace.mu – Mars 2013 ) « L’architecture de la musique est cette idée de travailler ensemble pendant un certain nombre d’années pour accéder à la liberté » . Ce nouvel album du Paolo Fresu Devil Quartet marque-t-il une nouvelle étape vers cette liberté justement ?
Le Devil Quartet n’est rien d’autre que la continuation d’un parcours. Bien entendu j’ai conscience de la chance d’avoir trouvé ce genre de musiciens, car les idées seules ne suffisent pas. Il est ensuite nécessaire de les réaliser et pour cela nous avons besoin de l’aide de tous. C’est en ce sens que je parle d’architecture. C’est la nécessité de poser la première pierre sur laquelle chacun doit construire quelque chose.
Si vous deviez définir votre album en deux mots seulement, que diriez-vous ?
Poétique, métissé et solaire. Je viens de me rendre compte que je l’ai défini en trois mots, mais il m’en venait à l’esprit encore d’autres …
Vous définissez votre jazz comme « une musique des confins ». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? À quoi correspondent ces confins ?
Musique de frontière signifie de ne pas avoir de frontières. Elles sont dictées par notre esprit principalement quand la musique voyage dans l’air et franchit n’importe quelle frontière. Imaginaire ou réelle. C’est là toute la beauté de la musique et de l’art en général qui sont capables de dépasser les frontières et les barrières.
La musique, en l’occurrence, est une belle métaphore en réponse à cette période historique difficile et le jazz, en particulier, naît du métissage de la rencontre de la culture européenne et africaine. Cela nous ne pouvons pas l’oublier !
On vous sent frénétique dans la création musicale. Préparez-vous déjà un autre album ? Quelles couleurs aura-t-il ?
J’ai enregistré avec le “Brass Bang!” (Fresu, Steven Berntein, Gianluca Petrella et Marcus Rojas) un projet de brass exclusivement et je rentre en studio en duo avec Daniele di Bonaventura pour la ECM de Manfred Eicher. Entre-temps j’ai enregistré la musique d’un film sur le vin (dans lequel on retrouve l’acteur français Lambert Wilson) avec Daniele Di Bonaventura et un orchestre de musique de chambre. Enfin la musique d’un documentaire sur l’histoire de la Sardaigne dans les années 40/50 avec le quartet de cordes Alborada et Bebo Ferra ainsi que le poli instrumentiste sarde Gavino Murgia… Il est possible également que nous publiions l’année prochaine un nouveau travail du Quintetto Italiano pour notre trentième anniversaire, mais nous devons encore l’enregistrer.
Est-ce que votre identité sarde apporte quelque chose à votre musique ?
C’est une question que l’on me pose fréquemment. Je réponds que je ne sais pas, mais que, si je suis sincère avec moi-même, il est certain qu’une musique n’est rien d’autre que la représentation da sa propre intériorité. Moi, je suis sarde à tous les niveaux. Si je joue comme je suis, je ne pourrais être rien d’autre et ne pourrais jouer rien d’autre.
Où pourra-t-on vous voir prochainement en concert ?
– Le 19 juillet – Paolo Fresu / bojan Z / Philip Catherine
Junas ( 30 ) – Les Carrières à Junas
21 heures
– Le 20 juillet – Paolo Fresu / Daniel Humaire/ Jon Hassell
Junas ( 30 ) Les Carrières à Junas
– Le 19 juillet – Paolo Fresu / bojan Z / Philip CatherineJunas ( 30 ) – Les Carrières à Junas21 heures- Le 20 juillet – Paolo Fresu / Daniel Humaire/ Jon HassellJunas ( 30 ) Les Carrières à Junas21 heures
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