Des cimaises et des hommes

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / Est-il préférable de parcourir le catalogue d’une exposition, avant de la visiter? Certains avancent que cela limite les risques de déconvenue. D’autres assurent au contraire que l’émotion face aux cimaises et autres vitrines s’en trouverait singulièrement rabotée. Cette rubrique n’a pas la prétention d’arbitrer le débat, Donnant un avant-goût aux uns, elle consolera les autres de n’avoir pu faire le déplacement.

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Rêveuse bourgeoisie

Voici plus d’un siècle qu’ Eugène Boudin (1824-1898) est ignoré par les organisateurs parisiens d’expositions. Plus rien, en effet, depuis une rétrospective montrée en 1899 ! Visitant celle-ci, Pissaro confie « c’est gentil, adroit, d’une jolie tenue dans les anciennes petites toiles, plus de gentillesse que de force ». Qui veut crucifier un artiste avec une politesse accablante lui prêtera de la gentillesse. D’autres appréciations du même tonneau viendront enfoncer le clou, jusqu’à lester durablement la chape de plomb qui s’est abattue sur le peintre. En revanche, Monet écrira qu’il doit tout à Boudin et lui sera reconnaissant de sa propre réussite. L’album entend rendre justice à l’homme et à l’artiste, trop longtemps trahis par une double méconnaissance de leur profondeur. On imagine mal, aujourd’hui, les ravages de la modestie, tant le premier barbouilleur venu met de zèle à fanfaronner. Le parcours – qui retrace les principales étapes de l’œuvre , l’analyse des reproductions, les éléments puisés dans la correspondance et les journaux de Boudin, sa présence dans les grandes collections privées de la fin du XIXe siècle et du début du XXe mènent tout droit à la rencontre du « petit maître » d’Honfleur.

Béotiens inspirés
Quel rapport entre John Wayne et Amedeo Modigliani ? Spencer et Marlene Hays, un couple d’amateurs d’art américains tombés amoureux de la culture française, ont acquis durant des décennies un ensemble exceptionnel d’œuvres du XIXe et du début du XXe. Que Boudin n’ait pas trouvé grâce à leurs yeux et que Vuillard soit l’artiste phare de la collection est un gage de leur indépendance. « Nous n’y connaissions rien en art, mais nous avons continué, en apprenant au fur et à mesure. Nous sommes toujours d’accord sur ce que nous aimons ». A coup sûr une clé du bonheur dans la possession d’œuvres d’art. Il en existe d’autres, mais celle-ci rassure, dans la mesure où elle tire sa puissance et sa durée de deux passions qui s’entrecroisent. L’ensemble compte des chefs-d’œuvre nabis et symbolistes de la période impressionniste et de la naissance des avant-gardes, dont beaucoup sont détenus hors de France. Quand la petite histoire intime s’ouvre à la grande histoire de l’art.

Arracher à la confidence
Une tentative de faire exister l’avant-garde historique belge des environs de 1920, en la situant dans une perspective européenne. Certains dont Van Tongerloo ont adhéré au futurisme italien, d’autres au néo-plasticisme et au cubisme, avant que les Karel Maes, Jozef Peeters et Victor Servranckx intègrent le constructivisme européen. Rien que les patronymes flamands constituent déjà une œuvre d’art aléatoire. L’architecture, les arts appliqués, la littérature, les arts de la scène, la photographie et le cinéma eurent aussi le souci de s’inscrire dans l’air de ce temps. On sera attentif au langage plastique d’un Jules Schmalzigaug et à son implication directe dans le modernisme international d’avant-guerre.
D’autres personnalités originales sont à découvrir dans un ouvrage remarquablement illustré, très réfléchi et appelé à devenir une référence.

Stratège et emm..deur
À la fois poète, artiste, marxiste révolutionnaire, directeur de revue, cinéaste, Guy Debord fut avant tout le stratège d’une guerre de mouvement contre les faux-semblants de notre société, dont il démontra très tôt et très précisément le mécanisme pervers dans son ouvrage La Société du spectacle (1967). C’est sous cet angle de la stratégie que sera abordé le parcours de Guy Debord et de ses complices dans l’exposition que lui consacre la BNF. Son œuvre, son regard et sa pratique seront constamment au centre d’un dispositif qui présente, époque après époque, les travaux collectifs et individuels de ceux qui unirent leurs efforts pour concevoir une société à leurs yeux moins absurde que le système d’une économie capitaliste marchande, alors en plein essor. Guy Debord n’a jamais travaillé. Il a beaucoup marché dans les rues de Paris, bu certainement plus que d’autres et a surtout développé dans ses œuvres, écrites ou filmées, les armes théoriques d’une critique sans concession de la société moderne. Les mouvements d’avant-garde dont il fut l’initiateur, l’Internationale lettriste (1952-1957) puis l’Internationale situationniste (1957-1972), furent les points d’appui de cette lutte organisée pour combattre tout ce qui fait entrave à la vie véritablement vécue. Chemin faisant allait se constituer un incomparable portefeuille d’actions urticantes, doublé d’ un herbier du chiendent et du poil à gratter. Repassionner cette vie que d’aucuns s’emploient à désamorcer…

– « Eugène Boudin », ouvrage collectif, Fonds Mercator, 44,95 euros, publié à l’occasion de l’exposition au Musée Jacquemart-André, Paris, du 22 mars au 22 juillet 2013
– « Une passion française – La collection Spencer et Marlene Hays », ouvrage collectif, Skira/ Flammarion, 45 euros, accompagne l’exposition éponyme au Musée d’Orsay, Paris, du 16 avril au 18 août 2013
– « Modernisme. L’art abstrait belge et l’Europe », s.d. Johan De Smet, Fonds Mercator, 49,95 euros, accompagne l’exposition éponyme au Museum voor Schone Kunsten, Gand, du 2 mars au 30 juin 2013

– « Guy Debord, un art de la guerre », Gallimard, 39 euros, catalogue de l’exposition organisée du 27 mars 2013 au 13 juillet 2013 à la BNF François-Mitterrand / Grande Galerie, Paris

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