Valérie Tong-Cuong : La liste des espoirs

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Par Laurence Biava – bscnews.fr / Valérie Tong-Cuong est revenue en janvier dernier avec ce roman très attachant qu’est L’atelier des miracles. Ici, elle raconte avec passion et beaucoup de brio trois histoires parallèles que les signes tangibles des destins, apparus par la grâce d’une (même) rencontre providentielle, finiront par se faire croiser.

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A l’étroit dans leurs vies, voire en rupture de banc à des degrés divers, trois êtres abîmés par l’existence et par les autres, fragilisés à l’intérieur d’eux-mêmes évoquent à rebrousse-poil leurs passés difficiles, leurs chemins de traverse, leur chute, leur survie, jusqu’à leur résilience. Les voix intimes et flamboyantes de Millie, ex-criminelle, rongée par son passé, feignant l’amnésie, en quête d’une identité nouvelle, de Monsieur Mike, ex-militaire installé sous un porche, mis à terre par la séparation douloureuse avec une ex-compagne et par la violence de la rue, de Mariette, épouse modèle d’un mari cynique et maltraitant, déclinent une profondeur et une sensibilité très émouvantes en se superposant toutes les six pages environ. On est frappés par leur véracité, leur tension, leur puissance, et les rugosités de leurs tranches de vie nous parlent aussi des nôtres. Grâce à Jean Hart, ce Sauveur tombé du ciel qui accueille les âmes esseulées dans son Atelier des Miracles au plus sombre de chacune des trois descentes aux enfers, les protagonistes se dévoilent peu à peu. On est saisis par le discours optimiste, altruiste que dispense ce livre puissant et fort maîtrisé. A l’Atelier des miracles, structure d’accueil qui vit au rythme d’une petite entreprise tout en offrant les avantages d’une pension complète, Millie, Monsieur Mike et Mariette écoutent les conseils psychologiques de Jean, qui les aide à remettre le pied à l’étrier. La rémission aussi peu évidente qu’on pouvait le présager dans les toutes premières pages du livre semble donc possible et annoncée. Mais est-il si évident de se reconstruire sans affronter ses fantômes ? Avancer en se mentant et en mentant aux autres ? Les habitants de l’Atelier finiront naturellement par se rencontrer et se fréquenter au fil de leurs périgrénations, ensemble ils vont devoir accepter leur passé, tandis que ce caractériel Jean Hart apparaît comme le personnage le plus mystérieux de tous ceux que l’on croise dans ces tourbillonnants chassés croisés humains ….

Millie :
« C’était facile de jouer ce jeu. J’avais quand même fait une chute de sept mètres : personne ne s’était jamais posé la question de la simulation, au contraire, ils se projetaient, se montraient pleins d’empathie, s’interrogeaient, est-ce qu’ils auraient sauté, eux aussi, valait-il mieux périr asphyxié dans les flammes ou se jeter dans le vide ? Tout ce qui les préoccupait, c’était mon avenir immédiat, ce qu’ils allaient faire de moi, qui me prendrait en charge. Parfois, bien sûr, leur anxiété me contaminait, m’emportait, m’effrayait, pourquoi avais je fait ce pari vertigineux, j’avais ouvert une porte interdite, ne devrais je pas revenir en arrière tant que j’étais encore dans cet hôpital, tout avouer, Il n’ a pas d’amnésie docteur, je suis une usurpatrice..»

Mariette : 
Cela fait si longtemps que je me tais. Ou plutôt que je mens. Je suis allée trop loin dans l’armure. J’ai construit une façade si lisse, imperméable, j’ai raconté tant de fois l’histoire exemplaire d’une femme comblée par une enfance et une adolescence heureuses, des parents bienveillants qui vous conduisent à un mariage parfait, des enfants bien élevés et un métier épanouissant. Ne jamais se plaindre, ne rien laisser filtrer, retenir l’émotion jusqu’à la fracture, voilà à quoi j’ai employé mes forces : c’est trop tard. Je ne peux plus revenir en arrière, modifier les paramètres, rectifier le tir, on dira que j’invente, que c’est la preuve de ma folie ou celle de mes talents de comédienne.

Monsieur Mike :
Personne n’a jamais eu besoin de moi, d’aussi loin que je me souvienne,. Sauf ma mère, pour toucher les allocations familiales. Quand elle réapparu après sept ans et des poussières chez mes grands-parents, c’était pas pour me faire des câlins, la pétasse : elle voulait toucher le pognon. Elle a déboulé un dimanche, on prenait le petit-déjeuner, Tiens, a fait mon grand-père, une revenante…Et c’est vrai, elle ressemblait à un fantôme, la peau blette, couverte de boutons, les cheveux sales, la clope au bec, elle n’a pas dit bonjour, elle n’a pas frappé à la porte, elle s’est plantée devant la table et elle a craché, Je viens reprendre Michel, c’est qui sa mère, je me trompe pas, c’est bien moi ?

L’atelier des miracles est un roman poignant d’une grande humanité : il nous interpelle sur les combats à mener pour nous aider à vivre avec les autres. Il nous renseigne sur les bienfaits de l’assistanat social et sur les vertus des mains tendues. Il nous aide à retrouver l’espoir déchu et à faire confiance dans les rencontres qui bouleversent notre vie. Il nous guide vers la découverte de notre moi profond et nous invite à réfléchir sur les notions de transparence, et de part d’ombre au cœur d’une société précarisée. (une société déséquilibrée n’intègre pas la part d’ombre des individus : si elle ne l’était pas, il y aurait moins d’âmes en souffrance). L’atelier des miracles est une œuvre chorale très pertinente qui nous interroge aussi sur la culpabilité que nous ressentons face à notre désir de vaincre, face à notre difficulté de nous dépêtrer des échecs : en d’autres termes, sur nos hésitations à « muter », à quitter nos vieux oripeaux, dépouillés de toute mauvaise conscience, affranchis de tout remords. Ce livre mène également une réflexion sociologique sur l’évolution du monde postmoderne dans lequel nous vivons aujourd’hui, et d’où se dégagent des conceptions plus globales, intégrant à la fois l’ombre et la lumière (apparence) , ne séparant pas la nature et la culture (éducation), les corps psychique et sociétal (Jung). Enfin – et c’est une opinion bien personnelle -, le roman explore plus qu’il n’y paraît tous les rapports de force entre les individus. Dans tous les rouages du corps social, il y a les dominants et les dominés. Il y a des conflits. Dans toutes les situations dont dépendent en alternance les uns et les autres, se niche cette utopie qui veut que l’on fasse le bien d’autrui à condition qu’en contre partie, l’on nous demande de nous soumettre. C’est l’équation : « Je t’offre protection, et tu me donnes en échange ta soumission ». L’atelier des miracles, en anoblissant le sentiment de solidarité entre les protagonistes, en expliquant globalement que chacun passe sa vie à payer ses dettes, à protéger ses secrets, à combattre ses antagonismes, à porter sa croix, à panser ses blessures, livre une analyse parfaite de ce que sont ses dominations gouvernées par quelques surenchères. Très clairvoyant, enfin, sur ce que cesse d’être le leurre avec soi et avec les autres, quand la part d’ombre (en soi) est identifiée, acceptée, et non plus refoulée, lorsqu’on a compris que cette part d’ombre était plus importante que la lumière, même si elle peut prendre toutes les formes, et parasiter la Psyché.

Au cœur de nos vies intimes,
L’Atelier des miracles, est un livre précieux, qui, dans le dédale des éblouissements et des suffocations de ses héros, célèbre les libertés retrouvées.

> «L’atelier des miracles» de Valérie Tong Cuong – Editions Lattès (Janvier 2013)

( Crédit Photo delphine Jouandeau )

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