1914 : « Leurs noms composent la longue et douloureuse préface du XX ème siècle »

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Par Régis Sully – bscnews.fr/ 1914 l’année où tout bascule. Une guerre va éclater. Elle va enfanter deux totalitarismes, être à l’origine de la seconde guerre mondiale et remettre en cause l’hégémonie européenne dans le monde. 1914 le début d’une hécatombe aussi. Max Gallo indique qu’à la fin de cette année, on dénombre 300 000 morts du côté français d’août à décembre 1914 et 600 000 blessés. Il faut y ajouter les victimes des autres pays belligérants.

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Les circonstances qui ont abouti à un tel massacre sont connues et Max Gallo les rappelle fort utilement. Les rivalités entre puissances qui se traduisent par une course effrénée aux armements, la constitution des alliances antagonistes qui accroît le risque d’un conflit généralisé sur le continent, tout cela est fort bien détaillé. Mois après mois, on suit la descente vers l’abîme jusqu’au tout début août. Il suffira de quelques semaines pour que la désillusion s’installe, le doute s’insinue. On prend conscience que la guerre sera longue et meurtrière contrairement à une idée largement partagée les mois précédents. Mais outre le déroulement des événements connus comme l’assassinat de l’héritier du trône de l’empire austro-hongrois le 28 juin 1914, leurs enjeux, et les conséquences, l’intérêt du livre réside, entre autres, dans la restitution des détails qui donne vie à cette époque cruciale pour notre pays, pour l’Europe. Cette manière de divulguer notre passé ne peut qu’intéresser les lecteurs car elle est aux antipodes d’une histoire désincarnée.
Ainsi en ce qui concerne la société, l’auteur rend compte de cette atmosphère qui précède le premier conflit mondial. Il note plus qu’une acceptation de la guerre, un désir de celle-ci. Le manifeste du futurisme de l’Italien Filipo Marinetti (1909) glorifie « la guerre, seule hygiène du monde ». En France, Charles Péguy verse dans le patriotisme exacerbé. Lui, l’ancien dreyfusard, écrit en 1913 dans un de ses poèmes « Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle /Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre » Bergson, de son côté loue ce regain du sentiment national chez les jeunes français dévoilé par une enquête d’un hebdomadaire. Mieux, rue d’Ulm on pouvait voir les élèves de l’École normale supérieure affublés de la tenue du fantassin avec les fameux pantalons rouges partir à l’exercice. Cet engouement des élites trouve son pendant dans le monde politique. Mais ce dernier n’est pas partisan de la guerre pour autant, il pensait sincèrement que la politique de fermeté était la seule façon de dissuader l’ennemi de commettre l’irréparable. En France, Poincaré, président de la République, était celui qui incarnait le mieux cette tendance-là. C’est un farouche partisan de la loi des trois ans et de l’alliance avec le régime autocratique du Tsar Nicolas II. Le peuple, lui aussi, cède à cette fièvre nationaliste, il suffit de voir la foule évaluée à 300 000 personnes qui se presse vers l’Élysée le jour de l’élection de Poincaré à la présidence de la République. Elle ne pouvait ignorer sa fermeté vis-à-vis de l’Allemagne. Bien sûr cette politique est loin de faire l’unanimité. Jaurès est le porte-drapeau d’une autre politique. Il milite pour une attitude plus conciliante avec le voisin d’outre-Rhin et pour une rupture totale avec ce régime rétrograde, à ses yeux, qu’est l’empire russe. Au sein du parti socialiste, Jaurès œuvre avec ses camarades pour une action conjointe du prolétariat français et allemand pour arrêter ce qu’il pressentait comme un massacre. Herr Jaurès comme l’appelaient ses ennemis, paiera de sa vie d’avoir une autre vision de la politique étrangère de la France. Reste que l’Union sacrée se réalisera lorsque la guerre sera imminente. La hiérarchie catholique fait cause commune avec la République anti-cléricale, les paroles de l’internationale sont modifiées pour galvaniser les prolétaires qui partent se battre. La France est unie. Les doutes commencent à poindre pendant la retraite du mois d’août où les Allemands menacent Paris et quand le gouvernement et le président de la République quittent la capitale pour Bordeaux.
On lira avec beaucoup d’intérêt tout ce qui concerne les relations internationales notamment la correspondance de Guillaume II avec son cousin Nicolas II, l’envergure de Poincaré considéré comme le seul interlocuteur lors du voyage en juillet 1914 en Russie par rapport à l’inexistence du président du conseil Viviani qui l’accompagnait. On lira également avec beaucoup d’intérêt, la volonté de l’Allemagne d’en découdre en juillet1914, lorsque celle-ci demande à la France quelle sera sa position dans le différend qui oppose l’Empire d’Autriche-Hongrie à l’empire russe. Si elle avait opté pour la neutralité, l’Allemagne aurait demandé alors comme gage l’occupation de Toul et Verdun restitués le temps de régler le sort de la Russie. Condition inacceptable pour la France et l’Allemagne le savait. On mesurera la sujétion du pouvoir politique y compris celle du président de la République au pouvoir militaire. Poincaré implore Joffre de le laisser regagner la capitale ainsi que le gouvernement. À plusieurs reprises, le président impatient évoque « la nécessité de rétablir la suprématie du pouvoir civil » car Joffre refuse le contrôle des ministres et des parlementaires. En outre, les militaires laissent dans la plus grande ignorance les politiques sur les événements militaires.Par ailleurs les parlementaires, les membres du gouvernement ne sortent pas grandis de ces premiers mois de guerre : « Très vite, les Bordelais découvrent le désarroi des hommes politiques, leur défaitisme, le désordre et le goût de l’intrigue » Le gouvernement se réunit, palabre mais ne décide rien. Le plus malmené est le président du conseil, Viviani qui déjà avait déçu lors du voyage chez les Russes par son ignorance de la politique étrangère et qui n’est pas plus performant en ce qui concerne les affaires intérieures où selon Poincaré, il ne dirige rien, ne conclut rien. Quant aux autres membres du gouvernement, ils intriguent. Les militaires n’échappent pas à la critique, critique d’ailleurs qui émane d’autres militaires « Jamais je n’ai entendu autant de bêtises, note le général Fayolle, après avoir écouté Joffre et les partisans de l’offensive.». Avec le général de Castelnau ils tentent à plusieurs reprises de s’opposer à Joffre, en vain. Au total un livre passionnant et fort utile pour celles et ceux qui veulent découvrir ou redécouvrir un passé pas si lointain et mesurer le chemin parcouru par nos sociétés occidentales vis-à-vis de la guerre. Comment nos compatriotes ont-ils fait pour endurer un pareil massacre ?

1914
Le destin du monde
Max Gallo
XO éditions
19,90 €

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