Ecrivain et journaliste, Brigitte Kernel anime l’émission : Lire avec, sur France Inter, de 0h50 à 1h du mardi au vendredi. Elle a choisi de se mettre dans la peau d’un « Andy » inattendu. Nous sommes en 1968, quelques semaines après l’attentat qui a failli coûter la vie de Warhol. Pour se venger du peu d’attention portée au manuscrit d’une pièce de théâtre, Valerie Solanas, militante féministe, a tiré sur Andy dans le hall de la Factory. Les balles lui ont transpercé le poumon, la rate, l’estomac, le foie et l’œsophage. Déclaré pendant un temps cliniquement mort, Warhol s’en tirera de justesse ; il ne récupérera jamais vraiment. Brigitte Kernel parle en son nom. Andy se rend à onze consultations chez un psy. Sur le divan, le survivant tente de comprendre celle qui a voulu le tuer, confie ses angoisses, avoue sa difficulté à assumer sa vie sexuelle de gay. Brigitte Kernel réussit à faire revivre cet être entre Shadows et sunlights, à comprendre ses contradictions, ses tiraillements entre Eros et thanatos. Comme si c’était lui.
Pourquoi avez-vous choisi Andy Warhol ?
Au départ, une collection, celle d’Amanda Sthers : tous sur le divan. David Foenkinos s’est mis dans la peau de Lennon chez le psy, Amanda dans celle de Liberace, Delphine de Malherbe, dans celle de Colette. Amanda parlait si bien de sa collection que ça m’a a donné envie. D’autant que nous nous apprécions beaucoup et sommes lectrices l’une de l’autre.
Andy s’est imposé. Un pari difficile pour une femme mais j’étais fascinée par sa vie, par ce que j’ai découvert. A son enterrement, le curé de Pittsburgh a rendu hommage à un Warhol pratiquant (il allait à la messe plusieurs fois par semaine), un homme généreux qui donnait la soupe aux pauvres. Imaginez la tête des superstars de la Factory. Ils le croyaient libéré de tout, rock, marginal à succès. Beaucoup ignoraient aussi qu’Andy vivait avec sa mère, qu’il priait avec elle tous les jours et qu’elle signait parfois ses toiles. Il avait une peur terrible d’être dans le péché.
On a pourtant la sensation qu’il était menait une vie sexuelle très libre…
A la Factory, tout était exhibé. Andy filmait ses superstars en train de s’embrasser, de se laver, de se faire couper les cheveux, de danser ou de se caresser. Et puis il y a « Blow Job » qui nous montre à quel point, il aimait les choses enfouies, cachées. En fait Warhol est un être entre ombre et lumière. Une position sociale forte et une personnalité fragile. Quand j’ai vu ses films à Pittsburgh, j’ai senti à quel point tout était comme empêché en lui. J’ai compris qu’il y avait un décalage terrible entre ce qu’il disait, ce qu’il aimait qu’on lui raconte – la sexualité des autres – et ce qu’il vivait. Il a du beaucoup souffrir car il tombait amoureux fou, au point d’être dans un état de fixation, obsédé par celui qui l’envahissait et l’entraînait dans une impasse. Il a été harceleur, intrusif. Il a réussi à entrer chez la mère de Truman Capote, à l’interroger sur son fils jusqu’à ce qu’elle le jette dehors en lui disant qu’il avait un problème. Andy était tombé amoureux de lui en découvrant son visage sur la couverture d’un roman. Lui qui craignait l’enfer l’a vécu sur terre.
Il était extrêmement sensible…
Une sensibilité bridée à l’extrême. Une sexualité qui le tourmentait. Comme s’il devait braver les interdits de son éducation, de sa mère, de la religion. Il menait un combat contre ses démons, contre son double : il était à la fois ange et démon.
Vous avez écrit un roman, non une biographie, vous aviez donc toute liberté…
Par la fiction, il est plus facile de poser des hypothèses bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une bio ou d’une étude de Warhol, mais d’une histoire avec un suspense psychologique. La liberté d’écrire est un régal. La fiction m’a permis de prendre du recul, ce qui permet une position plus neutre.
Vous êtes allée à Pittsburgh…
J’y suis allée deux fois et je me suis trouvée prise dans le monde effervescent de l’art encore très présent là-bas. Il y a encore de belles tentatives artistiques autour de Warhol… J’avais besoin de sentir les choses, de voir les maisons dans lesquelles il a vécu, de découvrir l’univers modeste dans lequel il a grandi. Il me fallait découvrir les églises où il se rendait, assister à des messes, entendre les chants, marcher sur ses traces. Comme lui et sa famille, j’ai repris ses chemins à pied (devenu riche, Andy détestait prendre un taxi). En voyant le grand escalier qui descend d’Okland vers Pittsburgh, l’idée de la fin de mon récit est venue. J’avais lu qu’enfant, il avait été choqué par la vision d’un jeune garçon pratiquant une fellation à un homme. C’était facile de composer l’histoire…
Qu’est ce que vous avez appris sur Andy Warhol finalement ?
En 1986, à New York, j’ai croisé Warhol à la sortie d’un restaurant à la mode, je ne l’ai vu que de dos. Ce souvenir est resté en moi comme une image volatile mais présente. Dans le restaurant, des gens avaient dit : « Il est si malheureux ». Ca m’a intriguée. J’avais gardé chez moi la fameuse litho représentant Depardieu, publiée par Vogue dans les années 80. Elle m’a été volée. Peut être avais-je envie de trouver une image plus nette de Warhol.
Vous avez écrit ce livre à Montréal et à Pittsburgh…
Oui, j’avais besoin d’être sur ce là-bas pour écrire. Warhol a souvent exposé à Montréal. Pittsburgh, c’était son enfance, son adolescence, sa maladie, la danse de Saint-Guy qui l’empêchait d’aller à l’école, là où il a commencé à devenir un fan de Shirley Temple (son rêve fut d’avoir une poupée à son effigie et à son nom). Il était fan de Presley, de Marilyn, de Clark Gable dont il a plus tard acheté les chaussures. Il est resté un fan jusque la fin de sa vie. Il n’en revenait pas quand il avait quelqu’un de connu au téléphone. Et pourtant, il était tout aussi célèbre.
Vous situez l’action après que Valerie Solanas ait essayé de l’assassiner. Pourquoi ?
C’est le moment où sa vie bascule. Il ne peut plus se contrôler. Il se remet au prix de souffrances atroces et se lance dans une production artistique énorme. Il se disait en pleine irréalité, un « mort vivant ». C’était pour moi l’époque charnière idéale pour qu’il aille chez un psy.
La morale de tout ça, s’il y en a une…
Ne tombons pas dans les affres de la passion. Quant au sujet d’actualité, le mariage gay, il faudrait que la religion révise ses tablettes car « aimons-nous les uns les autres » ne veut en aucun cas dire « sacrifions nos amours parce qu’un dogme ne les aime pas ».
Vos deux romans, « Fais-moi oublier » et sa suite « A cause d’un baiser », (Flammarion), ont connu un beau succès. Vous pensez continuer à nous raconter l’histoire de Léa et de son amie ?
Il y aura un tome 3. Je suis attachée à ces jeunes femmes. Savoir que ces livres sont appréciés est d’une douceur inouïe.
Vous produisez et animez « Lire avec » sur France Inter cette année, quels sont les moments forts ?
Cette émission devient une sorte de happening pour les auteurs que je reçois. Il se passe toujours quelque chose que je n’attends pas. Les écrivains se détendent – vu l’heure tardive ! Philippe Djian a voulu installer un lit de camp dans le couloir de la radio afin de venir tous les soirs. Amélie Nothomb s’est lâchée en imaginant venir nue, à la nage, pour rejoindre le studio. Bernard Pivot a fait six émissions. De jeunes auteurs avaient les yeux mouillés d’émotion.
> « Andy » de Brigitte Kernel – Editions Plon
> Le site officiel de Brigitte Kernel
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