Vrankic Davor

Davor Vrankic : Juste avec une mine de plomb

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Par Julie Cadilhac –bscnews.fr/ Crédit- photo : Vladimir Koncar / Davor Vrankic est un artiste croate, né à Osijek, qui vit et travaille entre Paris et New-York.

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Son médium de prédilection? une mine de plomb avec laquelle il aime à imaginer des images de toutes tailles en ne travaillant à partir d’aucun modèle. Utilisant la surexposition, le flou, le grand angle et d’autres techniques visuelles, il crée des univers étonnants qui donnent souvent une impression de « chaos ». Davor explique dans sa biographie internautique que « son intention est de créer une sorte d’image virtuelle, en utilisant toutes les expériences visuelles, qu’il a assimilé de la peinture classique, de la bande dessinée, du cinéma, de clips vidéo et de la photographie. Il associe le cadre de l’image du cinéma et les distorsions de la lentille de la caméra à la peinture flamande. » Ayant contribué à des expositions personnelles ou de groupe à Paris, New-York, Amsterdam, Bruxelles, Los-Angeles, Londres (ou encore en Hongrie, en Croatie, en Italie) et fait l’objet d’articles dans de nombreuses parutions ( pour le New-York Times, Libération, Artension et d’autres supports français et étrangers), nous souhaitions aussi mettre à l’honneur son univers singulier, peuplé d’êtres chimériques et souvent inquiétants, qui se développe au sein d’un graphisme ultraréaliste. Promenez votre oeil au creux des nombreux visuels dispatchés dans son interview : vous y verrez combien l’utilisation des petits traits dans le dessin permet à l’artiste de pousser sa technique, proche du photoréalisme, et de donner davantage l’impression de « réel » à ces images étourdissantes de sens.

Vous avez suivi les cours de l’Ecole des Beaux-Arts de Sarajevo puis ceux de l’Ecole de Zagreb et enfin ceux de la Faculté d’Arts Plastiques de Paris VIII : quels enseignements y avez- vous appris qui , aujourd’hui, vous servent quotidiennement dans votre art?

A l’ Ecole des Beaux – Arts de Sarajevo j’ai suivi des cours de facture très classique: dessins de nature morte et le nu. C’était une pratique qu’à l’époque je ne trouvais pas très intéressante mais aujourd’hui, avec le recul, je la vois comme une expérience très utile. En troisième et quatrième année, je suis passé à L’école de Beaux Arts de Zagreb où l’enseignement était complètement différent; très minimaliste et conceptuel. A ce moment là, j’ai commencé une série de grands dessins au plume qui étaient construits uniquement avec des lignes verticales et horizontales, géométriques et minimalistes. Cette expérience géométrique m’a beaucoup aidé pour comprendre l’importance de la composition et de l’organisation de l’espace. En arrivent à Paris, les deux expériences précédentes se sont fusionnées; on peut dire ,d’une certaine manière, que sur cette construction géométrique j’ai rajouté les figures. L’enseignement à Paris VIII a été presque exclusivement théorique et conceptuel. A cette époque, j’avais déjà commencé à utiliser la technique de la mine de plomb sur papier et l’enseignement que j’ai suivi à Paris m’a permis d’approfondir mes réflexions là-dessus. On peut dire que chacune de ses expériences a été très enrichissante pour ma démarche artistique.

On songe à Rabelais quand on regarde vos images, vous l’a-t-on déjà dit?
Oui, je me souviens que dès mes premières expositions en France les gens se référaient souvent à Rabelais, ainsi qu’à Bruegal et Bosch. Mais paradoxalement, mes influences à l’époque étaient complètement diffèrentes concernant la littérature et la peinture classique. Cette notion de démesure et de délire venaient plutôt des formes subculturelles qui étaient mes premières influences.

Sur votre site, on découvre plusieurs séries de toiles : pourriez-vous nous expliquer par exemple la genèse de « Painters &Co?

De temps en temps, j’aime bien me lancer dans une série de dessins de petit format comme c’est le cas avec la série Painters & Co ( 50 x 32,5 cm); c’est une formidable exercice du style et aussi un terrain d’expérimentation. Sur un petit format, je me sens beaucoup plus libre de rechercher des nouvelles choses qui, plus tard, peuvent être appliquées sur les grands formats. Vu que dans l’inconscient général le peintre représente le cliché de l’artiste, je voulais jouer avec cet archétype d’artiste qui semble contaminé par son psychisme , en le traitant de manière drôle, ironique et cruelle en même temps.

Celle de Highnoon également? Peintre
High Noon est une série de dessins de très grands formats dans lequel ,en même temps, le spectateur est dominé par le personnage du dessin et en même temps le personnage dessiné est traité comme s’il était dominé, comme s’il était sous le regard de quelqu’un. J’ai pris le titre High Noon en voulant faire allusion à un règlement du compte ( le film High Noon en français Le train sifflera trois fois) mais, contrairement au film où existait un véritable adversaire, dans le dessin on ne sait pas si le personnage sera confronté avec quelqu’un où s’il est seulement confronté avec lui-même, comme si le véritable danger se trouvait dans son propre intérieur. Ça peut être une métaphore d’un homme emprisonné par son propre enivrement.

Si vous deviez citer des mentors en arts plastiques, quels noms surgiraient?

Vingt ans avant, c’était beaucoup plus facile de mentionner les noms des artistes qui ont influencé mon travail! Ce qui me touche aujourd’hui, ce sont des oeuvres individuelles réalisées par des artistes très différents, très souvent des artistes que je ne connais pas. En réfléchissant rétrospectivement, mes premiers influences visuelles viennent du monde subculturel des années soixante-dix, quatre-vingt: de la BD, du dessin animé, du cinéma. A l’époque, je lisais toutes sortes de BD mais avec le temps, l’intérêt pour le dessin est devenu le pôle plus important dans le choix de la lecture; j’admirais le Prince Vaillant de Hal Foster, Flash Gordon de Alex Raymond, autant que Richard Corben, Jacovitti, Jean Giraud. Vers dix-sept ans j’ai commencé à feuilleter des livres d’art et c’est à partir de ce moment -là que je découvert les tableaux de Géricault, Le Radeau de la Méduse et les grandes compositions de David. Plus tard, quand je me suis installé à Paris, j’allais souvent au Louvre juste pour voir un de ces tableaux. J’admirais les peintres espagnols: Velasquez, Goya et particulièrement Ribera. Chez les peintres Flamands, c’étaient Hugo Van Der Goes avec sa minutie et son hyperréalisme décalé flamands mais aussi pour la psychologie profonde et mystique de ses personnages. J’aimais beaucoup le fraîcheur et l’élégance du dessin de Hockney et les visages de Chuck Close avec leur présence troublante. Francis Bacon (avec son traitement de l’espace et la figure humaine) et Louise Bourgeois, les artistes qui transcendent leurs histoires personnelles en créant les oeuvres emblématiques d’une époque. Parmi les auteurs de plus jeune génération, il y a Tom Friedman et Sara Sze pour leur processus creatif alchimique qui consiste à transformer des matières et des objets quotidiens en constellations magiques. Ces deux artistes abordent le problème des espaces et des matières – qui traduisent le caractère complexe de notre temps – sans employer un discours socio-politique.

Dans The Anatomy Lesson, Vous avez travaillé sur l’espace et sur les perspectives dans le but d’aspirer le lecteur dans le dessin…concrètement, comment mettez-vous cet effet en place?

A partir de The Anatomy Lesson, j’ai commencé à appliquer l’effet de grand angle, des perspectives avec raccourci très radical. Avant, les compositions étaient construites de manière assez classique, le changement est venu très intuitivement. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que la notion de l’espace était l’élément le plus important qui manquait à mon travail. Au début , la construction de l’espace était basée sur deux points de fuite. Après, dans certaines grandes compositions, j’ai mélangé plusieurs points de fuite en créant un effet proche d’explosion spatiale. Mais je n’ai pas appliqué la loi de la perspective à la lettre, j’ai mélangé divers effets de manière très intuitive pour créer ma propre logique de l’espace.

Vos images mettent en scène des personnages et des situations grotesques… une façon d’ôter le masque du monde et d’en montrer son vrai visage?
Peut être imagine-t-on le monde moins grotesque qu’il ne l’est vraiment. Je ne sais pas si j’essaie d’ôter la masque du monde ou si j’essaie plutôt d’ôter les lunettes qui nous transforment la véritable image de nous-mêmes.

Vos images fourmillent de détails…êtes-vous un angoissé de la page blanche?
Le détail est plutôt la manière de s’approcher au plus près du sujet, de le matérialiser, de lui donner la vie. Je commence le dessin souvent sans esquisse, sans utiliser la documentation photographique. Alors, la surprise pour moi est plus grande quand l’inconnu devient à la fin une évidence presque hyperréaliste. L’utilisation de détails me permet de donner cette présence troublante aux sujet s que je réalise.

Pas de couleur parce que le monde que vous peignez est déjà « haut en couleur » ?
Quand j’ai essayé d’utiliser la couleur dans la peinture j’étais préoccupé par d’autres problématiques picturales. L’intérêt qui en est resurgi a été totalement diffèrent des problématiques que j’ai traitées avec le crayon en noir et blanc. Le résultat de ma peinture était très basé sur des matières proches de la peinture de Bonnard, Karel Appel, Soutine, Jean Dubuffet. Parfois j’ai mélangé les couleurs avec d’autres matières; du plâtre, des tissus. Le caractère du graphite me convient mieux. La douceur et le velouté du graphite introduit le spectateur plus facilement au sujet.

Quels outils et matières utilisez-vous?
J’utilise toujours la même mine de Pentel 2B, 09 mm; j’aime bien dire 2B or not 2B. J’utilise également diffèrentes sortes de papier; Da Vinci, Arches, Canson que j’achète en grands rouleaux vu qu’en général, j’aime bien surtout dessiner les grands formats. Dans cette démarche, j’aime bien l’idée d’exploitations d’un outil minimal pour créer des oeuvres monumentales proches de la peinture.

La question de la perspective est essentielle dans votre univers pictural: vous voulez inciter le spectateur à modifier son regard sur le monde? ou vous aimez simplement déformer la réalité?
Je pense qu’une oeuvre doit traduire le sentiment principal d’une époque. Elle ne le traduit pas en abordant tout simplement des thèmes socio-politiques. A mon avis, l’esprit de notre époque se manifeste dans la construction de l’espace de mon image. Cet espace qui se propulse vers le spectateur peut être symboliquement « la fuite en avant » très caractéristique de notre temps. Un mélange de plusieurs perspectives créent un sentiment étrange; en même temps, on peut apercevoir les plus petits détails dans le dessin, mais l’image d’ensemble nous échappe. L’espace de l’image est dans un mouvement perpétuel.

Vos personnages cultivent l’étrange et le monstrueux….pourquoi?
Un des caractéristiques les plus importantes d’une oeuvre d’art est sûrement sa capacité à surprendre le spectateur, à bousculer sa perception et ses habitudes.
J’espère secrètement que c’est le cas avec mes dessins et que ça se traduit par un sentiment d’étrangeté dont on me parle souvent .

On finit par se demander si toutes ces images ne sortent pas directement de cauchemars où les visages s’étirent, deviennent des grimaces, les êtres se métamorphosent, se gigantisent ou rapetissent…on se trompe?
Certainement qu’une partie des images proviennent de mes propres obsessions. Le problème dans l’art survient quand l’oeuvre devient trop renfermée sur elle- même. Elle doit transcender toutes les frustrations et les élever au niveau d’un symbole universel. D’autre part, mes personnages subissent aussi la pression d’un espace en expansion, qui les transforment, les compriment ou les propulsent violemment vers l’extérieur de l’image. Ce sont les personnage étirés entre le passé dont ils n’arrivent pas à se détacher et le futur avec lequel ils vivent depuis dejà longtemps.

Enfin, dans quelles parutions peut-on retrouver votre travail de dessinateur? Avez-vous des expositions en France ou à l’étranger en perspective dans les mois à venir?
En ce moment j’expose quatre dessins de grand format à la Halle Saint Pierre dans le cadre de l’exposition de groupe HEY! Moderne Art & Pop Culture qui sera ouverte jusqu’au 23 août 2013. Pour le 7 mars, je prépare l’exposition individuelle In the house, there were two of us à la galerie ALFA à Paris. Dans le Salon de dessin contemporain Drawing Now 2013, je vais exposer un dessin-installation interchangeable intitulé Home variations. Il s’agit de dessins de format 200 cm x200 cm où chaque dessin est constitué de 12 modules (dessin 50 x 65cm) et il sera possible d’appliquer un module d’un grand dessin à l’autre.

Le site de Davor Vrankic

Expositions:

– Du 8 mars au 15 avril à la galerie Alfa ( Paris, rue de l’Echaude, 6ème)

– Du 21 mai au 20 juillet 2013 à la Galerie Da-End 
17 rue Guénégaud 
75006 Paris 
www.da-end.com

– Under Realism, une exposition collective du 29 juin au 29 septembre 2013 àcentmètresducentredumonde ( CENTRE D’ART CONTEMPORAIN 3, Av. Grande Bretagne 66000 Perpignan) www.acentmetresducentredumonde.com avec Michel Gouery – John Isaacs – Natasha Ivanova – Oda Jaune – Kosta Kulundzic Djordje Ozbolt – Stéphane Pencréach – Léopold Rabus – Till Rabus – Raphalle Ricol Marko Velk – Vuk Vidor et Davor Vrankić

– Du 7 septembre au 5 octobre 2013 – Exposition Soon à la Galerie Mazel ( Rue Capitaine Crespel 22 à Bruxelles)

– Du 16 janvier au 8 mars 2014 – TENTATION D’EVEIL à la galerie DA-END ( Rue Guénégaud, Paris, 6ème)

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