Aragon : Tous les chemins n’y mènent pas
Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / Le 24 décembre dernier a été commémoré le trentième anniversaire de la mort de Louis Aragon. Il a donné lieu à quantité de cérémonies prestigieuses. Avant les petits fours, quelqu’un a été contraint d’avaler une couleuvre de dimension. Un roman du fou d’Elsa s’intitule « Tuer n’est pas jouer ». Prémonitoire ?
Tous les chemins ne mènent pas à Aragon. Celui emprunté par Daniel Bougnoux s’apparente au sentier des douaniers. Une plage de Tunisie, une guide délurée, une lecture sensuelle de Blanche ou l’oubli. Le doigt dans l’engrenage, le début d’un compagnonnage passionné débouchant sur la direction des cinq volumes des œuvres romanesques complètes d’Aragon en Pléiade avec pour point d’orgue « Aragon ou la confusion des genres », pas de deux devenu pas de clerc, soleil d’Austerlitz couché à Canossa.
Le principe est connu de la collection L’un et l’autre. Un auteur contemporain en admire un autre, pense à lui en se rasant, souligne une proximité affective, suggère une connivence virtuelle, risque une identification. De l’exercice biographique comme un jeu de miroirs. Guy Goffette pour Verlaine, Roger Grenier pour Pascal Pia, Sylvie Doizelet pour Sylvia Plath figurent au nombre des réussites. Un Aragon étreint par Bougnoux, récit d’une stupeur devenue émerveillement, allait de soi. Sauf que. La relation d’une rencontre en 1973 et du comportement entreprenant du « Grandécrivain » envers son admirateur de 29 ans n’a pas plu, mais pas du tout, à l’exécuteur testamentaire d’Aragon. Cet ouvrage, qui contenait tout ce que ne permet pas la structure corsetée de la collection sur papier bible, était lié à la parution du tome V de la Pléiade. Ultimatum dans un gant d’acier trempé, au velours douteux. Conseils pris par Bougnoux auprès de deux avocats, dont l’arrière-petit neveu d’Aragon et réponses aux allures d’imprimatur. Plusieurs fussent allés à l’affrontement. Pas Bougnoux, trahi par son bâton de maréchal et traité comme Martine par Sganarelle – « Ce sont petites choses qui sont, de temps en temps, nécessaires dans l’amitié: et cinq ou six coups de bâton, entre gens qui s’aiment, ne font que ragaillardir l’affection ». Et l’on hacha, édifiante variation de l’art du mentir-vrai …
« Blanche ou l’oubli », pierre de touche bougnouxienne, figure dans ce tome V aux côtés de « La mise à mort », « Tuer n’est pas jouer », « La valse des adieux », « Le feu mis », « Prénatalité », « Mini Mini Mi », « Le contraire-dit » et « Théâtre/Roman », livre essentiel qui veut éclairer de l’intérieur la totalité de l’œuvre d’Aragon. Plutôt que le dernier bloc de marbre d’un mausolée, cet ensemble se veut la consolidation ultime d’un bouclier dressé contre les flèches des Parthes cauteleux.
Sept volumes auront été nécessaires (à l’ensemble romanesque, il faut ajouter les deux volumes des Poésies complètes ) pour assurer à Aragon un traitement autrement aimable que celui réservé à ce Marcel Proust qu’il tenait pour un « snob laborieux ».
Incontestable, Daniel Bougnoux n’est pas contesté. Sauf s’il fait mine de franchir la ligne blanche de l’angélisme, auquel cas la vestale professionnelle se met à agiter ses vieux grelots et à menacer le garnement des pires mesures de rétorsion. Or Bougnoux est en état de dépendance amoureusement intellectuelle. « par quels mystérieux ressorts me suis-je moi-même entiché de cette œuvre, jusqu’à faire d’Aragon ma drogue ? ». Le priver brutalement de sa dose d’Aragon c’est le mettre en danger. D’autant qu’il sait tout sevrage voué à l’échec.
Bougnoux épuré, c’est Aragon qu’on émascule.
« La confusion des genres », Daniel Bougnoux, Gallimard, L’un et l’autre, 19,90 euros
« Œuvres romanesques complètes V », Aragon ; édition publiée sous la direction de Daniel Bougnoux avec, pour ce volume, la collaboration de Philippe Forest, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 69 euros prix de lancement jusqu’au 28/02/2013
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