Beaux-livres : ceux qui incitent à pousser la porte des musées

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / De plus en plus de livres s’adossent à des expositions, pour consoler les voyageurs immobiles ou pour inciter les indécis à pousser la porte des galeries, musées et autres lieux où le temps suspend son vol.

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Montmartre et son musée accueillent une éclairante exposition Autour du Chat noir en hommage au premier des cabarets artistiques qui ont animé la Butte à la fin d XIXe siècle. Qualifié aujourd’hui de lieu mythique, il a favorisé et accéléré l’émergence de mouvements artistiques et littéraires constituant autant de défis à l’establishment de l’époque et s’érigeant en avant-garde. Expositions, bals, livres, revues et journal intitulé Le Chat noir injectèrent l’antiacadémisme, l’absurde, la satire, la caricature à un monde qui en manquait singulièrement. Ce Montmartre-là ne valut pas que par Le Chat noir. D’autres lieux servaient d’incubateurs à la sédition. Quelque 200 illustrations variées (gravure, peinture, paravent, théâtre d’ombres, affiche, dessin) l’attestent, qui témoignent de la vivacité créatrice et de l’énergie d’un contre-pouvoir précurseur des mouvements dada, surréaliste et conceptuel du XXe siècle. Les essais de spécialistes éclairent la complémentarité de ces supports tout en les resituant dans un contexte socioculturel. Un autre versant de la vie culturelle parisienne entre « fin de siècle » et « belle époque ».

Namur héberge un musée consacré à sa figure de proue, l’incandescent Félicien Rops. De remarquables expositions temporaires y sont organisées très régulièrement, telle « Hystériques ! », qui propose un éclairage des rapports entre art et hystérie vers 1900. La réalité asiliaire a inspiré certaines œuvres de Rops, en particulier celle de La Salpêtrière où officiait le docteur Charcot. Le versant féminin de cette maladie aux manifestations spectaculaires a fortement aimanté les peintres, sculpteurs, graveurs et autres illustrateurs de l’époque, la forme la plus impressionnante étant la cambrure dorsale en arc de cercle ou arc hystérique. Contagion du phénomène : les femmes n’acceptant plus d’être assignées au seul rôle de maîtresse de maison et mère deviennent des « hystériques ! ». L’exposition juxtapose iconographie médicale et arts plastiques. Une section envisage les arts de la scène et accueille de grandes vedettes de l’hystérie telles Sarah Bernhardt, Jane Avril et Magdeleine G. Des œuvres contemporaines de Louise Bourgeois et Zoe Beloff posent un nouveau regard sur l’imaginaire fertile de l’hystérie. Degas, Munch, Richer, Rodin, Rops, Schiele, Spilliaert, Toulouse-Lautrec notamment illustrent la danse avec la « grande névrose ».

L’Orangerie se donne à Soutine et ouvrir le catalogue d’exposition par un chapitre intitulé « Soutine, qu’en penser » apparaît à la fois comme un préambule judicieux et la persistance d’un possible malentendu, s’agissant d’ un artiste qui continue de faire débat 70 ans après sa mort et d’un homme taiseux, voire secret. Si l’on sait peu de lui, encore que (*), cela devrait dissuader de réduire l’homme à l’œuvre pour lire les tableaux de Chaïm S. Etre regardé souvent comme ombrageux, passionné, parfois asocial, semblant se complaire dans l’expression de la laideur suffit-il à vous coller l’étiquette de « maudit » ? Cette approche de Marie-Paul Vial veut faire la part des choses, respecter celui qui impose sa vision de peintre, sans éluder la réticence qui l’accompagne à travers les années. Mais voir pareille frilosité opposée au travail de Francis Bacon ou Lucian Freud donne à penser que Soutine n’est pas forcément en mauvaise compagnie.

(*) Soutine tel qu’en lui-même ? Libraire à Paris, Olivier Renault raconte son Soutine « un des peintres les plus foudroyants de son siècle » et enjoint presque de presser les pas vers l’Orangerie, parce que « ses natures mortes aux volailles nous explosent en pleine face, ses paysages affolés, au bord du cataclysme, rendent visible le vent : quiconque a éprouvé le choc de leur vision ne s’en remet jamais tout à fait ». Non, tonne-t-il, Soutine n’est ni un peintre maudit, ni le sauvage inculte que l’on a si souvent décrit. Chargeant palette au clair, Renault entreprend de mettre à mal certains clichés trop tenaces et de faire la lumière sur un flou … artistique. Un portrait tout en touches d’intelligence, de complicité, d’admiration raisonnée. Comment ne pas avoir envie de le lire, avant d’affronter « une déflagration colorante qui frappe au plexus » ? »
«Autour du Chat noir », ouvrage collectif sous la direction de Phillip Dennis Cate, Skira Flammarion, 25,50 euros
exposition « Autour du Chat noir », Musée de Montmartre, du 13 septembre 2012 au 13 janvier 2013

« Pulsion(s), art et déraison, collectif, Renaissance du Livre « – 29,00 €
Musée Félicien Rops, Namur, du 22 septembre 2012 au 13 janvier 2013,

« Chaïm Soutine », collectif, Hazan, 35 euros
exposition « Chaïm Soutine, l’ordre du chaos », Musée de l’Orangerie/Orsay, du 02 octobre 2012 au 21 janvier 2013

« Rouge Soutine », Olivier Renault, La Table Ronde, 7,10 euros

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