Clément Lefèvre, Susine et le Dorméveil

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Propos recueillis par Julie Cadilhacbscnews.fr/ visuels C.L – Editions Soleil/ Tout petit déjà, Clément Lefèvre avait-il une imagination aussi luxuriante de détails et de couleurs?

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Voyait-il le monde et les êtres d’une façon aussi singulière que celle qu’il dessine avec son pinceau? Illustrateur de plusieurs albums jeunesse, il s’est associé pour Susine et le Dorméveil, publié dans la Collection Métamorphoses des Editions soleil, à l’auteur italien Bruno Enna et le mariage de leurs fantaisies respectives est tout à fait charmant! Ils ont imaginé un diptyque dont le premier tome seulement est disponible pour l’instant en librairie. Il était une fois Susine, une petite fille rêveuse qui écoute passionnément les histoires de sa grand-mère. Un jour de grand chagrin, elle découvre l’un des deux mondes du Dorméveil, Le Monde D’Avant. Elle y croise notamment de nombreuses créatures fantastiques, une reine râleuse et excentrique et un train qui roule sur une mer étrange , « gigantesque pagaille oscillante d’algues vives et fluorescentes ». Un récit plein d’aventures et de surprises poétiques! Comment accéder au Monde d’Avant, demandez -vous? ?C’est simple! Il faut se constituer un Couvre-pomme avec une plume de pigeon et un tube fait de trois rouleaux de papier hygiénique, pleurer fort ( ou pas!), fermer la porte de sa chambre et appuyer le tube du Couvre-Pomme contre l’écran éteint de la télévision…il suffit d’y croire et ça marche! Parole d’honneur!

Vous rappelez-vous d’une anecdote liée au jour où l’histoire de Susine et le Dorméveil est entrée dans votre vie?
La plus importante, je crois, est sans doute ce que j’ai ressenti lors de la première lecture de l’histoire complète et traduite. Je me souviens qu’il faisait un temps de cochon, que l’air était glacial et que je m’étais réfugié sous une couette bien douillette à l’abri des bruits de la maison. C’était vraiment un moment excitant et j’étais tellement emballé par ce que je lisais que je ne pouvais m’empêcher de saisir dans l’instant, et dans la marge des feuillets, les images qui me passaient par la tête. Certaines sont d’ailleurs restées et font maintenant partie du livre.

Pour quelles raisons et dans quelles circonstances avez-vous eu l’occasion de travailler ensemble?
C’est grâce à Barbara Canepa. Je ne connaissais Bruno, ou plutôt son travail, que par « Cœur de papier » son premier livre dans la collection Métamorphose. C’est une bande dessinée que j’avais beaucoup appréciée, mais je ne pensais pas travailler un jour avec lui. Lorsque j’ai rencontré Barbara pour la première fois, c’était à Montreuil, au salon du livre Jeunesse. Nous avions pris rendez-vous parce qu’elle souhaitait que je monte un projet pour sa collection et voulait que je fasse connaissance avec Clotilde Vu qui la codirige avec elle. C’était un chouette moment, et nous avons beaucoup discuté des prémisses du projet que j’avais en tête. Ce n’était pas une histoire à proprement parler, mais plus un concept de triptyque. Comme je ne voulais pas l’écrire, elles ont tout de suite pensé à Bruno et elles ne se sont pas trompées du tout, ce qu’il a écrit est géant.

Si vous deviez citer un élément de création qui vous a séduit tout particulièrement chez votre partenaire de travail?
Ce qui m’a le plus séduit chez Bruno, c’est que j’ai eu tout de suite cette impression que nous étions sur la même planète. Sans les citer, tous ses premiers mots ont été comme un électrochoc pour moi. Ses idées étaient très riches et correspondaient vraiment à ce que j’avais toujours voulu raconter. C’est l’image de la couverture qui a servi de fondation à notre aventure. Il est parti d’elle pour écrire le premier synopsis et c’est comme s’il avait extirpé de cette illustration une partie de moi et en avait fait une histoire. C’était une impression fascinante et étrange à la fois. Un peu comme s’il m’avait taillé un costume sur mesure avec des tonnes de poches bourrées de surprises.

Ce livre parle du pouvoir des histoires , capables de métamorphoser les gens…une histoire a-t-elle un jour changé votre vie?
Il y en a eu plusieurs oui. Certaines m’ont, en quelque sorte, transformé. Celle qui me vient tout de suite à l’esprit, qui m’a à la fois traumatisé et que j’ai en même temps adoré, c’est « l’histoire sans fin » que j’ai vu au cinéma quand j’étais petit. C’était fou cette histoire de néant, de mangeur de pierre, de livre dont on est le héros… Tous ces personnages fabuleux, les marécages de la mélancolie, Falco le dragon chien volant… le fait de rester enfermé dans son école la nuit ! J’ai lu le livre bien plus tard, mais petit, ce sont vraiment le film et cette histoire qui m’ont le plus marqué et changé. C’est marrant d’ailleurs car c’est aussi un monde qui vit grâce aux histoires.

Le personnage de la grand-mère, réconfortante et pleine de fantaisie, est né de souvenirs auprès de vos aïeules respectives?SusinePour Bruno, je ne sais pas, je ne lui ai jamais posé la question, mais personnellement ce n’est pas le cas. Certaines choses comme le lieu où elle habite, où des détails vestimentaires m’ont été un peu inspiré par mes grand- mères, mais pas spécialement la fantaisie. Après… On puise souvent dans ce qu’on connait…

Au fait, quel serait le goût de votre ombre…si vous deviez choisir?
Haha, ce n’est pas évident, j’aurai tendance à choisir dans des goûts que j’aime bien, mais ce ne serait pas honnête. Je pense que la mienne, pour se rapprocher de ma personnalité, aurait un goût à la fois doux et amer… comme celui du pamplemousse ?!

Pour inventer une histoire comme celle-ci et la dessiner ensuite, il faut passer de longues heures les yeux fermés sur un hamac à laisser l’imagination dériver?
Oui, c’est un peu ça ! Être au calme me suffit à vagabonder… Après, je dois dire que ça ne m’a pas demandé un effort particulier, d’une part parce que l’histoire de Bruno est vraiment très riche et parce que tous les détails et personnages qu’elle m’a inspiré font, je crois, déjà partie de moi. J’ai vraiment eu l’impression de pouvoir me laisser aller sur ces images. J’ai parfois eu des difficultés mais c’était plus d’ordre technique… Il y a certaines scènes que j’avais en tête que j’ai eu du mal à dessiner mais j’ai persévéré… il paraît que c’est comme ça qu’on progresse.

Avez-vous des mentors ?
Il y a beaucoup d’artistes que j’admire et qui m’inspirent beaucoup. Bon pour Susine, il me sera difficile de nier mon amour pour Hayao Miyazaki qui est pour moi l’un des meilleurs raconteurs d’histoires. Ensuite il y a des gens comme Maurice Sendak, Tomi Ungerer, Nicolas De Crecy, Sergio Toppi, Michael Dudok, jiri trnka… les copains aussi ! Enfin c’est très difficile comme ça, il y en a trop… Sans compter ceux que je découvre tous les jours et qui font des choses super touchantes et me donnent des envies.

Le monde réel est assez sombre pour Susine – comme tous les personnages de conte me direz- vous- mais pourquoi avoir choisi de peindre la réalité avec la même coloration que celle du monde du Dorméveil?
Je ne trouve pas que le monde réel de Susine soit particulièrement sombre, elle vit des choses tristes et difficiles, c’est vrai, comme ça peut être le cas dans certaines périodes de nos vies. Je n’ai pas voulu faire de son monde réel une caricature. J’aime l’idée qu’il n’y ait pas une grande différence entre ces deux mondes. Même si le second est beaucoup plus fantaisiste et porte sur l’imaginaire, il est issu du premier, des histoires de sa grand-mère, de son rapport avec ses parents, de sa solitude… Pour moi les deux sont liés, je ne veux pas les distinguer. Les rêves sont souvent en rapport avec des évènements de l’existence et inversement les rêves guident souvent l’existence.

Comment est née l’idée de cette Reine des Larmes , nue, toujours de bougonne humeur et à cheval sur un crocodile patient?
C’est Bruno qui en a fait une reine, et je trouve ça beau et original. C’est un des personnages issus de l’image de couverture qui a lancé le projet. C’est une image que j’avais réalisée pour une expo à l’origine. Elle s’est faite en une journée pour le plaisir et les personnages qui l’habitent, sont nés dans l’instant et dans le simple but de se laisser aller.

DorméveilLe Monde d’après est-il plus inconfortable que celui du Monde d’Avant? Qu’est-ce qui attend Susine dans la prochaine aventure?
Je ne veux pas en dire trop, mais en effet le monde d’après sera plus sombre. Le rythme va changer, l’imaginaire de Susine va se transformer. Dans le monde d’avant, Susine mène une aventure assez contemplative et lumineuse. Elle s’y est réfugiée pour se sentir moins seule. Le monde d’après, elle va s’y introduire de manière plus « brutale » dans le but de trouver un moyen d’aider ses parents. On aura un récit plus soutenu et l’aventure risque d’offrir pas mal de surprises. Cependant on retrouvera beaucoup d’éléments et de personnages issus du monde de la lumière qu’on observera sous un autre angle que je qualifierai de plus « mature ».

Titre: Susine et le Dorméveil

Auteur: Bruno Enna

Illustrateur: Clément Lefèvre

Editions: Soleil

Prix: 16,95€

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