Sobibor : le témoignage de l’horreur

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Par Mélina Hoffmann – bscnews.fr / Emma est une jeune fille de 17 ans en proie à un mal qui la dévore silencieusement de l’intérieur. Un régime qui tourne mal, une perte de poids trop brutale, un corps devenu impossible à aimer, une perte de contrôle, et la maladie qui sournoisement s’installe. Entre crises de boulimie et vomissements, c’est au vide qu’aspire Emma. Un vide, une absence dont il lui devient nécessaire de se remplir. Vomir tout ce qui tente de pénétrer en elle, désirs et émotions ; se délivrer de ses craintes et de ses angoisses. Vomir pour se sentir libre et libérée.

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Confrontée à l’indifférence de ses parents et à un petit ami indélicat, Emma n’a que Mamouchka à qui se confier, une grand-mère qu’elle admire, talentueuse musicienne, tellement précieuse à ses yeux. Aussi, quand Mamouchka tombe malade, la jeune fille se réfugie un peu plus profondément dans ses troubles alimentaires, s’effaçant de plus en plus derrière une maigreur terrifiante. « Ce corps, c’est moi qui l’ai façonné, qui l’ai épuré. Je l’ai corrigé, domestiqué, plié à ma volonté. Assujetti. Je tends vers l’absolu, je suis sans âge.»
Et puis, une nuit, alors qu’Emma veille sur sa grand-mère mourante, Mamouchka prononce quelques mots dans son sommeil. « Eva Hirschbaum », « Jacques », « Sobibor ». Trois mots qui n’évoquent rien pour Emma, mais qui semblent troubler son grand-père lorsqu’elle l’interroge sur leur sens possible. C’est dans un journal dissimulé dans les affaires de sa grand-mère qu’Emma trouvera les réponses à ces questions, quelques jours après le décès de celle-ci. Un journal qui la plongera dans un véritable cauchemar, au cœur d’un camp d’extermination nazi pendant la seconde Guerre Mondiale, et qui la confrontera à d’impensables et tragiques secrets de famille.
« Le cahier m’est tombé des mains. J’avais découvert un puzzle dont chaque élément me faisait horreur : un jeune bourgeois collaborateur, pétri de certitudes, un nazi criminel et arrogant. Ce camp, Sobibor. Il restait évidemment un espace vide, une pièce manquante que je redoutais de retrouver et qui avait le visage de Mamouchka. »
Jean Molla nous offre ici une histoire poignante à laquelle vient se mêler une parcelle d’Histoire, terrifiante. Il aborde avec singularité les thèmes difficiles de l’anorexie et des camps de concentration en s’intéressant particulièrement à la mémoire, à l’après, et au poids que peut constituer l’histoire familiale sur les générations suivantes lorsque certains secrets enfouis sous des couches de mensonges sont soudainement révélés.
C’est le silence qui domine tout au long du livre. Celui dans lequel Emma vit sa maladie, et celui qui recouvre l’effroyable témoignage contenu dans le journal trouvé par la jeune fille, celui d’un SS employé au camp d’extermination nazi de Sobibor, en Pologne, au moment de la seconde guerre mondiale. Un témoignage qui mettra Emma face à l’horreur et au mensonge, bouleversant à jamais le regard qu’elle portait sur ses grands-parents et la privant brutalement de ses repères.
Récit de faits historiques et fiction s’entremêlent ainsi pour nous livrer, au final, une véritable leçon de vie.
Une lecture riche et parfois éprouvante, que l’on a du mal à interrompre et qui nous hante longtemps. Une lecture nécessaire, assurément.

« Peut-être vais-je essayer de vomir en mots ce que j’ai des mois durant vomi en silence. Nourritures à peine digérées me lacérant la gorge, me laissant épuisée, douloureuse. Nourritures avalées comme une forcenée, pour me faire taire, ou pour remplir ce vide immense au-dedans de moi. Vide trop grand pour mon corps de jeune femme. Vide qui me mangeait de l’intérieur, qui menaçait de m’engloutir. Vide qui creusait mes joues et mes côtes. Vide qui se nommait Sobibor, et que j’ignorais. Mais je vais trop vite. Je dois refaire le chemin inverse. Pour moi. Pour les autres. »

Jean Molla – Sobibor – Editions Folio

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