Éditions Fidès : 75 ans d’aventure éditoriale indépendante au Québec

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Par Aline Apostolska – bscnews.fr / Pour poursuivre la série d’entretiens de fond avec des éditeurs québécois que j’ai entreprise en 2009, j’ai le plaisir de m’entretenir ce mois-ci avec Guylaine Girard, directrice de l’édition des éditions Fidès, historiquement première maison d’édition indépendante du Québec. 75 ans tout de même. Une histoire éditoriale originale, riche et plurielle, dont les étapes d’évolution offrent un miroir aussi constant que loyal de l’histoire sociologique québécoise dans son ensemble. Avec, entre autres étapes détaillées ci-dessous, des liens pertinents avec la France.

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Créées en 1937 par le père Paul-Aimé Martin, les éditions Fides fêtent leurs 75 ans. Quelles sont les étapes de ce long parcours qui vous paraissent importantes à souligner ?
Notre histoire commence en mars 1937 avec la parution du premier numéro de Mes fiches – acte éditorial fondateur de la maison Fidès que nous devons au père Paul-Aimé Martin.
Les étapes suivantes sont :
– Janvier 1941 : mutation de l’éditeur de Mes fiches à l’éditeur généraliste de livres : 1er titre paru Mon fiancé, premier d’une série de fascicules de la collection «Face au mariage»
– années 1940-1950 – époque flamboyante : Fides acteur majeur présent dans tous les domaines :
sur le plan national :
éditeur : édition scolaire (lancement des revues Le maître et L’élève, et de nombreux manuels de catéchèse, de bienséance, etc.), édition pour la jeunesse (avec notamment la BD Hérauts (Timeless Topix, traduite de l’américain, et qui propose aux jeunes des histoires d’aventures édifiantes – 100 000 exemplaires à chaque parution bi-mensuelle, ou encore le journal François, journal de la JEC – Jeunesse Étudiante catholique — et de nombreux récits scouts ou d’aventures), édition littéraire (Félix Leclerc, Félix-Antoine Savard, Hector de Saint-Denys Garneau, Émile Nelligan, avec la création de la collection Du Nénuphar en 1944, réédition d’auteurs français en vertu du régime d’exception prévu par les Alliés, diffuseur de la revue Gants du ciel, au titre emprunté au mouvement surréaliste, dirigée par l’homme de lettres Guy Sylvestre et qui publie des auteurs français et canadiens de qualité, création de diverses collections dédiées à l’Histoire), édition religieuse (avec le best-seller Le Nouveau Testament, dans la première traduction en français faite par des biblistes canadiens-français, ou encore Mon missel, traduit de l’américain + plusieurs collections de réflexion sur la spiritualité ou sur l’Église);
imprimeur : achat d’une imprimerie en 1954, rue de Gaspé (ancienne imprimerie du journal Le Canada).
libraire grossiste (alors l’un des quatre plus importants dans la province de Québec) : Fides assure alors des fonctions de distribution et de diffusion des livres français auprès des librairies de détails. Fides possède un entrepôt adjacent à son imprimerie, rue de Gaspé.
libraire de détail : Fides possède un réseau de librairies au Québec, au Manitoba, en Alberta, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Angleterre – partout où sont présents les Canadiens français.
sur le plan international :
1945 : création de Fides Editora à Sao Paulo, au Brésil et de Fides Publishers à South Bend, état d’Indiana.
1948 : première librairie parisienne de Fides au 58, Notre-Dame des Champs (6e), en 1950 déménagée au 120, boul. Raspail (6e), dans des locaux plus spacieux où elle fait également office de Centre du livre canadien à Paris. 1949 : création de Fides SARL au triple mandat (diffuser les ouvrages canadiens de Fides en France, publier un certain nombre de titres en France destinés au marché français, diffuser en France les œuvres de l’Oratoire Saint-Joseph).
Autre moment important, à portée symbolique, témoignant de l’importance de Fides sur le plan économique, à un moment où les Canadiens français prennent de plus en plus conscience de leur action possible dans ce domaine : 20 mai 1964 : inauguration de l’immeuble Fides rue Dorchester (aujourd’hui boul. René-Lévesque), immeuble construit par Fides sur un terrain dont il fait l’acquisition. Auparavant, Fides avait ses bureaux rue Saint-Jacques, au centre-ville et, avec d’autres propriétaires, en est exproprié en 1961 par le gouvernement du Québec qui y construit le Palais de justice.
Mai 1978 : départ du père Martin, fondateur.
Mars 1983 : Sœur Micheline Tremblay, directrice générale, première femme à diriger Fides.
Années 1990 : parachèvement du processus de laïcisation de Fides, alors dirigé par un laïc, Antoine Del Busso.
Au cours de toutes ces années, la maison d’édition Fides s’est démarquée par le professionnalisme dont elle fait preuve dans tous les secteurs de l’activité éditoriale et par ses publications. Parmi les grands succès éditoriaux de la maison, on retrouve ce livre presque centenaire, La cuisine raisonnée, qui a été vendu à près de 500 000 exemplaires ; il y a aussi le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, en huit volumes, qui a contribué à fondé le corpus des œuvres qui forment la littérature québécoise ; autre ouvrage de référence à grand succès, le Dictionnaire des synonymes et des antonymes ; la collection Du Nénuphar, avec plus de soixante titres, a été la première collection à présenter des textes dans leur version définitive, contribuant ainsi à l’émergence de notre littérature nationale.

Comment définiriez-vous le rôle joué par les éditions Fides dans l’appropriation identitaire et culturelle des Canadiens-Français puis des Québécois ?
Fides a joué un rôle dynamique important, notamment avec la création de la collection du Nénuphar en 1944 et de diverses collections de poche à un moment où la notion même d’ouvrages «classiques canadiens» demeurait problématique: la littérature canadienne, encore jeune, pouvait-elle avoir ses classiques? s’interrogeait-on alors. Fides a répondu à la question en jouant pleinement son rôle d’éditeur (collections de classique et publication d’ouvrages de référence) épaulé par l’université et l’enseignement. Fides a également joué un rôle important en publiant des collections historiques d’envergure. Les historiens importants, de toutes générations, qui ont publié leurs travaux chez Fides, ont contribué ainsi à la formation d’une conscience historique au sein de la société québécoise. Fides a toujours mis de l’avant une certaine neutralité par rapport au pouvoir politique, notamment celui de Maurice Duplessis, indépendance jalousement préservée par ses dirigeants, tout religieux qu’ils fussent. L’indépendance d’esprit et de paroles a depuis les débuts caractérisé Fides dans la tenue de son programme et par les auteurs qu’elle a publiés. Fides a aussi suivi les changements en cours dans la société. Par exemple, dès sa fondation, Fides a donné un rôle aux laïcs (dans l’esprit de la JEC) annonçait ainsi l’évolution de la société québécoise. Dès le début, dans les années 1940, on note la présence de laïcs au sein du conseil d’administration de Fides.

Bien qu’il fut un religieux, le père Martin, alors âgé de 20 ans, a dès l’origine distingué la maison en créant des collections originales et en donnant un catalogue généraliste. Combien d’auteurs et de titres le catalogue de Fides contient-il aujourd’hui ?
Depuis sa fondation en 1937, Fides a publié les œuvres de plus de mille auteurs. Son catalogue compte plus de 2500 titres, dont près de 800 titres sont toujours actifs.

Quelles sont vos orientations et priorités éditoriales actuelles ? Quels sont vos auteurs et titres phares ?
En ce qui touche la nature de la maison, Fides est restée une maison d’édition généraliste, comme à ses débuts. Son programme comporte toujours la publication d’ouvrages de référence, d’essais en littérature, en histoire, en philosophie et en éthique, en religion et en spiritualité, d’études et de dossiers sur des questions de société et d’actualité, de romans inédits et en traduction, de biographies, de guides saisonniers, de beaux livres et de livres d’art. Fides renoue également avec son passé en lançant cette année une nouvelle collection de classiques en format de poche, la collection «Biblio/Fides». Par ailleurs, d’autres catégories d’ouvrages font leur entrée au catalogue de Fides : des ouvrages qui traitent de questions de santé et de mieux-être, des essais et des guides en psychologie.
Fides publie, encore aujourd’hui, des historiens de renom : Yvan Lamonde, Hélène-Andrée Bizier, Jacques Michon. La maison compte également des romans de Louis Gauthier et de Yves Beauchemin, deux romanciers phares de la littérature québécoise d’aujourd’hui. Du côté des ouvrages en psychologie, Fides publie les ouvrages de la célèbre Marie-Paul Ross, des ouvrages de croissance personnelle, de mieux-être et de méditation avec la psychologue de grande réputation, Christine Angelard, ainsi que les ouvrages du psychologue, Jacques Ross. Isabelle Brabant, la sage femme qui a fait avancer la cause de l’accouchement naturel au Québec, publie une toute nouvelle édition de son maître ouvrage chez Fides, Une naissance heureuse.
Fides a connu récemment une restructuration financière, notamment à travers un rachat partiel de la maison. Est-ce à dire que le contexte de l’édition québécoise est fragile en ce moment, notamment à cause de la forte concurrence dûe à la démultiplication des maisons d’édition ? Comment y avez-vous remédié ?
Ce n’est pas nécessairement la multiplication des maisons d’édition qui pose problème, mais la place de la littérature dans l’espace public, dans la société, à l’école et dans les médias. Le noyau de grands lecteurs diminue sensiblement, alors qu’il reste à former des générations de jeunes lecteurs. Quel que soit le support, imprimé ou numérique, des livres paraîtront, écrits par des écrivains convaincus de leur nécessité, guidés par des éditeurs qui auront repéré ceux correspondant à leur sensibilité éditoriale, mis en valeur par des libraires fervents, appelés à jouer un rôle de prescripteur sans doute de plus en plus grand. Mais encore faut-il que ces livres trouvent des lecteurs en nombre suffisant pour justifier les efforts humains et financiers consentis. Tout le défi est là.

Fides est non seulement la plus ancienne maison d’édition québécoise, mais de plus la première à avoir eu une librairie autonome à Paris dès 1949 et jusqu’en 1968. Comment la maison est-elle diffusée aujourd’hui sur le territoire français et a-t-elle des projets éditoriaux avec des maisons françaises ?
La maison de distribution française Sofédis assure la distribution des ouvrages de Fides sur le territoire français. De plus, Fides est présente, d’année en année, aux salons du livre de Paris et de Francfort dans le but d’établir des partenariats de diffusion sur certains livres et collections de son catalogue sur d’autres territoires. Par exemple, le livre Une naissance heureuse, d’Isabelle Brabant, est diffusé par la maison d’édition Chronique Sociale, à Paris. Et ces partenariats vont dans les deux sens : Fides diffuse également sur le territoire québécois certains romans du catalogue de la maison d’édition des Deux Terres, à Paris.

Avec HMH-Hurtubise et Leméac, Fides a lancé la première édition de littérature québécoise en poche, La Bibliothèque Québécoise. Combien de titres comprend aujourd’hui La BQ ?
Jusqu’à tout récemment en effet, Fides publiait certains de ses classiques dans la collection Bibliothèque québécoise. Depuis l’automne 2011, Fides a décidé de lancer sa propre collection de livres en format de poche, Biblio/Fides. Cette collection publiera à la fois des textes classiques faisant partie du patrimoine littéraire du Québec (Le Survenant, Menaud, maître draveur, l’œuvre complète de Félix Leclerc, les Poésies complètes d’Émile Nelligan), mais aussi des textes plus contemporains qui sont appelés à devenir les classiques de demain. Biblio/Fides rassemblera des écrits dans tous les genres littéraires, de la nouvelle au conte, en passant par la biographie, l’essai, et, bien sûr, le roman.

Quelles sont les perspectives de développement futur, notamment éditoriales, de Fides ?
Fides mise beaucoup sur sa famille d’auteurs et de chercheurs qui ont fait sa réputation. Les grands ouvrages d’envergure et de référence forment un axe de développement propre à Fides qu’il sera intéressant de poursuivre. Fides veut également développer son secteur «romans» et «récits» en ajoutant de quatre à cinq nouveaux titres par année à son catalogue, autant des œuvres d’auteurs établis que de nouvelles recrues. Les biographies et les ouvrages en histoire font aussi partie des lignes éditoriales à continuer de développer.
La nouvelle alliance de Fides avec son nouveau propriétaire, Coopsco (qui est un regroupement de coopératives en milieu scolaire) ouvre des perspectives de développement intéressantes, notamment pour la promotion et la diffusion d’ouvrages destinés à un public d’étudiants et de professeurs. La création de la collection en format de poche, Biblio/Fides, s’inscrit tout naturellement dans cet axe de développement.
L’une des marques de commerce de Fides, c’est le professionnalisme dont elle fait preuve dans toutes ses activités éditoriales, la qualité exceptionnelle du contenu de ses publications et la belle facture des livres qu’elle publie. Voilà tout un programme pour tracer l’avenir de la maison, marquée au sceau de l’excellence et héritière d’une histoire éditoriale unique.
Plus de détails sur www.groupefides.com

Éditions Fides
7333, place des Roseraies, bur. 100,
Anjou (Québec) Canada H1M 2X6

( Aline Apostoslka est correspondante du BSC NEWS MAGAZINE à Montréal )

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