Ces cinq albums retracent la vie du personnage historique, Joseph Joanovici, un ferrailleur juif roumain, devenu l’un des hommes les plus riches de France qui, durant la seconde guerre mondiale, a collaboré souvent avec la Gestapo et a été tout en même temps un des principaux pourvoyeurs de la Résistance. Un personnage ambivalent au parcours dérangeant dont le destin a nourri une série habilement ciselée. Fabien Nury au scénario, Sylvain Vallée au dessin, travaillent actuellement sur le dernier et sixième tome – un album très attendu!. Laissons la parole à son dessinateur!
Quel pinceau, crayon – mentor vous a donné l’envie de dessiner pour la bd?
Bien avant des auteurs, et bien loin du choix des outils, c’est avant tout et dès mon plus jeune âge, des lectures et des albums. Mais si je devais m’inscrire dans une lignée d’auteurs, je vous répondrais avoir été influencé par des maîtres de la bande dessinées tels Uderzo, pour la rondeur du dessin et la vie insufflée aux personnages, par Loisel pour la mise en scène et le travail sur les émotions, par Tardi pour ses ambiances urbaines. Et par des réalisateurs de cinéma comme Clouzot, Melville, Lautner, Coppola, Scorsese… et bien d’autres !
Et aujourd’hui, est-ce un genre que vous dévorez? Quels albums, dernièrement, vous ont séduit?
Le genre polar m’a toujours fasciné. C’est le cadre idéal pour traiter de l’âme humaine dans toute sa complexité. Un genre exceptionnel permettant de traiter des moeurs sociales et des multiples caractères humains, avec un éventail de tons allant de la noirceur la plus absolue à la comédie la plus burlesque. Bien sûr, avec « Il était une fois en France », nous sommes dans la première catégorie, mais j’ai aussi envie d’aborder la seconde.
Qu’est-ce qui vous a plu dans le récit de ce destin ambivalent?
La possibilité justement de jouer sur cette large gamme de sentiments, mais aussi d’expliquer les motivations multiples et changeante qu’un homme peut avoir face à son destin, sans pour autant les cautionner moralement. La justesse d’écriture du scénario de Fabien permettait cela. La personnalité de Joanovici et son parcours furent exceptionnels, et pour des auteurs de fiction, cela représente une matière de travail rare.Comment, en tant que dessinateur et « metteur en scène » curieux de traiter de l’humain, ne pas être séduit par un tel sujet?
Aviez-vous déjà travaillé avec Fabien Nury? A-t-on besoin d’une indispensable complicité pour imaginer une série de cette teneur?C’était notre première collaboration, nous en espérons tous deux une autre. Parce qu’effectivement, de ce travail commun est né une véritable amitié, et aussi parce nous pensons tous deux nous être trouvés artistiquement. Nous avions déjà beaucoup de goûts et d’influences en commun au départ, mais le fait de travailler ensemble sur une matière de ce type, je parle encore de l’humain, à mettre ensemble les mains dans le même « cambouis », en ce qui concerne Joanovici, nous a poussés à nous découvrir l’un et l’autre. Donc, oui, cette complicité m’apparaît indispensable.
Avez-vous imaginé les traits de Joseph immédiatement? Vous êtes-vous aidé de photographies existantes?
Les traits du personnage sont inévitablement issus de ceux du véritable Monsieur Joseph. Faire autrement, ce qui nous a été suggéré au tout début, aurait été pour moi une trahison d’un irrespect total vis à vis de la personne ayant existé. Bien sûr, le dessin vient interpréter la réalité, et ma volonté d’expressivité m’a poussé à forcer les traits de mes personnages. Cependant, je n’ai jamais considérer cette forme de « caricature » sous l’aspect satirique, mais comme un moyen de caractériser mes personnages et de leur donner plus de vie.
Un scénario avec des analepses impose des difficultés graphiques particulières? Est-ce la difficulté majeure que vous a posé cette bd?
C’est une des difficultés en effet. Mais elle ne s’applique qu’au tome 1. Ce qui aura été plus complexe, c’est l’évolution chronologique sur les autres tomes et particulièrement sur le tome 6, que je réalise actuellement, car il s’étend sur plusieurs dizaines d’années, et tous nos personnages vieillissent…Maintenant, je pense que la difficulté majeure, tout du moins l’attention principale, aura été celle portée à la justesse de la mise en scène. Etant donné l’ambiguité de notre personnage principal, il nous a fallu être le plus clair possible sur le fond du propos, pour ne laisser à chaque situation aucune autre interprétation possible que celle que nous souhaitions. D’où une vigilance constante.
Pour quel personnage avez-vous eu le plus d’antipathie…. et le plus de sympathie?
Joseph, bien sûr. Et nous avons tout fait pour qu’il en soit de même pour le lecteur.
Les visages naissent-ils sans modèle? Retrouve-t-on, malgré vous ou volontairement, des traits de gens que vous côtoyez ou que vous avez croisés?
C’est quelque chose de naturel chez un dessinateur. Consciemment ou inconsciemment. Mais par ailleurs, certains personnages clefs ou non sont issus de photos, comme Laffont ou Brandl.
Avez-vous déjà travaillé sur d’autres récits historiques? Diriez-vous que l’Histoire est une source d’inspiration puissante pour votre pinceau?
L’histoire et LA source. Fabien ne vous dira pas le contraire, la majeure partie de ses récits émanent de notre passé et ont pour toile de fond des évènements historiques, majeurs ou non. Il n’y a qu’à se pencher, à condition d’en faire quelque chose de passionnant, et c’est là qu’est tout le travail !
Vous êtes-vous parfois demandé si vous ne jouiez pas dangereusement avec la vérité ou en tous cas si vous ne pourriez pas, par vos dessins, influencer la perception du personnage de Joseph?mettre en vignette un personnage aussi controversé tracasse-t-il ma conscience? N’a-t-on pas peur de lui donner un visage trop bonhomme par exemple?
Bien sûr, nous sommes passés par toutes les interrogations possibles ! Et il nous a fallu « montrer patte blanche » avant d’aborder ce sujet. Mais influencer la perception du personnage, dans un sens comme dans l’autre, est notre atout majeur. Pour entretenir l’intérêt du lecteur et ses interrogations jusqu’au bout, il faut que Joanovici nous apparaisse tour à tour sympathique et odieux, sans jugement moral, dans la mesure où la clarté de notre positionnement sur le fond ne fait pas de doute. C’est un salaud, avec une tête de sympathique maquignon, mais c’est surtout un être humain dans sa plus grande complexité. Et nous espérons avoir donné à voir de manière équilibrée suffisamment d’éléments pour que chacun se fasse son propre jugement en conscience.
Peut-on dessiner sans influencer le scénariste? Y-a-t-il des planches dont le texte a été modifié suite à vos dessins?
C’est un jeu de vases communiquants nécessaire entre le dessinateur et le scénariste. De ces échanges naissant l’équilibre du récit et la justesse du propos et de la mise en scène.
Vous documentez-vous systématiquement pour dessiner les lieux, les uniformes etc? ou faîtes-vous confiance à vos souvenirs des cours d’histoire?
La documentation elle aussi est nécessaire, mais il faut savoir s’en inféoder car elle peut scléroser le dessin, si on y fait appel systématiquement. Il y a les moments pour s’y référer et ceux essentiels de la liberté graphique. Aussi, l’évocation d’une ambiance ou d’un lieu peut être mille fois plus juste que la fidèle reconstitution historique, et toucher plus profondément le souvenir du spectateur ou la conscience collective sur un sujet. A condition bien sûr de ne pas être « hors sujet » ou anachronique.
Il reste un album à paraître? Un album où il est question de voyages et d’horizons nouveaux? l’occasion pour vous de faire davantage de plans généraux, de dessiner davantage les lieux?
Oui, c’est la cas dans ce tome 6, mais je ne veux surtout pas perdre cette proximité avec mes personnages qui permet de générer un large panel d’émotions et de le rendre palpable. C’est le langage de la série et ce qui a participé de son succès.
Avez-vous un souvenir marquant d’une rencontre avec un lecteur que vous nous raconteriez?
Lors du vernissage de l’exposition consacrée à « Il était une fois en France » à la galerie Maghen, un septuagénaire vient me voir pour nous féliciter et me dire avoir été très touché par notre série, à la fois ravi de voir cette histoire exhumée, mais également du choix d’avoir donné une vraie place à l’histoire de sa famille et de ses filles. Je m’interroge et le questionne, car c’est la première fois que l’intérêt d’un lecteur se porte aussi clairement sur ces aspects du récit… et pour cause: Celui-ci me confie avoir été fiancé à l’une des filles de Joseph ! Je ne rentrerais pas dans les détails par respect pour ce monsieur, mais c’est ce genre d’expérience assez marquante qui nous fait prendre encore un peu plus la mesure de la réalité qui se cache derrière notre propos, et de la nécessité de ne pas en faire n’importe quoi. Une prochaine fois, je vous parlerai du petit-fils de Joanovici, et de son bienveillant témoignage…
Enfin d’autres projets en cours pour Sylvain Vallée?
Une récréation sous forme d’un « XIII Mystery » autour de Betty Barnovsky, un des rares personnages touchants de la série, avec mon « vieux »copain Joël Callède. Deux projets, un one-shot et une autre série, avec Fabien. Et de nombreuses sollicitations…
Série: Il était une fois en France
Editions Glénat
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