Pierre Vavasseur évoque les fêlures secrètes, le désir, le chagrin, la solitude, la soif de rencontres. Sa poésie apaise, libère, réconcilie, enchante, attendrit. Elle va droit au cœur.
« nous dînons ensemble
je suis muet et je t’écoute
tu n’es pas là mais c’est bien toi qui danses
le long de ta voix ventée »
Vous publiez votre premier recueil de poésie, écrivez-vous depuis longtemps des poèmes? La poésie a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?
J’en écris depuis l’âge de quinze ans. L’un d’eux figure d’ailleurs dans ce recueil, ce dont je suis le premier troublé. J’ai 57 ans. Depuis 42 ans, il est resté, à mes humbles yeux en tous cas, un texte qui tient debout. Un sens ? Sans aucun doute celui d’aller à contresens sur l’autoroute de la vie sans provoquer de carambolage. La poésie aide à retrouver un peu de silence dans le vacarme. Je pense qu’elle soigne, qu’elle repose, qu’elle apaise.
Comment naissent vos poèmes ? Pourriez-vous évoquer l’origine de ceux qui vous tiennent le plus à cœur ?
Ils naissent d’un état fébrile qui vous pousse à remettre à plus tard ce que vous aviez prévu de faire. Dès le réveil, il y a cette impression de désordre qui vous occupe. L’incapacité, par exemple, de préparer la table du petit-déjeuner sans faire mille allers et retours parce qu’on oublie toujours quelque chose. Du côté de midi, avoir faim. Acheter un cahier, un stylo. Entrer dans la première pizzeria venue et laisser filer les mots sans chercher à comprendre. Juste les chanter pour soi-même. Au bout d’un moment, -qui peut être bref – le débit s’arrête. Ne pas insister. Laisser reposer à feu doux quelques jours, quelques mois… Essayer de ne pas égarer le texte, ce qui arrive une fois sur deux. Relire ensuite. Voir ce qui a fané, ce qui plaît toujours. Affiner, tailler, couper. Savoir si on est heureux d’avoir un texte de plus. Si on a envie, comme ça, de décrocher son téléphone et de le lire à haute voix à un(e) ami (e). Chacun de ces poèmes me tient à coeur et trouve son origine dans un visage croisé, un rayon de soleil à une terrasse et ce petit vent de mer qui circule parfois dans les rues des villes. « Tes yeux poussent la porte du monde » était bien plus long. Il a été écrit, comme si une main tenait la mienne, sans plaisanter, au festival d’Avignon, à l’orée de la rue des Teinturiers. Celui qui ouvre le recueil est un mystère. Mais je l’aime comme on aime une personne aimée.
Vos poèmes parlent du silence, des blessures d’enfance, de l’amour qui fait souffrir, avez-vous voulu exprimer ce qui en nous est caché, non dit, ces petits maux d’amour ?
La poésie parle d’amour et de souffrance, sans que les deux soient forcément liés. Elle ne parle que de ça. L’enfance? Je ne sais pas. Je ne crois pas. Les enfants ne sont pas poètes. Je ne pense même pas qu’ils sont heureux. Ca se verrait. En revanche, elle naît sur une fracture, une douleur douce qui nous accompagne toute notre vie. Il y a cette phrase de Jules Renard qui me fascine : « J’ai connu le bonheur mais ce n’est pas ce qui m’a rendu le plus heureux. » C’est vertigineux de justesse. La poésie parle de ça, sans nous demander notre avis.
Ils évoquent aussi la lumière, les rêves, la beauté, la douceur : l’émerveillement est-il au cœur de votre poésie ?
Je suis journaliste. Chaque journée est un voyage, peuplé de décors, de routes, de rencontres, et lorsque je rentre chez moi, le soir, parfois tard, j’ai le sentiment de revenir d’un voyage fait d’étonnements et de nouveauté. C’est cet étonnement qui «libère » et maintient vif. Deux de mes précédents rédacteurs en chef invitaient à s’émerveiller chaque jour, ce qui est une bonne définition du métier mais aussi d’une forme de bonheur. Quant à la beauté, ce pur concept, qui mélange les paysages et les visages, les lignes et les silhouettes, l’apaisement et le regard, j’y tiens. Il y a de la beauté en tout. Il suffit de prendre le temps pour voir. Je fais des photographies avec mon téléphone portable. On me dit : « tu as l’oeil ». Chic! Mais tout le monde « a l’oeil »! Il suffit juste de cesser de courir.
Comment écrivez-vous vos poèmes ? Sur des petits carnets, des nappes en papier ? Les retravaillez-vous ?
Les cahiers nouveaux, choisis, touchés. Les nappes en papier (le top du top !) Oui, comme répondu plus haut, je les retravaille. Je les élague. Je les taille. Je les rempote. C’est du jardinage.
Vous inspirez-vous d’Eluard, de Prévert ? Quels sont vos poètes préférés ?
Baudelaire, Mallarmé, Valéry, Aragon.
Allez-vous mettre vos poèmes en musique ?
La musique peut accompagner un texte. Une chanson, c’est autre chose. Elle est construite comme un meuble. Essayez de ranger vos vêtements dans un poème, ça va se casser la gueule!
Parlez-nous de votre travail au Parisien ? Regardez-vous les films, lisez-vous avec ce même émerveillement ? Quels sont vos coups de cœur récents ?
J’ai cette chance de naviguer chaque jour entre les films, les livres, les pièces de théâtre. Parfois je ne sais plus ce que je pense. Je me demande si je ne suis pas en marge du réel. Je suis nourri des émotions des autres. Parfois, je reviens à la surface (d’une salle de projection en sous-sol par exemple) avec le besoin de marcher. Je suis toujours en marge. Toujours à découvert à la banque. Je ne sais pas ce que signifie « faire construire ». Le journalisme, tel que je l’ai voulu et le pratique, tel qu’il m’a ouvert les bras après des années de majorettes, de conseils municipaux, de comptes-rendus d’exercice au Crédit Agricole, de portraits de sportifs, de faits-divers – la vraie beauté du métier! – et petit à petit l’accession aux spectacles, à la culture, aux festivals, aux transparences cannoises, aux interviews d’acteurs et d’écrivains, aux papiers écrits dans l’urgence d’une émotion, à l’issue d’un concert, est un pur métier de poète. Il y a même un livre de Jean Cocteau qui s’intitule : « Poésie de journalisme. »
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