Trois ans avec le SLA
Par Laurence Biava – bscnews.fr/ Voici l’histoire tragique de Jean-Paul Rouet, brillant ingénieur et jeune retraité de 60 ans, qui apprend du médecin qu’il est venu consulter pour ses récentes difficultés à marcher, qu’il est atteint de la Sclérose Latérale Amiotrophique (SLA), une maladie orpheline qui touche une personne sur 25000 en France. De facon péremptoire, on lui annonce que tous ses muscles, un à un perdront leurs capacités
.Les forces décuplées face à ce pronostic sombre – ce gouffre abyssal – auquel rien ne l’avait préparé, Jean-Paul Rouet décide de tout tenter et de définitivement demeurer dans l’action. Ainsi, tel Ulysse face aux tempêtes démoniaques, il surmonte sa maladie en la faisant sienne – « ma SLA », en connaît tous les contours, en discerne tous les mouvements. Il ausculte, pèse et soupèse les théories, confronte les avis, éprouve et s’harnache ce besoin prométhéen de connaissances, il faut avancer sans peur : les parties encore inconnues ne sont-elles pas forcement décelables ? « J’ai suivi beaucoup de pistes pour y voir plus clair, me donner une impression d’action, passer le temps ou en gagner » écrit-il . Entouré d’amis médecins, il essaie différentes thérapies, jusqu’à une greffe de ses propres cellules souches. Il cherche tous les moyens pour continuer à vivre et, plus encore, pour comprendre sa maladie et mieux la dominer.
Dans « trois années avec la SLA », qui fut co-écrit avec sa nièce écrivain Sophie Adriansen dont il convient de saluer ici la rigueur de ce travail prospectif, ainsi que la maîtrise de l’opus de bout en bout – étant donné les difficultés d’écriture de l’auteur sous le joug de la SLA, au moment de la rédaction de l’ouvrage – ce sont les témoignages d’anciens collègues, des proches, des amis, de sa femme, de tous ceux qui le connaissent depuis longtemps, qui ont suivi les incroyables fois ou l’ énergie et la ténacité sont salvatrices, tantôt les dégradations de la maladie, qui relaient et appuient les propos dépeignant cet « enfermement » , l’aliénation qui en découle et la souffrance psychologique liée à la dépendance, qui sont l’âme de cette catharsis.. Il démontre enfin la capacité de l’esprit à ne pas se laisser submerger par le corps, même malade, et interroge sur la question de la fin de vie.
»Vous ne récupérerez jamais vos déficiences motrices actuelles et vos muscles ont s’atrophier plus ou moins rapidement. » lui dit- on. La Sclérose Latérale Amiotrophique est une maladie neurologique progressive touchant sélectivement les systèmes moteurs. La perte de motricité est la conséquence d’une dégénérescence, c’est-à-dire d’une mort cellulaire, des motoneurones, les cellules nerveuses qui commandent les muscles volontaires.
La maladie, appelée aussi Maladie de Charcot (une des maladies de Charcot – car il y en a plusieurs -), est due à un défaut de myéline et des nerfs périphériques qui ne jouent plus correctement leurs rôles d’isolant de l’axone. Il en résulte une baisse de vitesse dans la propagation de l’influx nerveux. Certains muscles moins innervés, s’affaiblissent alors. Il semblerait et c’est une des hypothèses approchées par le livre – que toutes les personnes qui ont subi dans leur vie récente un violent stress, la disparition d’un être cher, un événement violent ou l’accumulation d’un énorme stress oppressif soient plus visées que les autres. Dans la même veine démonstrative, il paraît également que soient fragilises les individus ayant franchi un surpassement de leur capacité à l’effort, étant allées de ce fait très au-dessus de leurs limites et ce, de façon répétitive. A chaque fois, expliquons que le malade subit intensément la situation ou l’acte, le conduisant à une sévère dépression ou à une fatigue intellectuelle profonde, au cours de laquelle, il va perdre sa joie de vivre et s’enfoncer dans une sorte de léthargie. Quand il en sortira, ce ne sera que très profondément affecté. Generalement, quelques mois plus tard, la maladie se déclenchera. Si l’on considère la rapidité de l’évolution de cette maladie, on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec la violence du choc à l’origine et la perte de l’envie de vivre du malade, pour qui la vie devient un dégoût. Aussi il est vraisemblable que l’entourage va devoir tout tenter pour apporter joie et réconfort afin de contrebalancer l’effet violent et traumatisant, responsable du déclenchement de la maladie.
Alors que Jean-Paul Rouet est amené à cesser peu à peu ses activités, en raison de ses défaillances physique, une déprime profonde jaillit.. On en cherche la cause, on évalue, on piste les signes distinctifs antérieurs, les signes physiologiques, les malaises vespéraux, les migraines intenables du dimanche matin, et puis, les ressorts du passé, et l’irréversible chagrin né du décès d’un de ses enfants …
Dans une succession de chapitres où la concision des questions réponses relaie les développements sur les acquisitions du corps humain, on est frappé par la densité, l’exactitude des argumentaires livres et l’émulation intellectuelle qui en découle. Tout est raconté dans les menus détails, avec une précision de geomètre, et on ne peut être que béat devant une telle concision, ainsi que devant l’exploitation tirée des supports scientifiques et des investigations finales. On est très émus aussi dans cette façon, où en tant que SLAien, tel qu’il se nomme, Jean-Paul Rouet s’empare non seulement de sa maladie, comme s’il voulait lui fouetter le sang, mais aussi dans la manière dont il veut la «partager» avec les autres. La façon dont il convoque son entourage, dont il évoque « son poids » pour lui-même et la société, son ressenti face à ce corps-prison comme s’il était pris en otage de lui-même, l’évocation des premiers symptômes, sa lutte de tout instant pour dépasser le mal-être physique, moral, sa fonction de «spectateur de soi-même», le mode carré, assurément poignant de prendre son destin en main en évoquant les choix thérapeutiques et l’espoir que représente les cellules souches, est une leçon remarquable de courage et d’humilité qui force l’admiration.
C’est un incomparable et intime témoignage donc, que ce très documenté essai scientifique qui livre tout de but en blanc: du diagnostic à la fin de vie, voici un parcours extraordinairement lucide, implacable, d’une force incroyable, à la croisée des chemins entre le témoignage humain et la thèse médicale. Au nom de la mémoire d’un homme avec un sens très aigu de l’altérité. Un livre à faire lire à tous, malades ou bien portants, avec toutes les personnes concernées..
Titre: « Trois ans avec le SLA »
Auteurs: Jean-Paul Rouet et Sophie Adriansen
Editions de l’Officine