André Pieyre de Mandiargues : une gourmandise pour happy few esthètes ?
Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / Né avec dans la bouche une cuiller d’argent, André Pieyre de Mandiargues (1909-1991) a pris le temps d’entrer en littérature, publiant son premier texte à trente-quatre ans, à compte d’auteur. En 1967, il reçoit le prix Goncourt, au 7e tour de scrutin, pour La Marge. Ce jour-là, il prend congé du jury sur un « Merci de votre attention » dont la courtoisie sereine ne laisse pas d’étonner Hervé Bazin. Le public découvre un écrivain demeuré jusque là une gourmandise pour happy few esthètes et raffinés qui s’étaient régalés notamment de La Motocyclette, manière de bonbon acidulé dont la justesse de l’onirisme érotique est un modèle du genre.
Nouvellement mariée, Rébecca quitte subrepticement le lit conjugal où dort Raymond, pour aller rejoindre Daniel, son amant. Hormis la petite culotte de nylon crème retirée en silence de la corbeille à linge sale, elle ne porte qu’une combinaison de cuir noir, doublé de fourrure blanche, pour enfourcher la motocyclette – une Harley-Davidson – cadeau de Daniel qui « savait la motocyclette comme il savait l‘amour, et c’est à lui qu’elle devait ce qu’elle en connaissait elle-même, car il les lui avait montrés tous les deux avec l’habileté d’un maître de danse ou d’escrime ». C‘est le récit d’un voyage impatient et exalté, à grandes guides et d’une durée torturante. Mandiargues qualifiait d’ « un peu de l’école du nouveau roman » ce récit dont Rébecca est le centaure de fer, tantôt lancé au comble du gaz dans les étendues boisées, tantôt se pliant douloureusement, le temps d’une traversée de ville, à la loi de la lenteur. On le lit en éprouvant la transe d’un enfant qui endure l’infini enroulement, autour du bâton, d’une barbe à papa dans laquelle il brûle d’enfouir son visage. Avec un polar, on serait tenté de tricher, d’éluder des pages, de brûler les étapes. Rien de tel ici, tant nous retient un style aux miroitements méticuleux, tant il convient de goûter la subtile résonance de la phrase, tant il importe de faire allégeance à une écriture où tout est à sa place, exactement. L’attente, l’espoir, le désir, les caresses, la fièvre, le paroxysme sont autant de points possibles sur la carte d’un pays où, peut-être, on n’arrivera jamais. La prose de Mandiargues est aussi sa poésie ; elle en flatte les courbes et les creux, avec la mâle assurance de qui a accoutumé de rendre hommage à l’essentiel et ne s’en éloigne jamais . «Si j’ai eu des passions dans la vie, ce n’aura été que pour l’amour, le langage et la liberté» .
Paru en 1963, La Motocyclette est devenu un film en 1967. La presse rigoriste lui trouvait une odeur de soufre. Marianne Faithfull en est la bien nommée héroïne . Arrière-petite-fille de Leopold von Sacher-Masoch, auteur du sulfureux « La Venus à la fourrure », dont elle n’hésitait pas à donner des lectures publiques des extraits les plus incendiaires Il n’y a pas de hasard…
Si le roman est passé à l’arrière-plan, il n’en a pas moins marqué durablement les esprits. En 1967 toujours, Brigitte Bardot chante Harley-Davidson de Gainsbourg.. « Quand je sens en chemin/Les trépidations de ma machine/Il me monte des désirs/Dans le creux de mes reins/…/ Je vais à plus de cent/ Et je me sens à feu et à sang/ Que m’importe de mourir/ En Harley-Davidson ». Des paroles qui font corps avec les pages de Mandiargues et en prolongent durablement les chatoiements diamantins.
Titre:« La motocyclette »
Auteur: André Pieyre de Mandiargues
Editions: Gallimard/L’Imaginaire n° 396