Les politiques sont-ils des people comme les autres?

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Propos recueillis par Nicolas Vidal – bscnews.fr / En ces temps d’élections, nous accueillons Jamil Dakhlia qui vient de faire paraître « Les politiques sont-il des people comme les autres ?» chez les Editions Bréal. Entre culture de la célébrité, manoeuvre politique et stratégie de communication, comment les hommes politiques utilisent-ils leur image et leur notoriété ? Jamil Dakhlia, Maître de conférences en Sciences de l’information à Nancy 2, nous livre son analyse.

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Dans un premier temps, qu’est-ce qui vous a poussé à travailler sur le thème de peopolisation des femmes et des hommes politiques ?
Je travaillais sur l’histoire et la sociologie de la presse populaire – et donc, sur la presse people, entre autres – quand, à l’approche de l’élection présidentielle de 2007, la notion de « peopolisation » s’est imposée dans le débat public français. J’ai donc voulu vérifier à quels changements dans les pratiques politiques et journalistiques cette notion renvoyait, comment une telle évolution pouvait s’expliquer et quel rôle, en particulier, les médias people – mis en cause par la dénomination même du phénomène – y jouaient concrètement.

Depuis quand la peopolisation a-t-elle fait son apparition dans la vie politique française?
Ici, il faudrait faire une distinction entre le mot et la chose. Les phénomènes de politique spectacle et d’exploitation – promotionnelle ou critique – de la vie privée des dirigeants ont toujours existé, sous des formes variables à travers l’histoire: on peut évoquer la façon dont Louis XIV utilisait les arts de son époque pour glorifier et sacraliser sa personne, ou la fascination, en bien ou en mal, que les moindres agissements de Marie-Antoinette ont déclenchée. On peut même dire qu’il existe un lien anthropologique entre politique et spectacle.
Reste que, lors de la campagne présidentielle de 2002, l’apparition du néologisme « peopolisation » en France peut être interprété comme le symptôme d’une tendance nouvelle des politiques français à mettre en scène leur personnalité et leur vie privée à des fins électorales. A l’époque, ce qui frappe les esprits est que les compagnes des deux principaux candidats non seulement soient présentes dans la campagne, ce qui en soi n’était pas nouveau sous la Vème République, mais se laissent aller à des confidences sur leur conjoint par voie éditoriale ou dans des médias populaires. Pour la campagne présidentielle de 2007, le phénomène monte en puissance car les deux présidentiables – Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy – se prêtent volontiers à ce type de présentation médiatique et offrent des profils – leurs conjoints respectifs jouant de fait un rôle politique – qui encouragent le brouillage de la frontière entre vie privée et vie publique.

Vous évoquez le mimétisme entre le show-biz et le monde politique. À votre avis, cela tient-il plus d’une mode ou d’une véritable stratégie de communication afin de toucher un public bien plus large ?
Le mimétisme entre le show-biz et le monde politique relève d’un phénomène de fond: la consécration d’une culture de la célébrité dans la société contemporaine, où la médiatisation, qui reprend et adapte les règles d’exposition des stars d’autrefois – ce que l’on observe par exemple avec l’essor de la télé-réalité – est devenue une valeur en soi. Pour « exister » dans la sphère publique, y compris sur le plan politique, certains dirigeants en ont déduit qu’ils devaient s’inspirer des règles d’exposition des vedettes du show-biz et certains médias, de leur côté, cultivent eux aussi cette mise en scène, jugée plus attrayante pour le public et donc, plus rentable.

« Le traitement people permet à l’homme politique de faire ressortir à la fois sa ressemblance avec l’individu ordinaire et des caractéristiques hors du commun, propres à faire rêver. » Quelle est cette dualité entre d’une part la proximité et l’idéalisation de la dimension publique ?
Dans l’idéal, les hommes et les femmes politiques qui se prêtent au jeu de la peopolisation souhaiteraient tirer parti de la séduction supposée de l’image people. D’une certaine image people, du moins: esthétisante et « glamour », celle que l’on retrouve par exemple dans des magazines de célébrités consensuels comme Paris Match, Gala ou Point de Vue. Mais aussi réchauffer leur communication politique en apparaissant comme des hommes et des femmes ordinaires, semblables aux électeurs. Mais ce faisant, ils courent le risque d’une perte de crédibilité – être associés par exemple à la frivolité ou être jugés sur leur apparence – et/ou d’une désacralisation: à trop vouloir ressembler au Français moyen, il devient difficile de prouver qu’on a la stature adéquate pour s’élever au-dessus de la masse et exercer des responsabilités au sommet de l’Etat.

De quelle manière l’homme politique met-il en scène sa vie privée « pour maintenir une valeur narrative » ?
L’idée est que le dévoilement de certains aspects de sa vie privée, à des moments stratégiques, permet à un politique de s’imposer à l’agenda public et d’éclipser du même coup d’autres thèmes d’actualité qui pourraient le desservir. En proposant aux médias et à l’opinion publique des petits récits, clés en main, sur sa vie privée, le politique peut donc infléchir le traitement de l’actualité. Ainsi, en décembre 2007, la révélation par le président Sarkozy de sa liaison avec Carla Bruni par leur visite de Disneyland a-t-elle parfois été interprétée comme une façon de dissiper le souvenir calamiteux de la réception officielle du Colonel Kadhafi, une semaine plus tôt.

Pensez-vous que l’importance grandissante des » petites phrases » soit l’un des produits de cette mise en scène de la vie politique dans les médias ?
L’importance grandissante des petites phrases est le résultat d’une évolution plus globale, dont la peopolisation est aussi le fruit, d’une adaptation de la communication politique aux évolutions des médias: accélération de l’information, réduction des formats. Dans les journaux télévisés, par exemple, le temps accordé à l’information politique s’est beaucoup réduit historiquement et les citations des propos de dirigeants sont de plus en plus courtes. A charge pour ces derniers de trouver les formules les plus ramassées, phrases chocs ou simplement séduisantes – par leur d’humour, par exemple – en vue de favoriser leur reprise.

Vous parlez également de cette tendance populiste à faire entendre de plus en plus l’avis du citoyen. À votre avis, comment cette tendance s’articule-t-elle avec la peopolisation des dirigeants politiques ?
Dans les années 2000, la peopolisation politique est apparue en France comme l’un des remèdes possibles à un sentiment général de désaveu de la classe politique, que semblait attester toute une série de signaux électoraux: présence de Jean-Marie Le Pen au 2e tour de la présidentielle de 2002, non au référendum sur le Traité européen en 2005, progression de l’abstention. En pareil contexte, la peopolisation semblait être le moyen de renouer avec les électeurs, et notamment avec ceux issus des couches populaires, censés être à la fois les plus rétifs au jeu électoral (les plus abstentionnistes et démotivés) et les plus friands des médias people. En ce sens, une telle démarche de la part des politiques peut être considérée comme populiste, de même que certains médias populaires – comme les tabloïds anglo-saxons ou certains magazines people français – cultivent, à leur manière, une forme de populisme, en se présentant comme les champions d’une défense des « petits » – les lecteurs- contre les « grands », les privilégiés.

Quel est à votre avis le rôle d’internet dans cette peopolisation des hommes politiques tant on se rend compte que pour cette campagne que presque tous les candidats sont massivement présents sur internet et que certains ont même des équipes spécialisées sur ce canal de communication ?
Internet ne fait que reproduire des caractéristiques de la peopolisation déjà présentes dans les médias « traditionnels »: notamment son double visage – promotionnel (la peopolisation voulue par des dirigeants à des fins de propagande) et offensif (la peopolisation qui échappe aux dirigeants et qui devient un instrument de contre-pouvoir). Alors même que certains responsables politiques et les appareils de parti s’efforcent d’être présents sur les réseaux sociaux pour soigner leur présentation mais aussi communiquer sur leurs idées ou les mesures qu’ils préconisent, Internet est aussi le média de la rumeur – souvent désobligeante – et le moyen de diffuser des commentaires critiques ou des vidéos dévoilant les coulisses de la scène politique – dérapages, propos semi-privés – à l’encontre de l’image que certains dirigeants souhaiteraient renvoyer.

En quoi la peopolisation politique pourrait-elle être un des facteurs de l’affaiblissement de la démocratie participative ?
Certaines formes de peopolisation, qui échappent au contrôle des politiques, vont au contraire dans le sens d’un renforcement de la participation au politique: loin d’être réductible à une forme de cynisme apolitique, les initiatives de celles et ceux qui, sur Internet par exemple, contestent l’image officielle de certains gouvernants peut être interprétée comme un acte politique, une forme d’implication civique. Reste à savoir si cette implication est transposable dans une participation concrète au jeu électoral classique, convertible, autrement dit, en termes de vote.

Cette peopolisation a-elle des conséquences sur les élections?
Sur ce point, il faut être très clair: l’influence de la peopolisation sur les résultats électoraux n’a pas été prouvée jusqu’à présent. Les quelques rares études disponibles sur ce sujet – sur l’impact par exemple du soutien apporté par des stars à certaines causes politiques aux Etats-Unis – n’apportent pas de réponses probantes. Il n’empêche que certains politiques, comme une partie des électeurs, d’ailleurs, sont convaincus de son efficacité, et son encouragés à cela par les professionnels du conseil politique dont ils s’entourent. Et même s’ils doutent de cette efficacité, certains se disent qu’ils peuvent toujours tester cette technique, entre autres outils de communication politique. Sans compter que, très concrètement, la peopolisation peut être utilisée comme une arme pour s’imposer à l’intérieur même du champ politique: il est avéré, à titre d’illustration, que l’ex-garde des sceaux Rachida Dati a joué sur sa médiatisation people pour confirmer sa popularité et assurer le plus longtemps possible sa survie au sein du gouvernement.

Cela correspond-il à un appauvrissement du débat public?
Je ne peux pas me prononcer sur ce point, car, comme je l’ai dit, nous avons trop peu d’éléments tangibles sur l’impact éventuel de la peopolisation. Dans mon ouvrage, je propose en revanche de vérifier quels sont les arguments de ceux, d’une part ,qui considèrent que c’est une menace pour l’espace public ou et de ceux, d’autre part, qui voient en elle, au contraire, un facteur de dynamisation de la démocratie.
Le plus souvent, ce phénomène est interprété comme un mélange des genres et une dérive des politiques et des médias. Il y a beaucoup de réprobation, mais on s’intéresse peu, tout compte fait, à ses ressorts, aux éléments qui favorisent ce phénomène : le contexte économique, les facteurs technologiques, le fonctionnement interne des médias, le cadre juridique ou les évolutions sociologiques. Ce sont ces paramètres que je me suis employé à identifier. Par ailleurs, le développement de ce processus est-il inéluctable, comme on le pense généralement ? D’après mes observations, l’essor de la peopolisation n’est ni linéaire, ni irrépressible: en réalité, elle dépend fortement de la personnalité même et du profil biographique des leaders politiques d’un pays donné à un moment historique donné: à titre d’exemple, après avoir connu un emballement à l’époque de Tony Blair qui cultivait ce type de médiatisation, la peopolisation s’est tarie au Royaume-Uni sous Gordon Brown, beaucoup plus sobre, voire austère, et a repris sous l’impulsion de l’actuel premier ministre, Gordon Brown. La peopolisation de la politique est donc loin d’être une fatalité.

> Djamil Dakhlia « Les politiques sont-ils des people comme les autres ? » Editions Breal

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