Lucien Jerphagnon : la dérision de l’être et de l’existant
Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / Lucien Jerphagnon nous a quittés en septembre dernier. Cette disparition laissera un grand vide dans le clan très restreint de ceux qui incarnent encore la brillance d’esprit. Historien de la philosophie, disciple de Vladmimir Jankélévich et professeur en son temps de Michel Onfray, Lucien Jerphagnon excellait dans la dérision de l’être et de l’existant. À l’image de cet intellectuel passionnant, il a publié un ouvrage intitulé « La…Sottise ? ( vingt-huit siècles qu’on en parle ) en 2010 aux Editions Albin Michel.
Lucien Jerphagnon a rassemblé dans cet ouvrage ses notes de lectures et ses annotations soigneusement archivées durant toutes ces années de lecture pour nous faire partager « la présence atmosphérique » de la sottise à travers les siècles. Le postulat est posé dès l’avant-propos où l’auteur cite Mathurin Maugarlonne qui disait de Raymond Aron « qu’il a reconnu la bêtise comme facteur déterminant de l’Histoire. »
Lucien Jerphagnon tente, dans ce même avant-propos de nous faire croire qu’il s’est simplement amusé à reconstituer «ce florilège». Adroite jacquerie. Le ton est badin et l’analyse quelque peu détachée.
Mais ne nous laissons pas égarer par la délicieuse sagesse de l’auteur. Car en réalité, c’est un formidable manuel sur la bêtise autant qu’un remarquable essai sur la sottise et l’idiotie. Lucien Jerphagnon nous propose une vision à la fois amusante, taquine, triste, cruelle et flamboyante de nos travers les plus inavouables aussi bien dans l’acte que dans le faire et le paraître. On sourit à chaque page et l’on pense à quelqu’un de son entourage ou à soi à chaque citation. On rebondit d’une page à l’autre, on côtoie la sottise du fond des âges en s’efforçant de nier le fait que c’est de nous dont il est question.
Mais à quelques égards et non des moindres, ce livre est aussi un manifeste pour la sagesse qui nous rappelle que nous sommes profondément humain avec tous les torts, les faiblesses et la prétention que cela implique « Des textes que j’ai mis sous les yeux de mes lecteurs, il ressort que nul en ce monde ne peut s’en croire exempté du seul fait d’être lui et pas l’un ni les autres. »
Dans un de nos numéros précédemment, je vous avais vivement recommandé de vous plonger dans le livre de Gustave Le Bon « Psychologie des foules » (réédition Le Monde / Flammarion). Aujourd’hui, c’est avec un enthousiasme énergique, déterminé et presque implorant que je vous conseille d’en faire de même avec ce livre de Lucien Jerphagnon avec lequel vous vous nourrirez abondamment de belles citations cinglantes pour les années à venir dont en voici quelques exemples pour finir de vous convaincre.
« C’est, en effet, une famille innombrable, celle des imbéciles… » Simonide cité par Platon, Protagoras 346 c
«Soixante-deux mille quatre cents répétitions font une vérité. »Aldous Huxley – Le meilleur des mondes
« Mme Pasqualin : « C’est trop bête, à la fin ! Tu viens empoisonner notre vie, avec tes idées… Tes idées ! Tout le monde en a, des idées ! Tu n’as qu’à avoir les idées de tout le monde ! » »
« ( La télévision) inviciblement entraînée par la force d’attraction d’une masse énorme de vulgarité, de niaiserie… » François Mauriac « On n’est jamais sûr de rien avec la télévision – 21 avril 1962
Lucien Jerphagnon
« La… Sottise ? ( ving-huit siècles qu’on en parle)
Editions Albin Michel – 9€