Le bloc : le grand roman de Jérôme Leroy
Par Eric Yung – bscnews.fr / « Le bloc » ? C’est un titre de roman dont la phonétique claque pareille au choc de bottes militaires. Il est vrai que ce livre, signé récemment par Jérôme Leroy et paru aux éditions Gallimard (Série Noire) place l’intrigue dans et autour d’un parti politique qui ressemble fichtrement au Front National. Est-ce pour autant un « thriller » qui aurait pour sujet l’extrême droite ? Nombreux sont les critiques littéraires ou les auteurs de blogs (consacrés aux romans noirs et aux polars) qui semblent le dire.
Il est aisé – c’est vrai – de le considérer comme tel. Cependant, le thème de l’extrême droite et de ses partisans écartelés entre Barrès et Brasillach en passant par Rebatet et se perdant chez les Skins et la musique du groupe « Skrewdriver » ne serait-il pas plutôt un prétexte qui aurait avant tout permis à l’auteur d’exercer son réel talent littéraire et ainsi d’inscrire « Le Bloc », très simplement, dans la lignée de ses nombreux romans, recueils de nouvelles, essais, anthologies et ses quelques livrets poétiques ? Autrement dit, ce livre ne s’ajoute-t-il pas à ce qu’il est convenu d’appeler une œuvre dont la cohérence, chez Jérôme Leroy, se cristallise depuis plus de vingt ans autour de son sujet de prédilection : des sociétés dominées par la tyrannie de la technologie, par l’individualisme élevée au rang d’idéologie matérialiste, par la déliquescence culturelle, par l’ignorance de l’histoire et par le nouveau rêve du virtuel ? Un ensemble de phénomènes qui serait inhérent aux déviances de la modernité qui, de facto, annihilerait les références traditionnelles à l’esthétisme et aux plaisirs. Bref, au bonheur de vivre ! Or, si « Le Bloc » nous rapporte, certes, les aventures et les déboires de personnages principaux, tous activistes et responsables d’un mouvement d’extrême droite en pleine ascension au sein de la société française, les vrais héros de ce roman sont surtout l’ordre et le chaos, l’amitié et la mort, la subversion et le rêve de Babel. Avec ce roman, on entre de plain pied -une fois encore- dans l’imaginaire onirique et lyrique de l’auteur. Souvenons-nous de « Une minute prescrite pour l’assaut »* qui, lors de sa parution en 2008, a fait écrire assez justement à « Libération » que les héros de Leroy vivent avec style et toujours « dans le dernier âge de tous les possibles disparu à jamais comme l’Atlantide » et que Jérôme Leroy « se joue des relations humaines, tandis que le monde d’avant vacille inexorablement ». C’est encore le cas dans « Le Bloc » ! Ensuite, il y a l’histoire. Qu’en dire ? La quatrième de couverture du livre la résume très bien : « Sur fond d’émeutes de plus en plus incontrôlables dans les banlieues, le Bloc Patriotique, (…) s’apprête à entrer au gouvernement. La nuit où tout se négocie, deux hommes, Antoine et Stanko, se souviennent. Antoine est le mari d’Agnès Dorgelles, la présidente du Bloc. Stanko est le chef du service d’ordre du parti ». (…) Ensemble, « pendant un quart de siècle, ils ont été comme des frères (…) ont connu la violence, traversé des tragédies, vécu dans le secret et la haine. (…) Au matin, l’un des deux devra mourir, au nom de l’intérêt supérieur du Bloc. Mais qu’importe : à leur manière, ils auront écrit l’Histoire ».
Le livre rédigé en grande partie – et curieusement – à la deuxième personne du singulier frise l’excellence ; sa qualité narrative soutient l’attention des lecteurs que nous sommes. Certains qui auront lu trop vite « Le Bloc » prétendront sans doute qu’il faut être fasciste pour apprécier cet ouvrage. Ce serait alors n’avoir rien compris à ce qui est déjà un grand roman !
Le Bloc de Jérôme Leroy – Série Noire – Editions Gallimard