Le bon roman d’apprentissage de Cypora Petitjean-Cerf

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Par Laurence Biava – bscnews.fr / Le cinquième roman « La belle année » de Cypora Petitjean-Cerf, enseignante et écrivaine, est un joli et enrichissant roman d’apprentissage. 
Il narre la vie scolaire et extra-scolaire de Tracey Charles, élève de 6ème dans un collège de Seine Saint-Denis. A presque 12 ans, Tracey, bonne élève et mature,  épate le lecteur par sa forte personnalité : très « tête de groupe » dans l’âme, pré-ado éclairée et raisonnée, arbitraire, elle donne le sentiment de mener sa barque avec beaucoup d’aisance.

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Partagée entre le besoin d’affiliation et celui de solitude, elle relève des défis, contourne les conflits,  domine les situations,  invente,  lit beaucoup, observe énormément, semble n’avoir peur de rien. Ni du noir, ni des garçons, ni de l’orage. 
Sur une année, soit quatre saisons, à partir de l’automne, on suit ses périgrénations au sein de son environnement socio-culturel dans des scénettes relatant sa vie quotidienne et c’est un régal. Réunions familiales, temps partagé tout court, repas de fêtes, jeux, sorties, ou moments pelotonnés contre l’épaule du meilleur ami à compter les éclairs, Cypora Petitjean-Cerf sait raconter une histoire et convier le lecteur à s’immerger au cœur de ce scénario plein d’ambivalences ! Empreintes de réalisme magique, – comme chez Véronique Ovaldé – domptées par une souple écriture absolument visuelle et d’une vivacité incroyable, voisinant parfois avec le conte moderne, ce nouvel opus, qui fait la part belle à des échanges d’une remarquable spontanéité,  semble avoir été écrit pour être lu par la génération des enfants scolarisés (du CM2 au BEPC) d’aujourd’hui et leurs parents. … 
Tracey est donc l’enfant de parents divorcés portugais. Sa mère, Elisabeth, aigrie, vociférante, plaintive, jalouse, affabulatrice, la maltraite en partie. Elle trouve parfois la consolation et le secours chez un père, (peu éloigné du domicile principal), plus enclin à lui procurer amour, empathie et compassion, ainsi que (par) son amie, africaine, Aminata. En dépit de quelques marques de dépits cinglants avec l’entourage – narrés par l’auteur avec brio – et d’une violence rentrée qu’elle fait rejaillir parfois au détour de scènes où elle s’autoflagelle – ou bien avec un compas ou avec un élastique –  on peut dire que Tracey, notre héroine principale évolue globalement dans un univers assez favorable à son épanouissement de jeune fille. Elle est aimée des garçons dont elle a tendance à rejeter les preuves d’amour (Cosimo et Rabah), elle fait preuve d’une implacable justesse dans toutes les situations que sa vie d’écolière lui fait côtoyer,  elle est réactive en permanence et observe des rituels extrêmement intéressants. Ne sont-ce pas les prémisses de la sacro sainte adolescence qui s’installent ? : recherche d’un mode de vie personnel, de codes culturels spécifiques, de désir d’autonomie et d’indépendance, d’appétence esthétique et de recherche de style coquet, voici Tracey qui se répand, se confronte précocement à sa mère hystérique qui lui tient tête, qui ne l’aime pas suffisamment, qui ne comprend pas qu’elle « pivote ». Quand elle n’invente pas sa propre religion – la religion du chiffre Huit -, – pour compenser le manque à ce niveau là – elle apprend à dominer sa peur d’Hokusai en raison de la farouche aversion que son beau-père japonais Takushi lui inspire (très belles démonstrations textuelles à propos de cette représentation imagée). L’histoire de Mon Père, un chiffon précieux dont on ne saurait perdre l’odeur d’autrefois sans l’avis de Cosimo, le Caillou de la Consolation, la LLMEPD – la Liste des meilleurs moments de notre vie précisément datés –, des correspondances délicieuses entre les enfants, des questionnements – passages hilarants – à propos de la reproduction des Sctroumphs, et tant d’autres courtes anecdotes, narrées d’une famille à l’autre, d’une personne à l’autre, d’un endroit à un autre, ponctuent ce texte très littéraire et tendre d’absolues vérités sur le multiculturalisme, les complexes d’infériorités entretenus au sein des familles, souvent recomposées, les souffrances dues à la séparation, les peurs sourdes et silencieuses, la dépression qui survient au moment d’un licenciement, le besoin de spiritualité, le désir de faire un enfant. Enfin, il aborde à la fin, sommairement, la politique et quelques non-dits sur la sexualité sont transgressés (si Tracey se pense homosexuelle, je pense que c’est parce que sa mère n’aime pas les filles !).
« En temps normal, je n’aime pas descendre dans le jardin parce qu’il est petit et mal entretenu, mais aujourd’hui, j’ai envie. Je m’assieds sous notre cerisier et je pense aux corps de musaraignes, de souris et d’oiseaux qui pourrissent sous terre. Cela me dégoûte mais je me force à rester. La femme décapitée d’Hokusai n’est pas réaliste. Quand on meurt, on n’est pas propre comme ça. D’abord,  on gonfle. Ensuite, on a la peau qui cède sous la pression des liquides. Et puis, on se met à fuir comme un ballon percé. Tout le monde va mourir. Takashi est quelqu’un que j’imagine très bien mort, alors que je n’imagine pas du tout Rabah, par exemple…. »
A cause du « je » narratif – entre autres – qui amplifie le sentiment de proximité entre le narrateur et son lecteur, j’ai souhaité que mes ados de 13 ans et demi, délaissent leurs lectures du moment où il n’est sottement question que de « civilisation arabe » pour se concentrer sur l’histoire de Tracey, cette adorable petite qui leur ressemble.  A vrai dire et pour énoncer les choses sans masque, il existe un tel mimétisme morpho-psychologique entre tous les élèves quelqu’ils soient, qu’au-delà des conditions et d’environnements sociaux appartenant à chacun,  ce roman devrait simplement être lu et étudié en classe.
Cypora Petitjean-Cerf n’est pas qu’un grand écrivain : c’est aussi un professeur à juste titre adulé, qui mérite vingt sur vingt pour avoir rendu cette copie parfaite. Standing ovation des classes de 6ème réunies de la Seine Saint-Denis..

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